S’opposer à la Russie, sans les États-Unis : le tournant historique de la dissuasion nucléaire en Europe

Politique International

Le Royaume-Uni et la France ont décidé de renforcer leur coopération au sujet des armes nucléaires. L’Europe ambitionne de créer son propre parapluie nucléaire pour faire face à la menace russe qui pèse depuis l’invasion de l’Ukraine et au désengagement des États-Unis sur le Vieux Continent. Un tournant historique pour la défense européenne.

Le parapluie nucléaire américain ne fait plus recette

Jusqu’à présent, l’Europe affidée à l’OTAN dépendait du parapluie nucléaire américain. Or la Russie a menacé à plusieurs reprises d’utiliser l’arme atomique contre les pays européens soutenant l’Ukraine. Et Trump, à l’occasion de son deuxième mandat, se montre réticent à défendre le Vieux Continent et affiche une attitude de plus en plus méprisante à l’égard de ses anciens alliés. En Europe, l’idée que le parapluie nucléaire américain n’est plus aussi incontournable gagne du terrain.

Le président Emmanuel Macron a pris l’initiative de relancer la coopération nucléaire franco-britannique. En mars 2025, il déclarait que l’avenir de l’Europe ne devait pas être décidé à Washington ou à Moscou. Il proposait de « fournir à l’Europe un parapluie nucléaire » pour remplacer celui des États-Unis et annonçait qu’un dialogue et des négociations s’ouvriraient à ce sujet en juin. Parallèlement, Keir Starmer, le Premier ministre britannique, déclarait en juin, dans son rapport sur la « révision des stratégies de défense », que son pays « jouerait un rôle de premier plan dans la défense de l’Europe ». Le 10 juillet, suite à la visite officielle du président français au Royaume-Uni, Starmer et Macron ont signé la « Déclaration de Northwood », un engagement franco-britannique sur le nucléaire stipulant que « les deux pays coopéreront et coordonneront leurs efforts pour réagir rapidement en cas de menace grave pour leurs intérêts vitaux ou en cas de menace grave pour l’Europe » : un accord franco-britannique de coopération renforcée portant sur la dissuasion nucléaire (*1).

Créer une « coordination du nucléaire »

En 2010, la France et le Royaume-Uni signaient déjà les Traités de Londres ouvrant la voie à une coopération et favorisant les transferts de technologies dans le nucléaire. Mais 15 ans plus tard, ils s’engagent pour la première fois dans une coopération qui va au-delà de la recherche et inclut un volet de dissuasion nucléaire. Concrètement, un groupe de pilotage conjoint (UK-France Nuclear Steering Group) directement rattaché aux cabinets du Premier ministre britannique et du président français, a été créé afin de renforcer la coopération et la coordination stratégique, politique, opérationnelle de l’utilisation de la dissuasion nucléaire.

Les deux pays conservent leur indépendance mais une coopération stratégique et opérationnelle leur permettra de réagir de manière efficace et concertée en cas de menace.

La Grande-Bretagne et la France disposent chacune de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) pouvant lancer des missiles mer-sol balistique stratégique (MSBS) à près de 10 000 km. La France dispose par ailleurs de 290 ogives nucléaires et le Royaume-Uni de 225 têtes, ce qui est bien inférieur aux 5 000 ogives américaines ou russes, mais il ne fait aucun doute que les deux nations constitueront de redoutables ennemis s’ils unissent leurs forces.

La déclaration de Northwood ne nomme pas expressément de pays ennemis, mais dans son discours sur le « Bilan de la stratégie nationale » prononcé le 14 juillet 2025, Emmanuel Macron cible « la permanence d’une menace russe aux frontières de l’Europe »(*2), la coopération franco-britannique a dans son viseur le régime de Vladimir Poutine.

L’Allemagne rejoint l’alliance franco-britannique

L’Allemagne qui ne possède pas d’ogives nucléaires renforce ses liens avec la France et la Grande-Bretagne. En mai, le président Macron a invité le chancelier allemand Friedrich Merz à Paris et les deux chefs d’État ont confirmé leur volonté de renforcer l’indépendance de l’Europe en matière de défense et ont convenu de créer un « Conseil de défense et de sécurité » chargé de coordonner l’utilisation de la dissuasion nucléaire des deux pays (*3). Puis, en juillet à l’occasion de sa visite au Royaume-Uni, Merz a signé avec son homologue britannique un traité d’amitié et de coopération stipulant l’obligation de défense mutuelle et il s’est engagé à renforcer la coopération du directoire franco-germano-britannique.

Merz, inquiet du mépris affiché par l’administration Trump pour les anciennes alliances, serait à l’origine de l’appel à une coopération nucléaire franco-britannique. Les trois nations sont des membres importants de l’OTAN, tous ont signé le Traité de l’Atlantique Nord, mais en s’engageant à coopérer et à mener des actions coordonnées, ils affichent clairement leur intention de contrer le désengagement américain en Europe.

Comment concilier les divergences existant entre les trois nations

Si le projet de parapluie nucléaire européen mené par le directoire franco-germano-britannique aboutit, les orientations de l’OTAN ainsi que la dissuasion nucléaire européenne s’en trouveront changées. Le régime de Poutine qui y voit une « grave menace » s’y oppose. La France, fidèle à son esprit gaulliste, ne fait pas partie du « Groupe des plans nucléaires » (qui réunit des ministres de la Défense des pays membres de l’OTAN) dont la mission est de discuter de la politique nucléaire de l’OTAN. Macron défend l’idée d’une « autonomie stratégique de l’Europe » et il a toujours souhaité prendre ses distances d’avec les Washington.

En revanche, pour le Royaume-Uni qui accorde une grande importance à sa « relation spéciale » avec les États-Unis, la coopération anglo-américaine et l’OTAN restent une priorité. L’Allemagne est par ailleurs prise entre deux feux, car elle accueille sur son territoire la majeure partie des forces américaines stationnées en Europe. Elle oscille entre coopération et méfiance à l’égard des États-Unis.

Pour construire une coopération nucléaire efficace face au désengagement américain en Europe, les trois pays devront réduire leurs divergences et œuvrer pour la paix et la stabilité en Europe : un double défi de grande importance.

Mais la question de la coopération nucléaire n’est pas un problème exclusivement européen. Le traité de réduction des armes stratégiques New START (de l’anglais Strategic Arms Reduction Treaty), qui est un traité de désarmement nucléaire bilatéral, a été signé par les États-Unis et la Russie en 2010, il expirera en février 2026 et il a déjà été « suspendu » par Vladimir Poutine. De plus, dans les années 2030, le nombre d’ogives nucléaires de la Chine, qui continue d’agrandir rapidement son arsenal, devrait atteindre un niveau presque équivalent à celui des États-Unis et de la Russie. Le monde entrera bientôt dans une ère de « tripartisme » inédite. Alors que la stabilité nucléaire est un enjeu international de premier plan, le succès de la coopération nucléaire franco-britannique sera sans doute déterminant pour l’avenir de la défense du Japon.

(Photo de titre : le Premier ministre britannique Keir Starmer et le président français Emmanuel Macron se serrent la main lors d’une conférence de presse. Photo prise près de Londres, le 10 juillet 2025. AFP/Jiji)

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