Comment faire face au « Trump 2.0 » ? L’analyse d’un ancien ambassadeur du Japon

Politique International

Aux vues de sa victoire de novembre et du bilan de sa première présidence, que peut-on espérer du « nouveau » Donald Trump ? Nous avons rencontré l’ancien ambassadeur du Japon aux États-Unis, Fujisaki Ichirô, qui nous parle entre autres de l’importance de renforcer le G7.

Un cabinet avant tout loyal et ayant soif de revanche ?

Lors de son premier mandat, Donald Trump, conscient peut-être de son manque d’expérience dans les hautes sphères de l’État, avait recruté des sommités expertes dans leur domaine pouvant servir de « tuteurs » à son cabinet. Ainsi James Mattis avait été nommé secrétaire à la Défense pour sa grande expérience dans le commandement des Marines américains et le chef d’entreprise Rex Tillerson se retrouva secrétaire d’État. Mais force était de constater que cette démarche n’aura pas apporté grand-chose à l’administration Trump.

« Trump 2.0 » ne joue plus sur le même tableau, il privilégie cette fois l’absolue loyauté à son égard. À la défense, il nomme Pete Hegseth, un commentateur de la chaîne de droite Fox News dont l’expérience militaire se limite au grade de major dans la Garde nationale. Le militant anti-vax Robert F. Kennedy Jr. vient d’être nommé à la santé et aux services sociaux. Une poignée de personnalités de premier plan ont également été sollicitées, Susie Wiles qui s’était fait remarquer comme directrice de campagne est devenue cheffe de cabinet de la Maison-Blanche, le député Mike Waltz passe conseiller à la sécurité nationale, le sénateur Marco Rubio gère les fonds spéculatifs en tant que secrétaire d’État, et Scott Bessent se retrouve secrétaire au Trésor. Au renseignement et à la sécurité, notamment au ministère de la Justice, à la CIA ou au FBI, Trump nomme de fidèles lieutenants censés le « venger » de ceux qui lui auraient fait du tort.

Le conflit ouvert entre Steve Bannon (un des principaux conseillers de Trump durant la majeure partie du premier mandat) et Elon Musk, l’industriel ayant récemment rejoint l’équipe de Trump, est à ce titre très instructif. Bien qu’il trouve Musk « maléfique », Bannon s’est engagé, avec ses troupes du MAGA (« Make America Great Again ») et les ex-secrétaires d’État, à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour soutenir l’administration de Trump de l’extérieur. Il reste à voir si leur exclusion du premier cercle ne va pas provoquer de nouvelles tensions. La base de Trump est loin d’être monolithique.

Des propos « sans queue ni tête »

On dit souvent de Trump qu’il est totalement imprévisible — bien malin qui saurait dire ce qu’il a en tête ou projette de faire. Pourtant, à bien y réfléchir, le plus sûr moyen de cerner ses intentions réelles est de prendre ses déclarations publiques au pied de la lettre. Penser qu’il est imprévisible, c’est en fait entrer dans son jeu. Trump lui-même, a souligné que sa « folie » présumée était justement ce qui faisait hésiter Xi Jinping à se lancer dans une offensive contre Taïwan.

Cela nous amène aux récents effets d’annonce de Trump sur le Groenland et le canal de Panama. Il voudrait, contre toute logique diplomatique, que le Danemark lui cède le premier et que le second lui soit restitué. Mais au vu du contexte international, ces saillies ne sont pas aussi déraisonnables qu’il pourrait y paraître.

Le Groenland est une colonie, administrée par le Danemark, mais originellement habitée par des Inuits qui n’ont pas d’allégeance particulière envers Copenhague. Or comme le Groenland abrite notamment de considérables gisements de terres rares, difficile de laisser fermer les yeux sur les velléités de la Chine qui cherche depuis peu à étendre son influence dans la région.

Après une première tentative avortée des Français de dégager un canal dans l’isthme, le canal de Panama a été finalisé par les Américains. D’abord sous contrôle colombien, l’État du Panama a gagné son indépendance grâce à l’aide étasunienne, puis il est resté ensuite sous protectorat des USA jusqu’à l’administration de Jimmy Carter (1977-81). L’exploitation du canal est aujourd’hui gérée par un groupe basé à Hong Kong.

Pour ce qui est du Groenland et du Panama, il faut reconnaître que les déclarations de Trump, aussi farfelues qu’elles puissent paraître, ont un fondement historique, juridique, économique et sécuritaire.

Or Trump a déclaré qu’il n’excluerait pas le recours à la force pour régler ces questions. La pilule est difficile à avaler, l’État de droit serait-il en passe de s’étioler pour faire place à un environnement où « la force fait le droit » et où le bras armé s’imposerait en cas de statu quo ? Pour l’instant, il ne s’agit que de déclarations, sans effet dans le monde réel. Et un tel écart entre paroles et actes ne serait pas une première dans l’histoire des États-Unis. En effet, ces derniers ont certes joué un rôle central dans l’édification de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, de la Cour pénale internationale ou du Partenariat transpacifique, mais ils se sont ensuite retirés de chacune de ces instances.

Les récentes prises de positions des États-Unis pour empêcher le rachat de US Steel par Nippon Steel relèvent de la même logique. Les superpuissances accordent une attention excessive aux questions de territoire ainsi qu’aux secteurs de base (alimentation, énergie, semi-conducteurs, intelligence artificielle ou sidérurgie). Or les États-Unis peuvent se targuer d’être grandement autosuffisants dans les secteurs de l’alimentation et de l’énergie, mais ils tentent de rattraper leur retard dans le champ des semi-conducteurs. Pour l’intelligence artificielle, les entreprises américaines caracolent en tête et l’acier est un incontournable du BTP et du secteur automobile.

L’offre publique d’achat de Nippon Steel a suscité des réactions en masse, des commentateurs ont pu souligner que « le moment était mal choisi, il aurait mieux valu que ces négociations ne tombent pas l’année d’une élection présidentielle » ou relever qu’il était « inopportun que les noms des entreprises concernées mentionnent explicitement le Japon et les États-Unis ». Ces propos me semblent inappropriés, ne faudrait-il pas justement considérer que nous étions en effet dans le cas d’une nation puissante cherchant à préserver son pré carré afin de garder le contrôle d’un secteur vital de son économie ?

Lourenco Goncalves qui est à la tête de Cleveland-Cliffs, un groupe rival de US Steel, a récemment fait parler de lui en accusant le « méchant » Japon de n’avoir rien appris de sa défaite face à l’Amérique lors de la Seconde Guerre mondiale. Bien sûr, le gouvernement japonais n’a pas besoin de se positionner à chaque fois que des propos de ce genre sortent dans les médias, mais Tokyo devrait être en mesure d’offrir son appui aux entreprises nippones quand la situation l’exige. En cas de traitement injuste, les autorités japonaises devraient s’adresser aux gouvernements étrangers et contrecarrer les attaques ; nous ne pouvons pas laisser à d’autres le soin de prendre des décisions ayant un impact négatif sur nos entreprises.

Le cas Elon Musk

Mettons de côté les déclarations de Trump sur le Groenland et le Panama, et penchons-nous sur les propos d’Elon Musk, nouveau bras droit de Trump, au sujet de la politique internationale. Dans un message posté le 20 décembre 2024 sur X (ex Twitter), Elon Musk a lancé : « Seule l’AFD peut sauver l’Allemagne » et apporté son soutien explicite au parti populiste d’extrême droite Alternative für Deutschland à l’approche des élections législatives allemandes de fin février. Il a par ailleurs utilisé sa plateforme X pour dénigrer le premier ministre britannique Keir Starmer, des interventions qui nuisent tout bonnement aux intérêts diplomatiques américains.

Le nouveau secrétaire d’État Marco Rubio et le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz préféreraient logiquement que Musk se taise. Mais à ceux qui le critiquent d’avoir pris position sur la politique allemande, Musk répond que son groupe (le constructeur automobile Tesla), ayant des usines en Allemagne, cela lui donne le droit de se positionner sur le sujet. Ce genre de bravade — qui a tout d’une gifle assénée avec une liasse de billets, est le pire visage que l’Amérique puisse présenter au monde. Les États-Unis ont tout à perdre à ce jeu.

Dans le sillage de Musk, le milliardaire de X et Tesla, d’autres géants de la tech comme Meta ou Amazon, autrefois considérés comme des tenants et des défenseurs du camp démocrate, ont changé leur fusil d’épaule et fini par apporter leur soutien à Trump. Au Japon, Son Masayoshi, le patron de Softbank, s’est également précipité aux pieds des États-Unis avec la promesse d’une enveloppe de 100 milliards de dollars d’investissements pour les quatre ans à venir. Le secteur de la tech mondiale semble craindre que Trump ne privilégie que X et il s’empresse de courtiser la nouvelle administration américaine en espérant profiter de ce qu’ils identifient comme un incontournable pôle d’influence.

Raffermir le G7

Toute réflexion sur l’avenir de la scène internationale doit s’appuyer sur la reconnaissance de l’indéniable importance du G7. J’ai été « sherpa », j’ai représenté le Premier ministre japonais lors des réunions préparatoires du G8 (auquel participait la Russie), George W. Bush était alors président des États-Unis et le pays avait alors les mains libres sur la scène internationale. Au sommet d’Evian en France en 2003, le président Bush, qui devait participer aux deux jours de discussions de ce grand sommet, a fini par quitter les lieux à la fin de la première journée, suite notamment à l’opposition de la France à la guerre d’Irak.

Pendant son premier mandat, Donald Trump avait voulu éviter les accords multilatéraux au profit de négociations bilatérales afin d’utiliser la force de frappe des États-Unis pour forcer ses partenaires.

Mais le G7 fonctionne autrement. Les dirigeants des États membres sont à la même table de négociation secondés d’un seul assistant lors des discussions. Le G7 diffère aussi considérablement du G20 où les participants sont beaucoup plus nombreux, sans parler d’autres rassemblements encore plus grands comme le forum de coopération économique Asie-Pacifique, l’ONU ou le FMI qui réunissent des dizaines voire des centaines de membres. Chacun y va de son discours de 10 minutes, ce qui en fait un peu un concours d’éloquence à grande échelle. Difficile d’y mener des échanges constructifs.

Le président Barack Obama a déclaré un jour que l’ère du G7 était révolue et que le G20 serait désormais le « premier forum » international. Je ne peux adhérer à ce point de vue. Maintenant que le Conseil de sécurité des Nations unies a perdu de son efficacité et que le G20 est menacé par les tensions sino-américaines, le G7 est plus précieux que jamais. Sachant que le Japon ne fait pas partie de l’Union européenne et qu’il n’est plus membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies depuis 2024, il lui est crucial d’empêcher le G7 de se désagréger.

Nous devons pousser le G7 de l’avant, même si la discrétion est désormais plus de mise qu’auparavant. Nous devons pousser Trump à prendre part à ces discussions qu’il déteste tant. À nous d’œuvrer à des résultats concrets, pour que le cadre ne se désintègre pas complètement. D’autant que sur les quatre ans à venir, la situation pourrait empirer si JD Vance, le vice-président de Trump, prenait place dans le bureau ovale. Mais pour l’instant, nous devons rester concentrés sur la tâche qui nous attend.

Si le Japon veut naviguer avec succès à l’ère Trump 2.0, le gouvernement nippon devra avant tout bénéficier d’un soutien populaire clair et massif. Tokyo n’aura pas grand-chose à craindre si le dirigeant japonais est en phase et bénéficie de l’appui de Trump. Pensons aux dirigeants qui ont développé de solides relations avec Trump lors de son premier mandat : Kim Jong-un de Corée du Nord, le russe Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan de Turquie et le philippin Rodrigo Duterte avaient tous le soutien massif de leurs populations, ce qui plaît à Donald Trump, car il y voit une force, un argument décisif pour traiter avec eux.

Affronter les États-Unis alors que leur base est fragile est un défi de taille pour les gouvernements, quels qu’ils soient. J’espère donc que le Premier ministre Ishiba Shigeru fera tout ce qui est en son pouvoir pour consolider sa position sur son sol avant de négocier avec Trump.

(D’après un entretien réalisé par Koga Kô, directeur exécutif de la Nippon Communications Foundation. Photo de titre : Donald Trump prête serment dans la rotonde du Capitole à Washington DC. Photo prise le 20 janvier 2025. AFP/Jiji)

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