La modernité de l’esthétique traditionnelle

Les secrets de l’architecture japonaise en bois : de la prévention de l’apparition de moisissures

Architecture Tradition

Si le bois est si présent dans l’architecture traditionnelle japonaise, ce n’est pas par hasard. Le climat humide de l’Archipel, en particulier les mois d’été, en sont la principale raison. Les planchers sont surélevés et les espaces ouverts pour assurer une bonne ventilation et ainsi prévenir l’apparition de moisissures toxiques. Autre avantage du bois : il s’avère efficace pour la résistance aux typhons et aux tremblements de terre.

Pourquoi le bois alors que les incendies sont fréquents ?

Une fois, un étudiant en architecture européenne m’avait posé la question suivante : « Pourquoi les Japonais utilisaient-ils quasiment exclusivement du bois pour la construction de leurs habitations, alors que les incendies étaient autrefois fréquents ? » Le feu est en effet un danger pour une construction japonaise en bois, en témoigne la législation actuelle stricte en cas d’incendie. Cependant, les incendies représenteraient le plus faible pourcentage des catastrophes naturelles qui frappent le pays ; le matériau de construction utilisé n’a donc pas été choisi pour faire face au feu. En revanche, trois autres dangers menacent les constructions japonaises, à savoir les typhons, les tremblements de terre et le plus important, les moisissures.

Dans cette nouvelle maison, la cuisine est éloignée du salon par un séparateur de plafond sagarikabe de 600 mm. Il a pour effet de ralentir la propagation de la fumée et du feu (© Architectonic Atelier Yuu)
Dans cette nouvelle maison, la cuisine est éloignée du salon par un séparateur de plafond sagari-kabe de 60 cm. Il a pour effet de ralentir la propagation de la fumée et du feu (© Architectonic Atelier Yuu)

La moisissure est un fléau pour les bâtiments du XXe siècle dans le monde entier. Dans un souci d’efficacité énergétique, les pays développés ont introduit de nouvelles méthodes d’isolation thermique, obligeant à réduire le flux d’air entre l’intérieur et l’extérieur des habitations. Malheureusement, les problèmes liés à la moisissure et le syndrome de la « maison malade » ont rapidement eu raison de ces nouvelles méthodes mais aussi et surtout, ils ont vite prouvé qu’une absence de contrôle de l’humidité et une mauvaise ventilation sont tout à fait insalubres. Pour remédier à ce problème, de nos jours, les constructions s’appuient sur une ventilation structurelle et mécanique, ce qui augmente considérablement le coût et la complexité des travaux.

Malheureusement, une grande partie du Japon réunit les conditions idéales pour l’apparition de moisissures et de nombreux autres types de champignons. Les températures descendent rarement en dessous de -10 ° C et peuvent dépasser les 35 ° C, une amplitude thermique sur l’année leur permettant de proliférer dans les habitations. Mais ce n’est pas tout. Au-delà des températures, il y a l’humidité. Il n’est pas rare au Japon que le taux d’humidité se maintienne au-dessus des 70 % pendant plusieurs semaines, typiquement pendant les mois chauds de l’été. Et le début de la saison des pluies, c’est là où la moisissure peut devenir vraiment destructrice. Les femmes craignent que leurs cheveux ne moisissent à leur tour s’ils ne sont pas correctement séchés, et que dire des nombreuses paires de chaussures qui se sont recouvertes de ce dépôt verdâtre alors qu’elles étaient tout simplement rangées dans le placard.

C’est pourquoi, pour prévenir l’apparition de moisissures, dans les constructions traditionnelles en bois, le bâtiment est généralement surélevé, construit au-dessus du niveau du sol, et les murs sont laissés presque ouverts pour permettre la circulation libre de l’air sous, autour et à travers tout l’espace intérieur. Les bâtiments de plus de 300 ans encore dans leur état d’origine sont généralement très sobres et contiennent très peu de meubles et accessoires. Il s’agit notamment de temples, de sanctuaires, de palais et de maisons de personnes appartenant à la classe supérieure.

Le rez-de-chaussée d'une minka (littéralement « maison du peuple ») traditionnelle presque entièrement ouvert pour permettre la libre circulation de l'air (© Architectonic Atelier Yuu)
Le rez-de-chaussée d’une minka, une maison japonaise traditionnelle, presque entièrement ouvert pour permettre la libre circulation de l’air (© Architectonic Atelier Yuu)

Les maisons privées étaient généralement construites avec des bois lourds, ce qui permettait de façon naturelle une très bonne ventilation. L’humidité pouvant être relativement élevée même en hiver, le flux d’air y était abondant même lorsque la maison était fermée aux éléments extérieurs. L’air circulait en divers endroits : à travers les espaces entre les volets en bois et les portes coulissantes de papier shôji, entre les murs et le toit et souvent grâce à la présence de cheminées entièrement ouvertes.

Seulement, grâce à cette ventilation les maisons traditionnelles japonaises sont assez confortables en été, elles le sont beaucoup moins en hiver. Il y fait froid si bien que porter de nombreuses couches de vêtements et avoir des engelures aux doigts était autrefois apparemment le petit prix à payer pour éviter l’apparition de moisissures chez soi.

Cette ferme est surélevée d'environ 50 cm au-dessus du niveau du sol. Presque tous les murs du rez-de-chaussée peuvent être ouverts, permettant la libre circulation de l'air. Dans les villes, il est devenu quasiment illégal de laisser la zone en dessous de la maison ouverte, car elle agit comme un appel d’air en cas d'incendie (© Anne Kohtz)
Cette ferme est surélevée d’environ 50 cm au-dessus du niveau du sol. Presque tous les murs du rez-de-chaussée peuvent être ouverts, permettant la libre circulation de l’air. Dans les villes, il est devenu quasiment illégal de laisser la zone en dessous de la maison ouverte, car elle agit comme un appel d’air en cas d’incendie (© Anne Kohtz)

La culture de la maison de 30 ans

Des historiens chinois ont constaté que les pratiques religieuses des peuples de l’Archipel avaient principalement trait à la propreté et à la pureté, éléments qui ont marqué et marquent encore de nombreuses pratiques culturelles. Le fait que le climat du Japon favorise l’apparition des moisissures dans les maisons pourrait en partie expliquer pourquoi la culture de la propreté était si répandue et pourquoi « l’impureté » reste encore à ce jour un tabou.

Si le Japon est considéré par un grand nombre comme un pays très ancré dans les traditions, le côté « nouveau » est largement plébiscité parmi les habitants de l’Archipel. Les grandes entreprises de construction conçoivent leurs maisons pour durer environ 30 ans, et elles ne s’en cachent pas ! Ensuite la maison sera généralement détruite pour faire place à une autre habitation. L’idée qu’une maison est « vieille » après seulement 30 ans surprend en Occident mais en fait, c’est également le moyen idéal d’éliminer entièrement les moisissures et les insectes qui ont pu s’y nicher, éléments à ne pas négliger en raison du climat.

L’apparence, la taille et les marques de coupe dans la poutre centrale indiquent que cette dernière provient d’une autre maison. La construction japonaise en bois à piliers et poutres est particulièrement adaptée dans une culture de reconstruction fréquente, car elle permet de réutiliser bon nombre des parties les plus précieuses d'un bâtiment (© Architectonic Atelier Yuu)
L’apparence, la taille et les marques de coupe dans la poutre centrale indiquent que cette dernière provient d’une autre maison. La construction japonaise en bois à piliers et poutres est particulièrement adaptée dans une culture de reconstruction fréquente, car elle permet de réutiliser bon nombre des parties les plus précieuses d’un bâtiment (© Architectonic Atelier Yuu)

Cette culture de la reconstruction peut également se retrouver dans l’histoire. Jusqu’au VIIIe siècle, il n’était pas rare de changer de palais à la mort d’un empereur et même parfois de choisir une nouvelle ville pour établir la capitale impériale. Cette culture de la reconstruction n’était possible que dans le cas d’une architecture relativement éphémère.

Cette idée se retrouve dans de nombreux aspects de la culture de l’époque d’Edo (1603–1868). Selon un dicton populaire, le feu était l’une des deux « fleurs » d’Edo, car la ville « prospérait » fréquemment. Ces incendies, qui firent l’objet de nombreux récits et gravures sur bois au cours de la période, ont bien sûr considérablement réduit la durée de vie moyenne des bâtiments.

Déménager signifiait se débarrasser de la maison tout entière à l’exception de la structure en bois. Cette charpente était ensuite démontée et les éléments en bois étaient remontés sur un toit et des murs neufs. Toutes les pièces qui pourraient avoir vu l’apparition de moisissures étaient immanquablement remplacées ; un moyen idéal pour limiter les dommages causés par celles-ci et les insectes tout en préservant les parties les plus durables d’une maison et en faisant ainsi quelques économies. En effet, aujourd’hui des poutres et des colonnes extrêmement anciennes connaissent une seconde vie, pour la construction de fermes par exemple.

Bois versus métal

Les guildes, le protectionnisme et les décisions politiques du shogunat de Tokugawa ont été à l’origine de l’utilisation limitée d’attaches métalliques dans les constructions pendant l’époque d’Edo. Ce fut un facteur majeur qui favorisa le développement de la menuiserie japonaise tout en bois même après que l’acier est devenu plus abordable. Toutefois, les fixations métalliques, il faut bien l’avouer, ont une vie beaucoup plus courte que les jointures tout bois, à moins de les fixer dans du bois bien durci et d’éviter tout contact avec l’air. Dans le cas d’un bois qui n’a pas été bien durci, les joints métalliques peuvent se desserrer de saison en saison et le matériau environnant se dilater. De plus, lorsqu’ils sont en contact avec l’air, les joints métalliques risquent une oxydation rapide en raison du climat humide du Japon. Par ailleurs, une force exercée en continu entraînera au fil du temps une fatigue du métal.

La jointure en bois, elle, gagne en résistance à mesure qu’elle vieillit et que les cellules du bois durcissent. Calculs à l’appui, il est prouvé que des jointures en bois peuvent être plus solides pour la structure de la maison des siècles après la construction initiale. En général, le bois gagne en résistance pendant 200 à 300 ans après avoir été coupé. Ensuite, sa résistance diminue progressivement, mais il faudra mille ans environ pour qu’une poutre en bois correctement durcie retrouve sa force de résistance initiale, lorsque le bois a été coupé.

Des clous et des attaches rouillés récupérés lors de la démolition d'une maison de thé au toit de chaume de 60 ans (© Anne Kohtz)
Des clous et des attaches rouillés récupérés lors de la démolition d’une maison de thé au toit de chaume de 60 ans (© Anne Kohtz)

Une jointure en bois dans une ferme rénovée datant de l’époque d’Edo. Selon les propriétaires, la maison aurait au moins 250 ans (© Architectonic Atelier Yuu)
Une jointure en bois dans une ferme rénovée datant de l’époque d’Edo. Selon les propriétaires, la maison aurait au moins 250 ans (© Architectonic Atelier Yuu)

Le bois face aux typhons et aux séismes

Les moisissures ne sont pas les seuls dangers naturels menaçant les constructions au Japon. Les typhons, leurs vents violents et leurs pluies torrentielles, expliquent également le choix du bois comme matériau de construction principal. Des avant-toits très profonds en surplomb sont recommandés pour protéger les murs. Quant aux toits, ils sont généralement lourds pour ne pas s’envoler en cas de bourrasques.

Cette maison rénovée au toit de chaume a de profonds auvents qui protègent ses murs. Le toit est fait de tuiles, ce qui lui assure une bonne résistance aux vents violents. Le chaume utilisé est également attaché à la structure du toit au moyen de cordes de paille (© Architectonic Atelier Yuu)
Cette maison rénovée au toit de chaume a de profonds auvents qui protègent ses murs. Le toit est fait de tuiles, ce qui lui assure une bonne résistance aux vents violents. Le chaume utilisé est également attaché à la structure du toit au moyen de cordes de paille (© Architectonic Atelier Yuu)

Une structure en bois élaborée, en particulier sans accès aux supports et aux attaches métalliques, est indispensable pour la construction de toits lourds en porte-à-faux. Pour résister aux typhons, ces toits lourds devraient être soutenus par d’épais murs de pierre ou de maçonnerie. Mais dans un pays où les tremblements de terre et les typhons fréquents peuvent être tout aussi dévastateurs, la construction de murs en pierre est peu recommandée (sans parler de la condensation que cela générerait lors de la saison des pluies).

Dans une construction traditionnelle japonaise en bois, la structure en bois apparaît presque entièrement, ce qui permet de repérer rapidement toute infiltration d’eau, comme une fuite dans le toit par exemple. Réagir rapidement permettra d’éviter le premier danger auquel sont exposées les constructions japonaises et que nous avons mentionné en tout premier lieu : la prolifération de moisissures.

La structure de ce bâtiment de portail rénové est visible de l'intérieur et de l'extérieur, facilitant le repérage de n’importe quel type de problème. Des éléments peuvent ainsi être rapidement réparés ou remplacés (© Architectonic Atelier Yuu)
La structure de ce bâtiment de portail rénové est visible de l’intérieur et de l’extérieur, facilitant le repérage de n’importe quel type de problème. Des éléments peuvent ainsi être rapidement réparés ou remplacés (© Architectonic Atelier Yuu)

La résistance aux tremblements de terre est la troisième raison majeure pour le choix de constructions en bois. Les maisons occidentales modernes sont construites comme une boîte solide fermement attachée à une fondation. Dans ce cas, la résistance aux tremblements de terre est obtenue en s’assurant que les murs sont suffisamment robustes pour résister aux secousses latérales. Le bâtiment se déplacera donc avec le sol, faisant ressentir aux résidents toute la force du tremblement de terre.

En revanche, dans le cas de maisons traditionnelles en bois, les jointures en bois elles aussi sont flexibles, permettant l’absorption d’une grande partie de l’énergie latérale d’un tremblement de terre par la souplesse des jointures elles-mêmes. Cela permet à un bâtiment avec un toit lourd mais sans murs solides de rester en place même en cas de fortes secousses. De nombreux anciens bâtiments en bois au Japon ont été construits de la même manière qu’une chaise en bois, avec des piliers de soutien reliés à la partie supérieure où se trouve le toit, et par des croisillons dans la partie inférieure. Cela permet de soutenir de façon sûre une structure dynamique et lourde dans la partie supérieure.

Croquis des élévations du clocher de Myôshinji à Kyoto. La structure centrale n'a aucun mur solide. Sa construction peut en ce sens être comparée à celle d’une chaise en bois (© Anne Kohtz)
Croquis des élévations du clocher du temple Myôshin-ji à Kyoto. La structure centrale n’a aucun mur solide. Sa construction peut en ce sens être comparée à celle d’une chaise en bois (© Anne Kohtz)

La plupart des bâtiments traditionnels n’avaient ni fondations ni sous-sol. Lors d’un tremblement de terre, on pourrait s’attendre à ce que la structure se détache des pierres de base, à ce que les murs en torchis se brisent et à ce que le bois se torde ou se plie. Cependant, un bâtiment en bois, lui, s’il est correctement construit, ne s’écroulera probablement pas. En fait, encore aujourd’hui, l’isolation de sa base — séparer complètement le bâtiment de ses fondations pour lui permettre de glisser librement pendant un tremblement de terre — est devenue un must de la conception parasismique. L’isolation de base traditionnelle (placer simplement une structure sur une base solide sans la fixer) est cependant devenue en grande partie illégale au Japon.

Importance de la sylviculture au Japon

Une dernière raison expliquant la préférence pour le bois dans la construction traditionnelle japonaise est sa disponibilité immédiate dans l’Archipel. Entre 40 ans et 60 ans seulement sont nécessaires pour obtenir des bois utilisés couramment, tels que la cryptoméria, le cyprès ou le pin. La cryptoméria et le cyprès ont la particularité d’être résistants à la fois aux moisissures et aux insectes, ce qui en fait des matériaux de construction adaptés au climat japonais. Et, comme expliqué ci-dessus, les avantages du choix du bois comme matériau de construction ont tendance à l’emporter sur le danger d’incendie. Les résidents avaient généralement le temps de s’enfuir et les flammes pouvaient dans de nombreux cas être éteintes avant de causer de graves dommages.

Les charpentiers japonais ont su mettre à profit les techniques de construction en bois depuis de nombreuses générations, nous léguant un trésor : de magnifiques constructions durables, sûres, compatibles avec un style de vie moderne et résistantes aux moisissures.

(Photo de titre : une ferme minka récemment rénovée © Architectonic Atelier Yuu)

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