Un rapatriement qui affole le Japon : s’adapter à une nouvelle ère de la « diplomatie du panda »

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Les quatre pandas prêtés à Adventure World, dans la préfecture de Wakayama, ont été renvoyés en Chine en juin dernier. Il ne reste désormais plus que deux de ces mammifères au Japon, il s’agit des jumeaux chéris du zoo d’Ueno, à Tokyo. La diplomatie chinoise autour des pandas entre dans une phase de transition, et le Japon peine à s’y adapter.

Cinquante ans d’amour

Le 28 juin 2025, le parc à thème Adventure World (dans la préfecture de Wakayama) faisait ses adieux, la larme à l’œil, à ses quatre pandas géants, renvoyés « chez eux » en Chine. Le Japon, pays de fervents amateurs de ces mammifères, ne compte plus désormais que les jumeaux du zoo d’Ueno, à Tokyo, dont le bail prend fin en février 2026. Le pays se retrouvera-t-il sans pandas pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle ? Qu’y a-t-il derrière ce changement apparent de politique chinoise, et comment le Japon doit-il réagir ?

Dès l’après-guerre, Pékin a pris l’habitude d’offrir des pandas comme « ambassadeurs de l’amitié » à certains partenaires diplomatiques, pour marquer des occasions spéciales et susciter de la sympathie envers la Chine. La « diplomatie du panda » avec le Japon a débuté en 1972, lorsque le zoo d’Ueno accueillit un couple de pandas géants offerts afin de célébrer la normalisation des relations bilatérales.

En 1984, les pandas géants ont été classés dans le cadre de la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES). C’est à ce moment que la Chine a cessé de les donner pour commencer à les louer. Depuis les années 1990, la plupart des prêts se font sous forme de baux de longue durée, officiellement destinés à la recherche sur la reproduction et la conservation. Tout petit né pendant la durée du bail reste la propriété de la République populaire de Chine. Ce système a permis d’attirer des foules au zoo Ôji de Kobe, à Adventure World à Wakayama, ainsi qu’au zoo d’Ueno.

En 1994, Adventure World a inauguré avec la Chine le premier programme international de reproduction de pandas à long terme. En trois décennies, 17 petits y ont vus le jour.

Un avenir incertain

Avec la fin du bail de 30 ans, les quatre pandas restants d’Adventure World (une mère et ses trois petits) sont repartis en Chine en juin dernier.

Par le passé, Pékin permettait parfois qu’un petit né sur place ou un adulte reste après l’expiration du bail, évitant ainsi un « vide pandesque ». Le départ simultané des quatre pensionnaires de Wakayama a donc choqué, même si à l’échelle mondiale ce genre de rapatriement se fait de plus en plus courant.

Dans plusieurs pays (Australie, Autriche, Espagne, États-Unis) de nouveaux couples sont arrivés dans l’année suivant un rapatriement, et les collaborations se sont poursuivies. Mais aucun signe ne laisse entrevoir une arrivée prochaine au Japon. Les jumeaux d’Ueno (Lei Lei (femelle) et Xiao Xiao (mâle)) doivent partir l’an prochain : le Japon doit-il se résigner à un futur sans pandas ?

Une « pandamania » s’est emparée du zoo d’Ueno le 5 novembre 1972, quand les premiers pandas géants du Japon, Kang Kang et Lan Lan, ont été présentés au public. (© Jiji)
Une « pandamania » s’est emparée du zoo d’Ueno le 5 novembre 1972, quand les premiers pandas géants du Japon, Kang Kang et Lan Lan, ont été présentés au public. (© Jiji)

La question est revenue sur la table en avril dernier lors de discussions à Pékin entre Moriyama Hiroshi (secrétaire général du PLD et président de la ligue parlementaire nippo-chinoise) et Zhao Leji (président du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire). En juin, l’ancien responsable du PLD Kôno Yôhei, président de l’Association japonaise pour la promotion du commerce international, a demandé de nouveaux pandas au Premier ministre Li Qiang. Le 11 juillet, Moriyama a de nouveau abordé le sujet avec le vice-Premier ministre He Lifeng à l’Expo 2025 d’Osaka, qui aurait reconnu que les pandas étaient « importants pour les échanges entre peuples ».

Pourtant, le 26 mai, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Mao Ning répondait à une question sur les pandas de Wakayama : « Nous accueillons chaleureusement nos amis japonais pour venir les voir en Chine. » S’agissait-il d’une simple invitation, ou d’un signal indiquant l’absence de projet de renvoi au Japon ?

De plus en plus de passionnés japonais se rendent en Chine pour assouvir leur amour des pandas. Pékin pourrait juger inutile d’en prêter à nouveau au Japon si les touristes japonais affluent en Chine… au bénéfice, par ailleurs, de son économie touristique.

Les risques grandissants de la diplomatie du panda

Un autre facteur est la montée des inquiétudes autour du bien-être des pandas, relayées massivement sur les réseaux sociaux. Pékin doit sans cesse prouver son engagement envers leur protection.

Au début des années 2020, des photos de pandas amaigris au zoo de Memphis ont enflammé la toile chinoise. La mort du mâle Le Le en 2023 a fait courir des rumeurs de maltraitance et attisé un certain sentiment anti-américain. Le gouvernement chinois a dû intervenir pour calmer la colère publique. Plus récemment, le retour en Chine de Fu Bao, née en Corée et star adorée du public, a suscité des protestations de fans sud-coréens quant à son traitement, allant jusqu’à une pleine page de publicité dans le New York Times.

Dans ce climat, la Chine préfère aujourd’hui rapatrier ses pandas dès la fin des baux afin de limiter les risques. Les autorités responsables (l’Administration nationale des forêts et des prairies et la municipalité de Chengdu (Sichuan)) pourraient être tenues responsables si des problèmes de santé surviennent lors d’une prolongation. L’utilisation des pandas à des fins politiques, économiques, ou qui ne sont tout simplement pas directement liées au bien-être animal et à la conservation, comporte désormais un certain degré de risque.

Des pandas pour faire pression ?

Avec l’intensification des frictions entre les États-Unis et la Chine, certains commentateurs japonais avancent que Pékin utiliserait les pandas pour influencer les décisions du Japon en matière économique et sécuritaire. Mais les faits ne confirment pas cette hypothèse : en 2024, la Chine a envoyé des pandas à deux grands zoos américains (Washington et San Diego). Pour Pékin, les pandas restent un outil de diplomatie publique, destiné à renforcer son image et à gagner l’amitié des populations locales. C’est pourquoi la Chine envisageait déjà l’envoi de pandas dans des zoos américains privés dans les années 1950, au plus fort de la Guerre froide.

Si Pékin espérait toutefois vraiment utiliser les pandas de Wakayama pour influencer la politique japonaise, elle a dû être déçue.

En avril 2025, le gouvernement japonais a désigné l’aéroport de Nanki-Shirahama (à deux pas d’Adventure World) comme « aéroport à usage spécifique », ouvert à l’entraînement des Forces d’autodéfense tout en restant civil. L’éventualité d’un usage conjoint par l’armée américaine avait été évoquée, mais le sujet n’a quasiment pas pesé sur l’élection du gouverneur de Wakayama, le 1er juin. Le fait est que la politique japonaise n’est pas dictée par les pandas, et les Chinois en sont parfaitement conscients.

Au cours de la dernière décennie, le Parti communiste a resserré son contrôle sur chaque aspect de la société chinoise au nom de la sécurité nationale. Dans ces circonstances, si les autorités locales responsables des prêts de pandas à l’étranger (ici, la base de recherche sur l’élevage des pandas géants de Chengdu et le gouvernement municipal de cette même région) avaient accordé une attention particulière à la préfecture de Wakayama à un tel moment, elles auraient pu être soupçonnées de cautionner la coopération militaire entre le Japon et les États-Unis.

Il est raisonnable de spéculer que ces autorités ont jugé opportun de retirer les quatre pandas dès l’expiration du bail afin de minimiser le potentiel de controverse. Comme noté ci-dessus, il est devenu de plus en plus courant de rapatrier tous les pandas prêtés à une installation donnée à la fin du bail, souvent en les remplaçant plus tard. Cela peut indiquer que les personnes impliquées dans l’échange de pandas au niveau opérationnel font aujourd’hui preuve de moins de discrétion qu’auparavant.

Des raisons d’espérer

Comme mentionné plus tôt, les pandas d’Ueno doivent partir pour la Chine l’an prochain, ce qui laisserait potentiellement le Japon sans pandas. Pourtant, il y a des raisons d’espérer que la Chine enverra de nouveaux animaux dans un avenir relativement proche.

Tout d’abord, les pandas comptent tellement pour le peuple japonais que priver la nation de la présence ne serait-ce que d’un ou deux d’entre eux serait sans aucun doute considéré comme un acte malveillant de la part de la Chine. Les zoos japonais hébergent des pandas géants depuis plus de 50 ans, et plusieurs générations de Japonais partagent de précieux souvenirs de visites et d’observations de ces créatures. La Chine ne voudrait sûrement pas endommager l’image du panda en tant qu’ambassadeur de l’amitié.

Ensuite, les parlementaires japonais pro-Chine ont fait pression de manière persistante sur Pékin afin d’obtenir d’autres prêts de pandas, et leur réputation serait entachée si ces efforts n’aboutissaient à rien. Ce ne serait pas dans l’intérêt de Pékin si ces politiciens favorables à la Chine perdaient leur crédibilité ou leur motivation à travailler pour un rapprochement. Mon intuition est que les Chinois cherchent simplement l’occasion idéale d’envoyer la prochaine génération de pandas au Japon.

S’adapter à une nouvelle ère

Pendant ce temps, en tant que pays hôte, le Japon doit être prudent quant à la façon dont il aborde le sujet. La couverture médiatique du rapatriement des pandas de Wakayama a eu tendance à mettre en avant l’impact sur l’économie locale. Un tel discours pourrait facilement créer l’impression que le désir du Japon d’obtenir plus de pandas est motivé principalement par l’intérêt économique. L’exploitation des pandas à des fins lucratives va à l’encontre de la position officielle de la Chine sur l’objet des prêts (la conservation) et ne plairait pas aux amateurs du monde entier.

Au cours des dernières décennies, le pays a mis un point d’honneur à mettre en valeur sa recherche scientifique sur les pandas géants et ses efforts pour réintroduire les animaux dans la nature, tout en s’efforçant de tenir la politique et l’économie à l’écart. En revanche, la politique et l’économie en sont venues à dominer le débat public du Japon. Cet accent anachronique pourrait nuire à la capacité du Japon à engager un dialogue productif avec la Chine et le reste de la communauté internationale. Les gouvernements locaux qui espèrent accueillir des pandas ont déjà pris note de ce problème et font ce qu’ils peuvent dans l’objectif de recentrer le débat.

L’utilisation des pandas par les Chinois en tant qu’« ambassadeurs » a toujours été basée sur des offres courtoises et non sollicitées de prêter ces animaux, qui ont été acceptées avec gratitude par les pays bénéficiaires. À la lumière de l’histoire, il semble ridicule de commencer à accuser le gouvernement chinois d’utiliser les pandas à des fins politiques ou économiques. Si d’autres pays ne sont pas satisfaits de la situation, ils peuvent toujours refuser les prêts.

Pendant de nombreuses années, les pandas géants ont été déplacés au gré des humains pour des raisons ayant peu à voir avec le bien-être des animaux ou la conservation de l’espèce. De nos jours, la Chine subit une nouvelle pression : celle de démontrer que sa priorité absolue est de protéger les pandas afin de pouvoir les laisser vivre dans la nature. C’est une évolution à saluer. De même, la principale préoccupation du Japon devrait être de transmettre les connaissances acquises au cours de décennies de soins et d’études, et de réfléchir à la meilleure façon de les appliquer à la conservation des pandas.

(Photo de titre : le panda géant Liangbin, durant son dernier jour d’exposition publique à Adventure World, le 27 juin 2025, avant son rapatriement en Chine. Jiji)

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