Le danger des ours au Japon : un expert appelle à réguler leur population

Société Environnement

Pour l’expert Ohnishi Naoki, face à l’augmentation du nombre d’attaques d’ours au Japon, il est clair que les mesures actuelles sont insuffisantes. Notre dossier se penche notamment sur les causes du problème, la nécessité de former et de recruter des chasseurs et les réactions adéquates à avoir si l’on se retrouve face à un ours.

Ohnishi Naoki OHNISHI Naoki

Chef de l’équipe de recherche au Centre de recherche du Tôhoku de l’Institut de recherche sur les forêts et les produits forestiers. Né en 1972, il a rejoint l’institut après avoir obtenu son diplôme à l’Université de Hokkaidô, où il a fait des études supérieures en agriculture. Ses travaux de recherche portent sur l’évolution génétique de l’ours noir d’Asie et d’autres mammifères sauvages. Il est fréquemment sollicité dans les médias en tant que spécialiste du comportement des ours et commente leurs apparitions dans l’Archipel.

Quand les ours s’invitent dans les zones résidentielles

Dans les préfectures de la région du Tôhoku (nord-est du Japon) notamment, l’augmentation du nombre de cas d’observations et d’attaques d’ours contre des personnes est devenu un véritable problème. Ohnishi Naoki, de la branche Tôhoku de l’Institut de recherche sur les forêts et les produits forestiers, va même jusqu’à dire que la situation est catastrophique et qu’il est urgent d’agir.

« Auparavant, les humains se retrouvaient nez à nez avec des ours dans des zones appelées satoyama (espaces où la population cohabite avec la nature) », explique-t-il. Aujourd’hui, ces animaux peuvent être observés dans des zones résidentielles et même dans le centre-ville de capitales préfectorales. Cette tendance est apparue pour la première fois en 2023, mais cette année, les ours semblent s’inviter davantage dans les espaces de vie de la population.

« À Morioka, la présence d’ours a été signalée sur le parking du siège de la Banque d’Iwate, et même dans l’enceinte de l’université d’Iwate. Dans la préfecture d’Akita, des ours ont été aperçus à proximité de supermarchés et de lycées. »

« Cette année, les attaques d’ours, certaines fatales, ont atteint un niveau qu’il convient de qualifier de grave. Cette situation est pour moi comparable à celle de catastrophes naturelles telles que des tsunamis ou encore de fortes pluies. »

Nombre de cas d’observations et d’abattages d’ours

Nombre de personnes blessées ou tuées en raison d’attaques d’ours

Devant la recrudescence du nombre d’attaques d’ours, les Forces d’autodéfense terrestres ont été déployées dans la préfecture d’Akita. Selon Ohnishi Naoki, cette augmentation s’explique en partie par la présence accrue d’ « ours urbains ». « Certains ours sont nés et ont évolué dans des zones proches des milieux de vie de la population, si bien qu’ils prennent la présence humaine pour normale. Ils se déplacent maintenant à leur guise jour après jour dans des zones habitées.

« Ces ours sont habitués à la présence humaine depuis leur plus jeune âge et ont appris à la tolérer dans une certaine mesure. Ces animaux ne veulent pas nécessairement se confronter à des humains mais l’expérience leur a appris qu’ils peuvent tout à fait pénétrer sans problème dans des zones résidentielles le soir, et s’en tirer indemnes, et qu’ils ont peu de chance de se faire repérer pendant la journée s’ils restent perchés dans les arbres. Conséquence : ils s’aventurent de plus en plus, et de plus en plus profondément, dans les zones habitées par les humains. »

Le manque de nourriture, l’une des causes du problème

Une pénurie de glands et autres oléagineux, dont les ours sont particulièrement friands, est un autre facteur qui explique l’augmentation du nombre de cas d’observations. « En automne, les ours mangent beaucoup pour se préparer à hiberner », explique Ohnishi Naoki. Ce n’est pas parce qu’ils ont l’estomac vide, mais parce que la partie de leur cerveau qui leur fait comprendre qu’ils ont atteint leur seuil de satiété est désactivée. « Les années où les noix se font rares en montagne, les ours étendent leur sphère d’activité à la recherche de nourriture et finissent par s’aventurer dans des espaces habités par des humains. En 2021, les cas d’observations d’ursidés étaient relativement peu nombreux mais en 2022, et en 2023, lorsque les fruits sont venus à manquer, un nombre accru d’ours se sont immiscés dans les zones peuplées par des humains. Ils sont notamment attirés par les kakis et les noisettes, mais également les ordures ménagères et la nourriture pour animaux domestiques. Les rencontres entre les ours et les humains étant nombreuses, le risque d’attaques est lui aussi plus élevé.

Ohnishi Naoki réagit à la théorie selon laquelle les ours se nourriraient de chair humaine. « Il est vrai que certains rapports font état de cas d’ours mangeant des cadavres humains. Mais les ours n’attaquent quasiment jamais les humains dans le seul but de les manger. La plupart des attaques ont lieu lorsqu’un ours rencontre un humain. Se sentant menacé, il cherche tout simplement à se défendre, avant de s’enfuir. Il est rare qu’un ours se nourrisse de la chair humaine d’un cadavre et comprenne ainsi que les humains peuvent aussi faire partie de leur régime alimentaire. »

Changements du mode vie des ours et des humains

Ohnishi fait par ailleurs remarquer que l’évolution des modes de vie des humains a lui aussi un impact. « Alors que la population décline et vieillit, moins de personnes se rendent dans les satoyama. Moins de personnes surveillent donc ces lieux. Une végétation abondante avec de hautes herbes, des buissons, des arbres dans des terrains vagues et des maisons inoccupées leur procurent un abri et de la nourriture. Les ours sont également attirés par les kakis et les châtaignes que les humains peuvent laisser derrière eux. »

Une ourse et ses petits se nourrissant de châtaignes près d’habitations dans une ville au pied des montagnes Ôu, dans la préfecture d’Iwate, en octobre 2023. (© Satô Yoshihiro)
Une ourse et ses petits se nourrissant de châtaignes près d’habitations dans une ville au pied des montagnes Ôu, dans la préfecture d’Iwate, en octobre 2023. (© Satô Yoshihiro)

« L’augmentation du nombre de victimes en lien avec des ours est une conséquence de l’augmentation de la population ursine. Dans la préfecture d’Akita, bien que plus de 2 000 animaux aient été prélevés en 2023, les ours continuent d’émerger des montagnes. Cela s’explique par le fait qu’ils sont de plus en plus nombreux et que leur population est en surnombre. »

Les dernières données du ministère de l’Environnement recensent environ 12 000 ours bruns dans la préfecture de Hokkaidô et 42 000 ours noirs d’Asie dans le Honshû et le Shikoku. Dans l’ensemble, la population d’ours est en hausse ; passant de 633 dans la préfecture de Miyagi en 2008 à 2 783 en 2024. 9 099 ours ont été abattus au cours de l’année fiscale 2023 et 5 136 en 2024.

« L’une des raisons pouvant expliquer cette augmentation est que, pendant de nombreuses années, le Japon a plutôt cherché à protéger les ours », explique Ohnishi. « Les chasseurs s’abstenaient de les abattre ou les capturaient à l’aide de pièges. Ensuite, plutôt que de les tuer, ils les relâchaient parfois dans des montagnes reculées. Ces efforts de préservation semblent avoir contribué à l’augmentation du nombre d’ours au Japon. »

Répartition et évolution de la population ursine

Les mesures actuelles sont insuffisantes

Ohnishi affirme qu’il faut en faire plus. « Comme je l’ai indiqué, la situation des ours cette année a atteint des niveaux catastrophiques. Je pense qu’il est une bonne chose, à court terme, de combiner les efforts des gouvernements locaux et des associations de chasseurs à ceux des Forces d’autodéfense. La police devrait être équipée de fusils et les municipalités devraient recruter des “chasseurs gouvernementaux” (des employés municipaux spécialisés dans la chasse). »

« Cependant, le simple fait d’abattre des ours qui descendent des montagnes ne sera pas suffisant pour résoudre le problème. Il nous faudra, à moyen et à long terme, se rendre nous-même dans les montagnes réguler activement le nombre d’ours. »

« L’amendement de 2024 de la Loi sur la protection, le contrôle et la gestion de la chasse des animaux sauvages a ajouté la “gestion de la population” comme objectif, en plus de la “protection”. En 2024, tous les ours en dehors du Shikoku ont été désignés comme cibles du contrôle de la population d’ours. Les préfectures reçoivent maintenant des subventions pour ce faire, subventions qu’elles devraient utiliser à bon escient. »

« Il est également important que les environnements locaux évoluent, qu’ils ne favorisent pas et même qu’ils réduisent le risque de rencontres avec des ours. Ces animaux sont attirés par les terrains vagues, à la végétation luxuriante ou encore par les plaqueminiers et les châtaigniers. Dans les zones situées entre les zones résidentielles et les espaces boisés, couper les broussailles et éliminer les sous-bois est essentiel pour réduire le nombre d’endroits qui pourraient leur servir de cachette. Municipalités et organisations locales devraient travailler main dans la main et se faire le fer de lance de ces efforts. »

« Les restes de nourriture peuvent également attirer les ours. Les déchets devraient donc être sortis le matin et non le soir, et entreposés dans des endroits clos. La nourriture pour animaux domestiques et le kérosène devraient également être conservés à l’intérieur, dans des endroits hermétiques. »

Le 30 octobre, des ministres ont évoqué le problème des ours lors d’une réunion spéciale. Pour Ohnishi, le gouvernement pourrait faire un certain nombre de choses. « Le plus gros problème est le manque de personnel. Les chasseurs vieillissent et ils sont de moins en moins nombreux. Il est nécessaire de former la jeune génération et également que les gouvernements locaux recrutent des “chasseurs gouvernementaux” en tant que fonctionnaires. Cependant, il faut près de 10 ans pour former de nouvelles recrues à l’usage de fusils. Résoudre le problème du manque de personnel prendra donc du temps. »

« Les membres des associations de chasseurs sont des citoyens privés. Beaucoup d’entre eux ont un travail ; je pense qu’il n’est donc pas approprié de leur demander d’assurer la sécurité publique. Dans les zones urbaines, où la sécurité publique est essentielle, ce sont les forces de police qui, elles, peuvent manipuler des fusils, qui devraient prendre en charge le problème du contrôle de la population des ours. D’autre part, pour ce qui est des mesures à moyen et à long terme, telles que réduire le nombre d’ours dans les montagnes, les associations de chasseurs sont, à mon sens, plus à même d’apporter leur aide. La gestion des ours devrait être assurée par une répartition adéquate des rôles. »

« Le gouvernement devrait faire du contrôle de la population des ours une mesure permanente et systémique, et non seulement à court terme, le remaniement de “chasseurs gouvernementaux” ne pouvant pas être assuré comme pourrait l’être celui d’autres fonctionnaires. »

Une ourse et ses petits traversant une route au pied des montagnes Kitakami, dans la préfecture d'Iwate, en juillet 2018. (© Satô Yoshihiro).
Une ourse et ses petits traversant une route au pied des montagnes Kitakami, dans la préfecture d’Iwate, en juillet 2018. (© Satô Yoshihiro)

Rester calme et à distance

Selon Ohnishi, éviter les confrontations avec des ours est la chose la plus importante pour assurer sa protection. « Lorsque vous vous promenez dans les montagnes ou dans des zones semi-sauvages, où des ours pourraient se trouver, portez une clochette ou gardez la radio allumée afin qu’ils remarquent votre présence. C’est la règle de base. Les ours ne cherchent pas à se confronter avec des humains, si bien que dans la plupart des cas, ils vous éviteront s’ils vous entendent. »

Hokkaidô : ours brun / Honshû et Shikoku : ours noir d’Asie

Mais si vous en rencontrez un, dit-il, « surtout, ne paniquez pas et ne courez pas. Ne vous retournez pas, cela pourrait inciter l’ours à vous suivre. Au contraire, reculez lentement et éloignez-vous de l’animal. Si vous avez une bombe lacrymogène contre les ours, pulvérisez-la calmement tout en restant face à lui. Si vous êtes sur le point d’être attaqué, couchez-vous au sol face contre terre, et protégez-vous le cou avec les deux mains. »

« Nous sommes à une époque où les humains et les ours vivent en étroite proximité, ce que nous devons garder à l’esprit dans notre vie quotidienne. Je pense que tout ce que nous pouvons faire est appliquer de façon rigoureuse ces trois mesures : réguler la population des ours, créer un environnement qui ne favorise pas les confrontations avec ces animaux et rester vigilants. »

(D’après un entretien réalisé par Matsumoto Sôichi de Nippon.com. Photo de titre : un ours dans l’enceinte du musée commémoratif Hara-Kei à Morioka, octobre 2025. Kyôdô)

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