Contes et légendes du Japon

Tromperie et vengeance : « Sarukani Gassen », la bataille du singe et des crabes

Culture Livre

Ce conte japonais est l’histoire d’une tromperie, suivie d’une vengeance terrible.

Une trouvaille chanceuse

Il était une fois un crabe et un singe, qui étaient très bons amis. Un beau jour, ils partirent se promener tous les deux, et alors que le singe gambadait tranquillement le long du chemin, il trouva une graine de kaki. Plus tard, le crabe, lui, ramassa une boulette de riz, alors qu’il longeait la rivière. « Eh, regarde ! » dit le crabe en appelant son compagnon. Pendant un moment, le singe fixa du regard sa future pitance, avant de sortir joyeusement de son épaisse fourrure la graine de kaki qu’il venait de trouver.

« Oh, ce n’est rien ça. Regarde ce que j’ai, moi. » Le singe offrit au crabe d’échanger sa graine de kaki contre la boulette de riz. « Mais elle est beaucoup plus petite » objecta le crabe. « Ah… » dit le singe. « Mais tu peux la planter et elle donnera un bel arbre, et ces délicieux fruits que tu aimes tant. » Ce faisant, le crabe accepta l’échange. Le singe saisit la boulette de riz et n’en fit qu’une bouchée.

Le crabe planta la graine de kaki dans son jardin et prit soin de l’arroser chaque jour. Très vite, une minuscule pousse sortit de terre. Chaque jour, le crabe lui chanta des chansons tout en l’abreuvant de l’eau nécessaire. Le temps passa et la minuscule pousse grandit pour devenir un arbre majestueux. Au printemps, ses feuilles qui avaient recouvert ses branches robustes laissèrent place à de magnifiques fleurs. Le crabe chanta et chanta pour voir les fruits mûrir. Et quand vint l’automne, les kakis devinrent si nombreux que les branches ployèrent sous le poids des fruits.

Un fruit mortel

Mais par sa petite taille, le crabe ne pouvait pas atteindre les fruits avec ses pinces. Il essaya bien de grimper au tronc de l’arbre, mais en vain. Non, il ne lui restait plus qu’à contempler les fruits au-dessus de sa tête, en soupirant. Un jour, le crabe alla demander de l’aide au singe qui passait par là, le priant d’aller cueillir les kakis. En échange, il lui céderait bien sûr quelques fruits. À ces mots, le singe accepta l’offre et se précipita sur-le-champ au sommet de l’arbre.

Le singe se gava de fruits, là-haut, tout là-haut où le crabe ne pouvait le voir. « Ils sont absolument délicieux » se réjouit-il en se léchant les babines. « Gorgés de sucre et de jus » jubila-t-il.

« Régale-toi bien » lui cria le crabe. « N’oublie pas de m’en ramener » ajouta-t-il. Le singe lécha ses pattes encore toutes dégoulinantes de jus et regarda autour de lui. Sélectionnant à dessein un fruit encore vert, il le lança avec force en direction du crabe.

Le crabe se rapprocha et goûta le fruit. « Celui-ci est trop amer. Donne-moi en un mûr. » Le singe s’esclaffa et lui lança un autre fruit, encore plus vert celui-ci. Le crabe protesta derechef, très en colère. Choisissant le plus dur et le plus vert des kakis sur l’arbre, le singe le projeta directement sur le crabe. Le fruit percuta de plein fouet la carapace du crabe et l’animal mourut sur le coup.

Le singe s’en alla le ventre bien rempli et les bras chargés de fruits. Les enfants du crabe qui avaient assisté à la scène regardèrent le singe s’enfuir lâchement. Ils s’approchèrent de l’arbre, pleurant à chaudes larmes leur défunte mère, sous les branches pillées et saccagées de l’arbre. Une vieille s’approcha et s’enquit de la situation. « Nous nous vengerons de ce singe fourbe » lui jurèrent d’une seule voix les petits crabes. La châtaigne accepta de leur prêter main forte, bientôt rejointe par d’autres qui passaient par là, bientôt rejointe par une guêpe, une bouse de vache et un mortier en bois.

Pris au piège chez soi

Après avoir prêté serment tous ensemble, le petit groupe ainsi formé se mit en route en direction de la maison du singe. Il n’était pas chez lui ; c’était parfait pour mener leur plan à exécution et donner une bonne leçon à ce gredin. La châtaigne fut la première. Elle se précipita et s’enfouit dans les cendres du foyer. Ensuite, ce fut au tour de la guêpe qui se cacha derrière une cruche d’eau. La bouse de vache, elle, vint se disposer devant la sortie de la porte et le mortier en bois vint se jucher sur le toit.

Le singe revint au crépuscule, épuisé de sa journée. Il alla s’échouer vers l’âtre de la maison. « J’ai soif » marmonna-t-il pour lui-même et alla chercher la bouilloire. C’est à ce moment-là que la châtaigne surgit des cendres et brûla le nez du singe. Dans un cri de douleur, le singe voulut saisir la cruche à eau pour apaiser son nez cramoisi mais c’était sans compter la guêpe qui l’en empêcha et qui, vrombissant, vint planter son dard sur son front.

Le singe chercha à s’enfuir de la maison mais la bouse de vache était là et l’attendait de pied ferme. Étourdi, le singe glissa et s’étala de tout son long sur le sol. Depuis le toit, le mortier se jeta sur le singe, aplatissant littéralement l’animal. Les petits crabes se précipitèrent sur place et encerclèrent le singe et dirent : « Nous avons vengé le meurtre de notre défunte mère ». Et avec leurs pinces acérées, tous ensemble, ils lui coupèrent la tête.

(Texte de Richard Medhurst, de Nippon.com. Cette histoire est maintenant souvent racontée dans une version édulcorée pour les enfants. Aucun personnage ne meurt et le singe reconnaît ses torts. La bouse de vache est parfois remplacée par un morceau d’algue kombu. Illustrations de l’article par Stuart Ayre)

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