Le b.a.-ba du Japon

La céramique japonaise : une tradition vivante aux multiples visages

Art Culture

Tout au long de leur histoire, les Japonais ont utilisé de la terre pour fabriquer des objets à usage utilitaire, esthétique ou rituel. Chaque style de poterie de l’Archipel est étroitement lié à l’environnement spécifique de la région où il s’est développé et à la façon de vivre de ses habitants. Les céramiques produites sont donc de toute originalité.

Des figurines auréolées de mystère

Les vestiges de céramique les plus anciens retrouvés au Japon datent de la préhistoire et plus précisément de la période dite Jômon (11 000 av. J.-C.-400 av. J.-C.). Le mot lui-même signifie « à décor cordé », en faisant référence aux poteries. Les formes très particulières de certaines figurines, le mystère dont elles sont auréolées et l’énergie qui en émane ont suscité un regain d’intérêt notamment à l’occasion de l’exposition Jômon – Naissance de l’art dans le Japon préhistorique organisée par la Maison de la culture du Japon à Paris, du 17 octobre au 8 décembre 2018.

Figurines anthropomorphes en terre cuite (dôgu) datant de l’époque Jômon (11 000 av. J.-C.-400 av. J.-C.). (A gauche) La « Vénus de Jômon » découverte en 1986 dans la préfecture de Nagano. (A droite) La « déesse masquée » retrouvée en l’an 2000 dans la même région du Japon. (Jiji Press)
Figurines anthropomorphes en terre cuite (dogû) datant de l’époque Jômon (11 000 av. J.-C.-400 av. J.-C.). À gauche : la « Vénus de Jômon » découverte en 1986 dans la préfecture de Nagano. À droite : la « Déesse masquée » retrouvée en l’an 2000 dans la même région du Japon. (Jiji Press)

Céramiques poreuses et céramiques vitrifiées

Les poteries sont fabriquées avec des matières premières naturelles, notamment de l’argile ou du grès dont certains composants ont la propriété de se vitrifier à la cuisson. Les potiers façonnent la terre glaise pour créer des objets de formes très diverses qu’ils font ensuite cuire afin de leur donner une certaine solidité. On classe généralement les céramiques en deux catégories suivant qu’elles sont poreuses ou vitrifiées (porcelaine). Les poteries de type poreux sont cuites à une température moins élevée que la porcelaine et elles sont dans la plupart des cas plus épaisses. Elles ont aussi une apparence nettement plus chaleureuse. Les céramiques de type vitrifié doivent leur aspect au kaolin - une argile blanche friable et résistante -, au quartz et aux feldspaths avec lesquels elles sont réalisées. Et elles se signalent aussi par un grain beaucoup plus fin. Après une cuisson supérieure à 1 200 degrés, la porcelaine devient extrêmement dure et elle est vitrifiée en profondeur. Chacune de ces deux catégories de terre cuite a donné lieu à des styles très divers caractérisés par un décor constitué suivant les cas de glaçures en tous genres, de petites touches au pinceau ou d’incisions et de motifs en creux réalisés à l’aide d’un ciseau ou d’un poinçon.

Les « six anciens fours » (rokkoyô) du Japon

Entre la fin de l’époque de Heian (794-1185) et celle de l’époque de Muromachi (1336-1568), la céramique japonaise a connu une phase particulièrement prolifique. Durant cette période, des potiers ont construit des fours dans plusieurs parties de l’Archipel. Et c’est alors que les « six anciens fours » (rokkoyô), considérés comme les plus prestigieux du Japon, se sont constitués. Bizen, dans la préfecture d’Okayama. Tanba, dans la préfecture de Hyôgo. Shigaraki, dans la préfecture de Shiga. Tokoname et Seto dans la préfecture d’Aichi. Et Echizen, dans la préfecture de Fukui. En 2017, ces six sites ont été inscrits par le gouvernement japonais sur la liste du patrimoine culturel de l’Archipel.

À gauche : flacon à saké caractéristique de la céramique de Bizen, dans la préfecture d’Okayama. Les superbes effets de couleur sont dus non pas à une glaçure mais à la cendre fondue qui s’est déposée naturellement sur l’objet durant sa cuisson à haute température dans un four à bois. À droite : Kamagaki no komichi, littéralement « la ruelle bordée par des fours » de la ville de Seto, dans la préfecture d’Aichi. Elle longe en partie un mur constitué par d’anciens étais de four. La céramique de Seto est très ancienne et elle doit sa renommée à sa haute qualité à la fois technique et esthétique. (Photo : Pixta)
À gauche : flacon à saké caractéristique de la céramique de Bizen, dans la préfecture d’Okayama. Les superbes effets de couleur sont dus non pas à une glaçure mais à la cendre fondue qui s’est déposée naturellement sur l’objet durant sa cuisson à haute température dans un four à bois. À droite : Kamagaki no komichi, littéralement « la ruelle bordée par des fours » de la ville de Seto, dans la préfecture d’Aichi. Elle longe en partie un mur constitué par d’anciens étais de four. La céramique de Seto est très ancienne et elle doit sa renommée à sa haute qualité à la fois technique et esthétique. (Pixta)

La céramique en grès brun rouge à l’aspect granuleux de Shigaraki, dans la préfecture de Shiga, est l’une des plus anciennes du Japon. Ses origines remontent en effet à la fabrication des premières tuiles de l’Archipel. Les effigies de toutes tailles que l’on voit ci-dessus constituent autant de représentations de tanuki, une entité des forêts à la fois malicieuse et bienveillante à laquelle les habitants de l’Archipel attribuent des pouvoirs magiques. (Pixta)
La céramique en grès brun rouge à l’aspect granuleux de Shigaraki, dans la préfecture de Shiga, est l’une des plus anciennes du Japon. Ses origines remontent en effet à la fabrication des premières tuiles de l’Archipel. Les effigies de toutes tailles que l’on voit ci-dessus constituent autant de représentations de tanuki, une entité des forêts à la fois malicieuse et bienveillante à laquelle les habitants de l’Archipel attribuent des pouvoirs magiques. (Pixta)

Ce qui lie la poterie et la cérémonie du thé

Entre la seconde moitié du XVIe siècle et la première partie de l’époque d’Edo (1603-1868), les potiers de l’Archipel ont fait preuve d’une remarquable créativité à la fois technique et esthétique. Au même moment, le maître Sen no Rikyû (1522-1591) a porté l’art du thé à sa perfection. Outre la codification de la cérémonie du thé (sadô) proprement dite, il a contribué à l’apparition de poteries uniques en leur genre incluant des ustensiles spécifiques ainsi que des vases et des bols d’une étonnante sobriété élaborés par les fondateurs des dynasties de potiers Raku et Oribe.

Le shogun Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), un des trois grands artisans de l’unification du Japon, était un pratiquant assidu de la voie du thé. Il a profité de l’invasion de la Corée par ses troupes, en 1592, pour ramener au Japon des potiers coréens. Ceux-ci ont alors construit des fours dans l’île de Kyûshû et fabriqué des objets en grès en mettant en œuvre de nouvelles techniques qui ont été tout particulièrement appréciées par Sen no Rikyû et les adeptes de la cérémonie du thé.

Les potiers coréens installés dans la région d’Arita (préfecture de Saga) par Toyotomi Hideyoshi ont en outre produit de la porcelaine, une première au Japon. Ce style de céramique – bleu de cobalt, rouge de fer sur fond blanc, rehaussé à l’or -, connu sous le nom d’Imari, a eu un succès foudroyant et a donné lieu à un nombre considérable de copies. La porcelaine d’Arita, qui a célébré son 400e anniversaire en 2016, s’est également illustrée avec un autre style appelé Kakiemon. Celui-ci se signale par un décor d’une grande finesse et l’utilisation d’émaux en glaçure en harmonie parfaite avec la blancheur de la porcelaine. Dès lors, le Japon a commencé à produire de grandes quantités d’objets en porcelaine superbement décorés.

Au cours du cha no yu, le maitre de cérémonie utilise un petit fouet en bambou pour faire mousser le thé. Le bol d’une grande sobriété que l’on voit ci-dessus répond aux codes spécifiques définis par la voie du thé (sadô). (Pixta)
Au cours de la cérémonie du thé, le maitre utilise un petit fouet en bambou pour faire mousser le thé. (Pixta)

Plat en porcelaine d’Arita, une petite ville située dans l’île de Kyûshû. Les deux demi-cercles dorés qui ornent son rebord indiquent qu’il a fait l’objet d’une restauration avec la technique du kintsugi (littéralement « jointure à l’or »), à base de laque et de poudre d’or. (Pixta)
Plat en porcelaine d’Arita, une petite ville située dans l’île de Kyûshû. Les deux demi-cercles dorés qui ornent son rebord indiquent qu’il a fait l’objet d’une restauration avec la technique du kintsugi (littéralement « jointure à l’or »), à base de laque et de poudre d’or. (Pixta)

Dès le XVIIIe siècle, les techniques des potiers d’Arita ont commencé à se répandre dans le reste du Japon notamment Kyoto, Kutani (préfecture d’Ishikawa), et Seto (préfecture d’Aichi). Par ailleurs à partir du début de l’ère Meiji (1868-1912), la culture japonaise a bénéficié du soutien d’adeptes fortunés de la cérémonie du thé, en particulier Nezu Kaichirô, un homme d’affaires dont la collection a servi de base au musée Nezu de Tokyo, et Hara Sankei, un commercant de soie qui a conçu le jardin Sankei-en de Yokohama.

Le « mouvement pour  l’art populaire » mingei undô

En 1925, un « mouvement pour l’art populaire » (mingei undô) s’est constitué au Japon à l’initiative de l’écrivain Yanagi Sôetsu et de deux potiers de grand talent Hamada Shôji et Kawai Kanjirô, et avec l’appui du céramiste britannique Bernard Leach. Le mingei undô  a mis essentiellement l’accent sur la beauté des objets usuels créés par des artisans anonymes et il a eu un retentissement considérable non seulement au Japon mais aussi en Occident.

Trois exemples de céramique d’Onta (onta yaki), un petit village de potiers situé dans la préfecture d’Ôita. Le onta yaki se caractérise par une grande sobriété et un décor d’une remarquable simplicité constitué de motifs géométriques gravés dans l’argile avec la technique du tobi-kanna.
Trois exemples de céramique d’Onta (onta yaki), un petit village de potiers situé dans la préfecture d’Ôita. Le onta yaki se caractérise par une grande sobriété et un décor d’une remarquable simplicité constitué de motifs géométriques gravés dans l’argile avec la technique du tobi-kanna.

Un des mérites du « mouvement pour l’art populaire » a été d’attirer l’attention des Japonais sur le petit village de potiers d’Onta, dans la préfecture d’Ôita. Pendant plus de trois siècles, dix familles ont exercé sans discontinuer leur activité sur place en se transmettant leurs secrets de fabrication de père en fils. Et elles ont ainsi réussi à conserver leurs fours et leurs traditions jusqu’à nos jours. En 1995, le gouvernement japonais a classé les techniques de la céramique d’Onta en tant que Bien culturel immatériel important.

Un avenir plein de promesses

Pendant la période de croissance économique de l’après-guerre, le niveau de vie des Japonais s’est considérablement amélioré. Mais à l’époque, les poteries étaient encore considérées comme des objets d’art. Ce n’est qu’à partir de l’explosion de la bulle économique du début des années 1990, que les habitants de l’Archipel ont commencé à rechercher des objets adaptés à un usage courant, notamment les jeunes. Tant et si bien qu’à l’heure actuelle, la production de céramique est en train de se diversifier de plus en plus en même temps que le goût des consommateurs.

Mais la céramique traditionnelle japonaise n’a pas pour autant perdu son attrait. Deux fois par an, en mai et en octobre, les régions de l’Archipel où il y a des fours organisent une fête de la poterie. Pour les visiteurs, c’est l’occasion d’acquérir de belles pièces et de rencontrer les potiers en personne. Cette manifestation a pris une grande ampleur dans trois sites de production de l’Archipel. Mino (préfecture de Gifu), Imari (Arita) dans l’île de Kyûshû et Seto. Certains amateurs de poterie vont jusqu’à organiser des voyages pour faire plus ample connaissance avec la céramique, l’histoire, l’artisanat et la gastronomie locales. De toute évidence, la céramique traditionnelle japonaise a encore de beaux jours devant elle.

Depuis 1982, la ville de Kasama, dans la préfecture d’Ibaraki, abrite la fête de la céramique de Himatsuri qui a lieu chaque année, au printemps et à l’automne. Les potiers exposent leurs créations dans des stands où ils les vendent directement à la clientèle.
Depuis 1982, la ville de Kasama, dans la préfecture d’Ibaraki, abrite la fête de la céramique de Himatsuri qui a lieu chaque année, au printemps et à l’automne. Les potiers exposent leurs créations dans des stands où ils les vendent directement à la clientèle.

(Photo de titre : deux bols à thé et une verseuse, créations de Yokoyama Takuya présentées lors de l’exposition personnelle que lui a consacré la galerie Toukyo située dans le quartier de Nishi-Azabu, à Tokyo.)

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