La « diplomatie pragmatique » du nouveau président sud-coréen : retour sur 60 ans de relations avec le Japon
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La question de la confiance entre nations
Juste après son investiture, le président Lee Jae-myung expliquait lors de la conférence de presse du 4 juin 2025 que, certes, le contentieux mémoriel a toujours été une pomme de discorde entre le Japon et la Corée du Sud mais qu’« en relations internationales, la cohésion des politiques est cruciale », que « la cohésion conditionne la confiance entre nations » et qu’il est « ardu d’imposer ou de faire respecter unilatéralement des convictions personnelles », il argue de plus qu’une « diplomatie pragmatique fondée sur l’intérêt national » vaut mieux que des « convictions personnelles » ou des « idéaux ». Après son élection, le président sud-coréen s’est d’abord entretenu par téléphone avec le président américain Donald Trump puis avec le Premier ministre japonais Ishiba Shigeru, et les trois chefs d’État ont « reconnu l’importance des relations bilatérales Corée du Sud-Japon mais aussi acté une coopération tripartite Corée-du Sud-USA-Japon alors que le contexte international est de plus en plus tendu. » (*1). Cette approche tranche clairement avec les positions de son prédécesseur démocrate. En effet, Moon Jae-in était également progressiste mais il défendait une « diplomatie d’équilibre » à l’égard des États-Unis et de la Chine et, après son investiture, il avait choisi de s’entretenir avec les Washington tout d’abord, puis avec Pékin et enfin avec Tokyo.
Par ailleurs, une rencontre entre les dirigeants japonais et sud-coréen a rapidement été fixée au 17 juin, en marge du sommet du G7 au Canada. À Lee Jae-myung qui déclarait « Surmontons nos petites divergences, coopérons dans divers domaines et développons nos relations dans une perspective d’avenir » (*2), le Premier ministre Ishiba a répondu « Dans un contexte international tendu en Ukraine et au Moyen-Orient, j’espère que la coopération entre le Japon et la Corée sera bénéfique pour la région et pour le monde entier ». On peut dire que les relations nippo-coréennes sont désormais sous le signe de la « diplomatie pragmatique ».
Pour ce qui est des « petites divergences » du contentieux mémoriel, l’accord portant sur les « femmes de réconfort » signé en décembre 2015 par le gouvernement conservateur de Park Geun-hye et le Japon a de facto été suspendu avec la destitution et la révocation de la présidente Park. La venue au pouvoir de Moon Jae-in a compromis la « confiance entre nations ». Sur l’initiative de la Corée, la question des Coréens soumis au travail forcé pendant la guerre avait été considérée comme « résolue » sous le gouvernement de Yoon Suk-yeol, mais comme aucun accord explicite n’avait été conclu entre le Japon et la Corée du Sud, l’éventualité d’une rupture du mécanisme de conciliation si les progressistes revenaient au pouvoir en Corée (voire avant même les élections présidentielles) avait suscité de profondes craintes, non seulement du côté des autorités japonaises, mais aussi dans la population.
Les trois ans du cabinet Yoon ont permis de normaliser à de nombreux niveaux les relations Japon-Corée du Sud et de renforcer la coopération de sécurité et de défense Japon-USA-Corée du Sud. Cette dynamique sera-t-elle pérenne ?
En 2025, la Corée célèbre à la fois le 80e anniversaire de la fin de la guerre et de la libération (de la domination coloniale) et le 60eanniversaire de la normalisation des relations diplomatiques avec le Japon. Détaillons les grandes étapes de la normalisation des relations : le Traité de base nippo-coréen de 1965, l’Accord sur les revendications Japon-Corée du sud de 1965, la Déclaration Murayama de 1995, la Déclaration Kan de 2010, la Déclaration Abe de 2015 et enfin l’Accord de sécurité générale d’informations militaires (GSOMIA) nippo-coréen de 2016. L’investiture du nouveau président sud-coréen coïncide avec le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et la Corée du Sud, il est nécessaire que les deux nations réaffirment le principe du pacta sunt servanda voulant que « les conventions soient respectées », car ce respect de la parole donnée est crucial à la confiance et donc aux relations internationales.

À Séoul, lors des commémorations du 60e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques du Japon et de la Corée du Sud. À droite en arrière-plan, on aperçoit sur l’écran le visage du président sud-coréen Lee Jae-myung pendant son allocution vidéo. (Photo prise le 16 juin 2025. Kyôdô)
Le président Lee Jae-myung s’est donné pour objectif de mettre fin à « la loi martiale, aux émeutes et aux coups d’État », il accueille de ses vœux « le début d’une véritable République de Corée ». Saura-t-il maintenir le cap de la « cohésion » de la nation sur les questions de politique étrangère et de sécurité, mais aussi rompre avec la politique de son prédécesseur en remettant à zéro le compteur des affaires intérieures ?
Lee Jae-myung affirme vouloir stabiliser les relations avec la Corée du Nord et réduire le « risque coréen ». Pourtant, avec les brusques changements de gouvernement, le plus grand risque n’est-il pas plutôt ce climat de tension qui voit s’opposer « Rouges » (Républicains) et « Bleus » (Démocrates) dont l’alternance met la société coréenne en ballottement et compromet la stabilité des politiques diplomatiques et de défense ?
Un trio « Japon-USA-Corée », mais pas d’alliance « Indo-Pacifique »
En Corée, Rouges et Bleus s’opposent et la polarisation de la société et de la scène politique, écartelées entre conservateurs (de droite) et progressistes (de gauche), pose autant de problèmes que dans les nations occidentales. Non seulement les deux grands partis actifs au Parlement n’arrivent pas à s’accorder ni à faire consensus, mais les citoyens eux-mêmes semblent irrémédiablement divisés, chacun défend son parti et campe sur ses positions, la tension monte et de part et d’autre de l’échiquier et l’hostilité est tangible. On refuse de se marier avec quelqu’un de l’autre parti, voire simplement de dîner avec une personne qui ne serait pas de la même couleur politique.
Cette polarisation du paysage politique coréen impacte également la gestion des Affaires étrangères et contamine les relations avec le Japon et la Corée du Nord.
Un sondage d’opinion réalisé en janvier 2025 par le think tank sud-coréen East Asia Institute, montre qu’au sujet du Japon, les conservateurs pensent que la Corée du Sud doit prioritairement garantir une « coopération bilatérale tournée vers l’avenir » (55,5 %) avant de s’occuper de la « résolution des problèmes historiques » (24,0 %) alors que les progressistes préféreraient que le règlement du différend mémoriel (56,2 %) passe devant l’objectif de coopération à long terme (26,8 %).
Les modérés sont plus partagés. Mais si le président Lee Jae-myung choisit d’aller dans le sens de ses partisans, on peut s’attendre à une « résurgence » de la question du différend historique. En ce qui concerne la Corée du Nord, l’écart entre conservateurs et progressistes est également manifeste, les conservateurs préfèrent à 41,5 % le « renforcement des dispositifs de sécurité » quand 17,0 % privilégient « l’intensification des échanges inter-coréens » (15,7 % et 44,6 % pour les progressistes). Par contre, les questions économiques semblent moins clivantes, Bleus comme Rouges privilégient le « maintien et le renforcement des sanctions » (à respectivement 24,2 % et 20,4 %).
Concernant les États-Unis, conservateurs et progressistes sont également partagés, les conservateurs privilégient le « renforcement de l’alliance américano-coréenne » à 50,4 % (contre 26,6 % pour les progressistes) et l’« établissement de relations horizontales » n’est mis en avant qu’à 9,8 % (contre 32,6 %). Mais conservateurs comme progressistes approuvent majoritairement l’idée que « le Japon, les États-Unis et la Corée renforcent leur coopération en matière de sécurité et de défense » (à respectivement 84,6 % et 55,1 %), et seuls 12,6 % et 32,9 % des sondés ne plébiscitent pas cette option.
Ces différences reflètent moins des opinions personnelles que les positions défendues par chaque « camp ». Les partisans plébiscitent les politiques menées par le gouvernement qu’ils soutiennent et rejettent celles de leurs adversaires. C’est pourquoi les mesures prises par les gouvernements précédents ont peu de chances d’être retenues par le cabinet suivant.
La question du travail forcé en est l’exemple le plus frappant. Dans son allocution, Lee Jae-myung s’est érigé contre la « diplomatie humiliante pro-Japon qui porte atteinte à l’honneur de notre nation » défendue par son prédécesseur.
Le président Yoon avait à son actif l’élaboration d’une stratégie indo-pacifique (décembre 2022). C’est sous son égide que les relations Japon-Corée du Sud contribuant à la stratégie indo-pacifique avaient pu être normalisées, que l’alliance bilatérale USA-Corée du Sud avait pu être redéfinie en « alliance stratégique globale » (avril 2023) et que les « principes de Camp David » avaient pu être signés par le Japon, les États-Unis et la Corée du Sud (août 2023) .
À l’inverse, le nouvellement élu président Lee Jae-myung n’a pas mentionné une seule fois le terme « indo-pacifique » pendant sa campagne présidentielle. Ce que l’on tait est parfois très parlant, cette omission en dit long sur sa personnalité et ses intentions. Examinons donc à ce prisme la politique étrangère du président Lee Jae-myung.
Comment se positionner sur la question du détroit de Taïwan ?
Une zone « Indo-Pacifique libre et ouverte », cette déclaration japonaise avait initié une politique transnationale reprise par les États-Unis et la Corée du Sud, mais aussi par l’Australie, le Canada, l’Union européenne et l’OTAN. Il ne s’agissait pas d’une politique limitée à une région ou à un régime, ce train de mesures devait permettre de relever les défis du moment. Le Japon comme la Corée du Sud étaient parties prenantes de ce partenariat indo-pacifique quadripartite (IP4) et, depuis 2022, les deux nations participaient aux sommets de l’OTAN. Cela signifie que la zone Indo-Pacifique et l’Atlantique Nord (à l’Est et à l’Ouest de l’Eurasie) avaient tissé des liens étroits pour tout ce qui relevait des questions de défense.
Il convient toutefois de repenser ce que peut réellement le « trio Japon-USA-Corée », sans trop en attendre, ni trop vite s’en détourner.
Les « principes de Camp David » de 2023 ont réaffirmé « l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taiwan » et précisé que l’alliance des États-Unis et de la Corée du Sud était une « alliance stratégique globale » qui ne se limitait pas à la péninsule coréenne. De facto, les forces américaines stationnées en Corée du Sud ou au Japon se retrouveraient en première ligne en cas d’opérations dans la zone indo-pacifique. S’il devait y avoir une crise sur la péninsule coréenne, dans le détroit de Taïwan ou en mer de Chine, l’alliance USA-Corée du Sud ainsi que l’alliance USA-Japon seraient amenées à se coaliser.
Si l’Asie de l’Est était « l’Ukraine de demain » ou si la crise à Taïwan s’étendait au Japon et en venait à impliquer l’alliance nippo-américaine, le Japon devrait rester en mesure de maintenir et d’améliorer sa force de dissuasion ainsi que sa réactivité, même en cas d’alternance politique.
Par contre, vue de Corée du Sud, Taïwan semble « lointaine » et la survenue d’une crise « peu probable ». Il est surprenant de constater que Lee Jae-myung semble penser qu’« il suffit de dire merci à la Chine et Taïwan » sans prendre en compte les États-Unis. Il semble ne pas craindre que Trump retire une partie de ses troupes stationnées en Corée du Sud. Or si les États-Unis et la Chine entraient en conflit, le retrait des troupes américaines bouleverserait l’équilibre des forces dans le face-à-face avec la Corée du Nord.
La « confiance entre nations » est un facteur crucial pesant dans les jeux d’alliance, qu’il s’agisse des relations Japon-USA ou USA-Corée du Sud.
Lee Jae-myung a souvent répété que « se battre pour la victoire est une mauvaise tactique, car il vaut mieux éviter d’en arriver à cette extrémité». Il met donc l’accent sur la diplomatie, mais « se préparer au pire » est une règle d’or de la défense. La « diplomatie pragmatique axée sur l’intérêt national » n’aura de valeur que si elle parvient à garantir un « équilibre » entre diplomatie et défense.
(Photo de titre : Le Premier ministre Ishiba Shigeru [à gauche] et le président sud-coréen Lee Jae-myung se serrent la main en ouverture du G7. Photo prise le 17 juin 2025 à Canmore, au Canada. Jiji Press)
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