L’avion de chasse F-X : les défis du futur fleuron de la défense aérienne japonaise

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Le Japon avance dans son plan de remplacement des avions de combat vieillissants par la nouvelle génération F-X, qui devrait entrer en scène en 2035. Iwasaki Shigeru, ancien chef d’état-major des Forces d’autodéfense japonaises et pilote de chasseur, discute de ce projet de grande ampleur et de ses atouts.

Iwasaki Shigeru IWASAKI Shigeru

Né dans la préfecture d’Iwate en 1953, il est sorti diplômé de l’Académie de défense nationale japonaise avant de se joindre aux Forces d’autodéfense aérienne, où il a servi en tant que pilote d’avion de chasse. Il a été nommé 31e chef du personnel des Forces aériennes en 2010 avant de devenir 4e chef d’état-major des Forces d’autodéfense japonaises en 2012. Il a pris sa retraite en 2014 et est désormais conseiller exécutif pour ANA, conseiller pour ANA Holdings, et président de Nihon Cyber Defense.

Une nouvelle approche des avions de chasse

— Le Japon a commencé à déployer des avions de chasse F-2 en 2000, mais ce modèle sera retiré de ses fonctions en 2035, pour être remplacé par le F-X. Son développement vient à peine de commencer que vous le décrivez déjà comme la nouvelle génération de chasseurs japonais qui devrait bouleverser le concept même des avions de chasse. Où se dirige le programme de défense aérienne du Japon ?

IWASAKI SHIGERU  Dans le passé, les avions de chasse japonais étaient divisés en deux catégories : les FI, ou chasseurs d’interception, et FS, ou avions de chasse d’appui aérien. Les FI devaient principalement empêcher les chasseurs ennemis et les autres avions de pénétrer le territoire japonais, tout en permettant de conserver la supériorité aérienne sur un espace donné. La mission principale des unités FS était quant à elle de mener des attaques sur les installations ennemies et de donner un appui aérien aux opérations au sol ou dans la mer.

Tout a changé avec le FS-X, la nouvelle génération d’avions lancée en 1991 pour remplacer les F-1, des avions de soutien vieillissants. Dès le départ, le FS-X a été construit comme un avion de soutien (ce qui explique son nom, Fighter Support Experimental, soit chasseur de soutien expérimental en français) avec une amélioration colossale de ses capacités d’interception, et donc de sa capacité de combat aérien. Cet avion a en grande partie combiné les qualités des précédentes unités F1 et FS, et c’est pourquoi le FS-X a par la suite été appelé F2, effaçant le « soutien » de son appellation. Le F-X nouvelle génération que nous sommes en train de développer n’est pas appelé chasseur FS-X précisément pour cette raison.

Si nous imaginons à quoi ressemblera la future flotte aérienne du Japon dans les années à venir, nous aurons sans doute des F-15 avec de nouvelles capacités, des F-35A et des F-35B, et des F-X. Ceci signifie probablement que nous devrons équiper les F-X avec des missiles air-sol non disponibles sur les plateformes F-15 et F-35, et permettant de mener des attaques air-sol sur les cibles à terre et dans la mer.

Le F-2 devrait être mis hors service au cours de la prochaine décennie. (© Miyata/Amana Images/Kyôdô)
Le F-2 devrait être mis hors service au cours de la prochaine décennie. (© Miyata/Amana Images/Kyôdô)

— À quoi ressemblera donc le prochain chasseur de nouvelle génération ?

I.S.  Je pense qu’il changera complètement notre conception des avions de chasse. Les chasseurs conventionnels étaient équipés de missiles, de mitrailleuses, de bombes et d’autres armes, et leur objectif était principalement d’affronter les avions ennemis dans le but d’affirmer la supériorité aérienne de leur armée, de mener des attaques air-sol contre les installations ennemies, ou de pénétrer les défenses maritimes. Cette mission première ne va probablement pas disparaître avec la prochaine génération de chasseurs, mais nous devrions voir leurs capacités de réseau évoluer considérablement, ce qui permettra de les faire fonctionner comme des capteurs pour l’intégralité des forces militaires.

— Quelles sont les améliorations apportées par l’augmentation des capacités de réseau des chasseurs ?

I.S.  Certaines de ces capacités sont déjà mises en place dans notre flotte de chasseurs actuelle, mais les nouveaux avions de chasse pourront réunir, relayer et transmettre beaucoup plus d’informations qu’avant. Ils auront des fonctionnalités que nous voyons aujourd’hui dans nos avions de reconnaissance, dans notre ELINT (intelligence électronique) dédiée à la guerre électronique, et dans notre ROEM (renseignement d’origine électromagnétique) qui s’occupe de l’interception des signaux et des communications. Ils pourront également fonctionner comme de petits SDCA (système de détection et de commandement aéroporté) qui pourront surveiller des zones relativement larges. En résumé, ces nouveaux chasseurs vont jouer un rôle centrale dans la stratégie de défense japonaise.

Une coordination plus précise avec les drones

— Que pouvez-vous nous dire sur l’intégration des nouveaux avions avec les appareils sans pilotes ?

I.S.  Nous devons considérer les configurations de combat dans lesquelles un chasseur ou un avion de transport contenant de multiples drones se lancerait sur une zone de conflit, et seraient contrôlés à la fois par un humain et par une intelligence artificielle pour mener des opérations de surveillance ou d’attaque sur le territoire ennemi. Les drones sont relativement peu chers, ce n’est donc pas une très grande perte quand ils sont détruits, et ils peuvent forcer les ennemis à utiliser de coûteux missiles pour les éliminer.

Les drones sont généralement assez petits, ce qui les rend difficile à repérer et à détruire. Si on les lâche en grand groupe, il est encore plus difficile pour l’ennemi de s’en débarasser. C’est ce type d’atout qui pourrait amener des changements considérables sur les champs de bataille du futur. Nous n’aurons peut-être pas la possibilité de finaliser ce genre de fonctions pour les inclure dans les premiers chasseurs F-X à prendre leur envol, mais c’est quelque chose qui sera nécessaire à l’avenir.

— Est-ce que ces drones, associés à la nouvelle génération de chasseurs, seront utiles pour détecter et réunir des informations sur les missiles balistiques, hypersoniques ou aux trajectoires irrégulières, que ce soit à leur lancement ou en vol ?

I.S.  Cela dépendra évidemment des capacités spécifiques des drones en question, mais je pense que ça fait parti du champ des possibilités. Généralement, les drones volent à basse altitude, ce qui les rend difficiles à détecter, et par conséquent capables de pénétrer profondément le territoire ennemi. Ceci pourrait leur permettre de surveiller les missiles balistiques et d’autres sites de lancement, utilisant leurs capteurs pour détecter les silos et les plateformes de lancement mobiles.

En déployant de multiples drones sur le trajet d’un missile balistique, on peut également calculer la route des missiles même de trajectoires petites ou irrégulières. Bien sûr, nous ne dépendront pas seulement des drones, ils devront être utilisés conjointement avec nos systèmes SEWS (« Shared Early Warning Systems ») d’alerte précoce partagée et avec nos constellations de satellites. Mais les rôles joués par les drones sont certains de s’étendre considérablement au fur et à mesure de notre avancée technologique. C’est pourquoi je crois qu’il est inévitable d’intégrer à terme des drones à la plateforme F-X.

— Quelles sont les autres fonctionnalités additionnelles que vous souhaitez intégrer à la plateforme ?

I.S.  Nous devons nous rappeler que même si nous parvenons à créer le chasseur le plus avancé du monde en 2035, quand nous commencerons à les mettre en service, le rythme de développement continuera de s’accélérer, et rapidement, notre avion sera certain d’être dépassé. L’important, c’est de continuer à travailler sur des avancées technologiques pour ce modèle tout en poursuivant le développement, mais également d’assurer l’extensibilité de la plateforme afin de pouvoir l’équiper de nouvelles capacités à l’avenir.

Je pense que cette nouvelle génération de chasseur pourrait bien être un atout que nous pourrons adapter à toutes les configurations de défenses nécessaires, en continuant à étendre ses capacités après son développement. Le F-35, développé aux États-Unis, continue à montrer des capacités d’évolutions similaires. Le Japon doit tenir compte des tendances mondiales et les refléter dans la construction du F-X.

Un besoin d’augmenter la portée des missiles

— La Russie a déployé son missile air-sol hypersonique Kinzhal sur le bombardier d’attaque Tupolev Tu-22M3, ainsi que sur d’autres avions. Le Japon doit-il également équiper ses nouveaux chasseurs de missiles hypersoniques ?

I.S.  D’après la théorie militaire et d’un point de vue sécuritaire, il est préférable de disposer d’un arsenal varié de types d’armes avec différentes fonctions. Mais nous devons également considérer les coûts budgétaires. Déterminer les types d’armements nécessaires et les endroits où les déployer est primordial, mais nous devons le faire sur la base d’une politique de sécurité nationale portant un regard complet sur tous les facteurs en jeu. Les décisions sur les fonctions que nous devons inclure à la nouvelle génération de chasseurs du Japon doivent être faites en prenant en compte ces points de vue globaux.

Bien sûr, les missiles hypersoniques sont extrêmement avancés en terme de ce qu’ils peuvent faire par rapport aux autres armes du même genre. Mais préparer ces armes pour un déploiement au sein des F-X impliquerait des coûts de développement énormes, et à l’étape actuelle, je ne pense pas que les bénéfices soient suffisants pour justifier un tel prix. Avant de s’embarquer dans un tel programme, il y a d’autre tâches à gérer, notamment celle d’augmenter la portée de nos missiles existants. Le Japon est capable de développer des technologies à la pointe de l’armement mondial dans ce domaine. Nos plateformes de missiles ASM-2 et ASM-3 sont des armes air-navire de haut niveau, et nos plateformes du domaine air-air, ASM-4 et ASM-5, ont des performances équivalentes.

Récemment, le Japon a déployé des missiles à longue portée produits dans d’autres pays, mais nous avons commencé à nous concentrer sur l’augmentation de la portée des armes produites au Japon. Ces améliorations pour nos missiles nous permettrons d’augmenter nos possibilités stratégiques, afin de développer notre propre force dissuasive.

— Les navires des Forces maritime d’autodéfense tels que Izumo et Kaga sont réassignés en tant que « porte-avions légers », et on revendique que le F-35B pourrait à la fois décoller et atterrir sur de telles plateformes. Est-ce que le Japon souhaite également faire du F-X un appareil capable de voler depuis et vers de tels porte-avions ?

I.S.  Des navires tels que le Izumo ne sont pas équipés de catapultes capables de lancer les avions, ce qui signifie que si nous souhaitons y propulser nos chasseurs de nouvelle génération, nous devons dès le stade conceptuel faire en sorte qu’ils soient fabriqués de manière semblable aux avions STOVL à décollage court et atterrissage vertical. La fonctionnalité STOVL est un élément important à considérer, et il sera sans doute une nécessité à l’avenir, mais pour le moment, ce n’est pas une priorité.

— Certains disent que la conception du F-X pourrait se faire en développement conjoint avec les Britanniques. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

I.S.  En décembre 2018, quand les directives du programme de défense nationale ont été publiées, une décision du Cabinet a déclaré que le Japon prendrait la direction du développement du F-X, tout en restant ouvert sur la possibilité d’une coopération internationale. En d’autres termes, le F-X est un projet principalement japonais, mais qui souhaite accueillir les entreprises étrangères prêtes à soutenir nos efforts. Des compagnies américaines telles que Lockheed Martin, qui a développé le F-22 et le F-35, Northrop Grumman, Boeing, et des entreprises britanniques telles que BAE Systems, ont toutes un savoir-faire considérable dans la fabrication des avions de chasse. Pour fournir les moteurs de notre plateforme, des compagnies américaines telles que GE, Pratt and Whitney et l’entreprise britannique Rolls Royce sont des candidats probables. Je pense que le cadre de développement du F-X prendra une forme plus concrète d’ici la fin de l’année.

L’objectif : une supériorité écrasante

— Quels seront les principaux rivaux du F-X dans l’est de l’Asie ?

I.S.  Idéalement, nous aimerions dire que le F-X sera sans rival. Nous devons faire en sorte que notre chasseur soit bien au-dessus de nos concurrents dans le domaine. Nous visons un niveau de technologie bien au-delà de celui que les autres nations cherchent actuellement à déployer. Quand le Japon a fait entrer dans son arsenal le F-15 et le P-3 Orion, il n’y avait aucun autre pays de la région à avoir accès à une telle technologie. Ils savaient donc qu’ils ne pouvaient pas tenir tête au Japon sur ce domaine. La supériorité technologique du pays était donc, en d’autres termes, une force dissuasive.

Le Japon est une nation de plus de 120 millions d’habitants. On ne compte cependant que 250 000 membres des Forces d’autodéfense, sans doute même moins si l’on compte les rotations et le besoin actuel de regarnir les rangs en recrutant. Nous ne pouvons donc nous défendre que contre un nombre assez limité de combattants ou de navires ennemis. Pour protéger la paix du Japon, son indépendance et sa sécurité, nous avons donc besoin de sécuriser un niveau de technologie bien supérieur à celui de nos compétiteurs. Nous devons faire de nos chasseurs de nouvelle génération des avions bien plus avancés que ceux des pays voisins, afin d’être sûrs qu’ils comprennent la supériorité technologique du Japon et cherchent ainsi à éviter de nous nuire. Le F-X deviendra donc une forme efficace de dissuasion. Je pense que le Japon est capable de développer son propre avion de chasse, prêt à accomplir toutes ces tâches.

(Photo de bannière : conception d’artiste de l’avion de chasse F-X, le remplaçant probable du chasseur japonais F-2. Avec l’aimable autorisation du ministère de la Défense. Jiji)

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