La Baltique devient une « mer de l’OTAN » : l’adhésion de la Suède est-elle un coup dur pour la Russie ?

Politique International

Avec l’adhésion de la Suède à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, actée le 7 mars, c’est presque toute la Baltique qui devient une « mer de l’OTAN ». Cette réaction géopolitique à l’offensive russe en Ukraine devrait donner du fil à retordre au président Vladimir Poutine, notamment car elle renforce considérablement les forces de défense et de dissuasion des trois pays baltes.

Quatre pays nordiques qui font bloc

Après une longue époque de neutralité depuis la Guerre froide, en mai 2022, la Finlande et la Suède décident de demander leur adhésion à l’OTAN sur le motif que « la Russie a changé » et que « nous avons désormais besoin des forces de défense collective ». Ce sera chose faite, respectivement le 4 avril 2023 et le 7 mars 2024. Ces deux nations rejoignent ainsi la Norvège et le Danemark. À eux quatre, ils permettent à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord de disposer désormais d’un continuum de défense dans l’arc nordique et arctique.

L’OTAN en Europe

Il ne s’agit pas seulement d’une décision historique qui transforme considérablement le contexte de sécurité européen. En effet, la Baltique, qui est donc en train de devenir une « mer de l’OTAN » bordée de pays membres de l’Alliance (*1), revêt une importance stratégique pour la Russie. La marine russe y compte deux bases, l’une à Saint-Pétersbourg et l’autre dans l’enclave de Kaliningrad, qui lui permettent d’accéder à l’Atlantique Nord via la Baltique.

La Baltique est peu profonde, les fonds marins ne descendent pas au-dessous des 55 mètres mais leur topographie est aussi complexe que leurs voies navigables un sujet épineux. Les nombreux câbles de communication et gazoducs qui courent au fond de la Baltique sont vitaux pour les États membres de l’OTAN. La Suède, qui est très au fait de la situation, a utilisé son adhésion au bénéfice de sa défense nationale, mais son intégration devrait également permettre d’améliorer considérablement la protection et la sauvegarde des infrastructures stratégiques de tous les pays membres. Naturellement, avec un contrôle maritime et aérien de la Baltique accru, les capacités de surveillance des mouvements militaires russes, du sol comme du large, se trouvent démultipliées.

Située presque au milieu de la Baltique, à 300 km à vol d’oiseau de Kaliningrad et à 190 km de Stockholm, l’île de Gotland est un site stratégique de la région. À la suite de l’intégration de la Suède à l’OTAN, la sécurité sur cette île clé devrait également être renforcée.

Une puissance militaire et technologique

La Suède est l’un des principaux pays d’Europe qui compte pour le secteur de la haute technologie. Elle peut se targuer d’être compétitive au niveau mondial dans les secteurs de l’automobile, de l’ameublement ou de la mécanique. Dans le domaine militaire, elle saura ne pas décevoir les attentes de ses États membres, car elle a développé et produit ses propres armes et équipements, notamment des avions de chasse ultramodernes qui n’ont rien à envier à ceux du Royaume-Uni et des États-Unis, ainsi que des sous-marins d’attaque réputés pour leur furtivité. Pour les Suédois, la défense nationale est une cause majeure : pendant la Guerre froide, le pays a eu fort à faire avec les sous-marins soviétiques développés dans la Baltique.

Pour faire face à la menace soviétique à cette époque-là, les dépenses de défense ont représenté jusqu’à 3 % du PIB suédois. Ce budget a été considérablement réduit après la guerre, mais en vue de son adhésion à l’OTAN, le pays s’est à nouveau engagé sur la voie d’un renforcement de la défense à partir de 2022. L’objectif est désormais de dépasser les 2 % du PIB. La Finlande, qui a intégré l’Organisation avant son voisin scandinave, s’est également efforcée d’augmenter son budget de défense en 2023. À la fin de l’année dernière, les États-Unis ont également signé un accord de coopération en matière de défense avec chacun des deux pays afin que l’armée américaine puisse utiliser leurs bases navales et aériennes mais aussi y stocker des armes et des équipements américains (à l’exception de l’arme nucléaire) pour pallier les situations d’urgence. La signature des deux accords découle de l’invasion de l’Ukraine qui a fortement poussé les opinions publiques des deux pays à se déclarer favorable à l’adhésion à l’OTAN.

Protéger le « talon d’Achille de l’OTAN ».

Les pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) sont probablement les membres de l’Otan qui comptaient le plus sur la Suède. Ces trois États, qui ont des frontières communes avec la Russie et le Belarus, comptent une importante minorité russe. Ils se savent être la « deuxième cible potentielle de Poutine après l’Ukraine ». Gouvernements comme citoyens savent combien cette menace est de plus en plus pesante.

La zone connue sous le nom de « corridor de Suwalki » qui court le long de la frontière entre la Lituanie et la Pologne est la principale cause de cette crainte. Ce couloir ne fait que 65 km de long, mais il constitue une voie terrestre importante entre le Belarus et l’enclave russe de Kaliningrad. S’il était investi par les forces terrestres de Vladimir Poutine, les pays baltes se retrouvaient totalement esseulés et coupés du bloc de l’Alliance. C’est pourquoi ce corridor de Suwalki est souvent appelé le « talon d’Achille de l’OTAN ».

La « mer de l’OTAN » est l’atout qui pourrait permettre de contourner ce danger. Le projet est de constituer une force multinationale de l’OTAN, dont le noyau serait la Suède et la base installée à Gotland pour assurer un approvisionnement rapide et stable des États baltes en renfort de troupes et en matériel d’appoint, à la fois par mer et par air. Les quatre pays nordiques ont décidé en mars de l’année dernière de renforcer leur coopération en matière de défense aérienne (*2). Des opérations conjointes au sein de l’OTAN devraient être élaborées sur cette base.

Erreur de calcul historique

Avec l’adhésion de la Suède, l’OTAN élargi compte désormais 32 États membres. L’intégration de la Finlande en 2023 avait déjà permis de doubler la longueur des frontières jouxtant la Russie, la portant à un total d’environ 2 600 km. Le régime de Poutine est désormais contraint de renforcer sa défense non seulement en mer Baltique, mais aussi sur le pourtour du cercle arctique.

Les principaux dirigeants des pays de l’OTAN (États-Unis, Royaume-Uni, France et Allemagne) ont tous salué l’adhésion de la Suède et se sont félicités de l’accueillir en leur sein. Ses capacités militaires de premier plan, ses positions géographique et stratégique étant autant d’atouts, les experts suédois en matière de défense ont souligné que « l’adhésion de la Suède contribuera grandement à la dissuasion et au dispositif de défense de l’OTAN » (*3).

Pour la Suède, l’adhésion à l’OTAN sonne l’heure d’un changement majeur dans sa longue histoire de « neutralité et de non-alignement », sa ligne diplomatique depuis près de 200 ans. Le 26 février 2024, le parlement hongrois, qui avait tardé à donner son approbation, ratifie finalement l’adhésion du pays scandinave à l’Alliance. Le Premier ministre suédois Kristersson déclare alors sur les réseaux sociaux : « C’est un jour historique ». En définitive, le président Poutine a fait une erreur de calcul historique et les tensions ne font que grandir dans un contexte géopolitique difficile.

(Photo de titre : à la suite de la ratification du parlement hongrois, le Premier ministre suédois Kristersson s’exprime à la conférence de presse sur l’adhésion de son pays à l’OTAN. Photo prise à Stockholm, le 26 février 2024. AFP)

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