Le périple d'un photographe au sein de la société hyper-vieillissante du Japon
Une rééducation réussie : la révolution du fauteuil roulant COGY
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Il y a plusieurs années, j’ai publié un recueil de photographies prises dans un centre de rééducation. J’ai pu constater que ce qui était difficile à accomplir seul devenait possible en groupe, et que quelle que soit la sévérité du handicap, la possibilité de rêver à un avenir meilleur redonnait des forces. Ces deux facteurs sont les clés d’une rééducation réussie et sont devenus les thèmes principaux de mon livre. Après plus de 16 ans, j’ai eu envie de constater l’évolution de ce lieu. C’est là où j’ai découvert le COGY (un jeu de mots sur le verbe kogu, pédaler en japonais), un fauteuil roulant révolutionnaire à pédales.
La rééducation des personnes âgées
En visionnant une vidéo sur le COGY, j’ai d’abord remarqué le jaune pétant et le design branché du fauteuil. Mais je restais perplexe. Un fauteuil roulant, c’est pour les personnes qui ne peuvent pas marcher, donc à quoi servent les pédales ? Et puis j’ai noté l’expression surprise et excitée des utilisateurs, et la joie et l’espoir dans leurs yeux. Je n’avais jamais vu de tels regards dans un centre de rééducation ! J’ai pu saisir cet instant où le désespoir se transforme en espoir à l’éveil d’une capacité qui était restée endormie au fond de chacun. Ces sourires illuminaient la pièce entière.
Dans la vidéo, on pouvait observer un homme paraplégique depuis 13 ans. En poussant légèrement sur une pédale, sa jambe paralysée se mettait à bouger, ce qui le prenait complètement au dépourvu. Il comprenait à peine ce qui lui arrivait. Tout son corps était épuisé, mais on ressentait son bonheur ! Il semblait se demander si ses muscles endormis s’étaient réveillés et d’où pouvait lui venir une telle force.
Mais comment est-ce possible ?

Le tout dernier modèle de COGY, commercialisé en 2024, est disponible en bleu, en plus du jaune et rouge.
Les coulisses du développement du fauteuil à pédales
Un groupe de chercheurs de la faculté de médecine de l’Université du Tôhoku, sous la direction du professeur Handa Yasunobu, a fabriqué un fauteuil roulant en lui ajoutant des pédales, dans le but d’étudier la possibilité de restaurer le mouvement des membres paralysés par la stimulation électrique de la moelle épinière.
À leur grande surprise, un jour, une personne paralysée installée sur ce fauteuil roulant s’est mise à se mouvoir sans même avoir besoin d’uneimpulsion électrique, apparemment en réponse à un mouvement des jambes. L’équipe a effectué des recherches plus poussées et a découvert que, sous certaines conditions, telle une distance bien définie entre les pédales et le siège, la poussée de la jambe envoyait un stimulus à la moelle épinière, provoquant le réflexe primitif de marche. Après une série d’améliorations, un prototype de COGY était prêt à l’utilisation en 2009.

Le COGY est très facile à utiliser. Une pression très légère suffit pour enclencher le mouvement du fauteuil. Une poignée sur le côté est reliée à la roue arrière et permet de changer de direction et de freiner.

Le COGY est propulsé par le réflexe primitif de marche que l’on observe chez les nouveaux nés. Le contact de la plante des pieds avec une surface horizontale déclenche des mouvements involontaires de marche. Ce réflexe disparaît à mesure que le cerveau se développe.
S’essayer au COGY

Monsieur Uebayashi, qui se dit « à peine capable de faire un pas », s’essaye au COGY.
Une présentation du COGY à la maison de retraite « Harmony », dans la ville de Sakai (préfecture d’Osaka), a attiré des personnes souffrant de handicap moteur ainsi que des prestataires de soins. Uebayashi (84 ans) a perdu sa mobilité lors d’un long séjour à l’hôpital à la suite d’une chute. Il dit vouloir améliorer sa qualité de vie, et est venu exprès d’une préfecture éloignée.
Itô Akira, qui s’est trouvé paraplégique après un accident de voiture, lui montre comment faire. Il connaît la vie en fauteuil roulant et travaille à la diffusion du COGY.
« Détendez-vous, fermez les yeux et relaxez vos épaules. Ce n’est pas un fauteuil sur lequel vous êtes assis, mais une partie intégrante de votre corps. Manipuler le COGY, c’est un peu comme apprendre les arts martiaux traditionnels. »
Après plusieurs tours de la pièce, Uebayashi est en sueur mais il positive : « Cela ne va pas être évident de sortir seul en ville avec, mais je pense qu’une fois qu’on s’y habitue, ça pourrait être pratique et agréable. »

« C’est tellement facile à manipuler ! »s’enthousiasme Yokotani, qui est paralysé du côté droit en raison d’un AVC il y a six mois.
Pour un avenir meilleur malgré un handicap
Suzuki Kenji, anciennement instituteur, est assis à même le sol pour réparer un COGY. Il y a une vingtaine d’années, il a regardé une émission au sujet d’un fauteuil roulant à pédales en développement à l’Université du Tôhoku et a été frappé à la vue d’une vieille dame, clouée dans un lit d’hôpital, se déplaçant pourtant sans effort une fois assise sur ce fauteuil. Ayant justement un élève en fauteuil dans sa classe, il s’est demandé si ça pouvait lui être utile.
Suzuki a décidé de quitter son poste d’instituteur pour intégrer une start-up médicale commercialisant les fauteuils à pédales. Mais celle-ci a finalement fait faillite. Il n’a toutefois pas lâché son projet et, à l’âge de 34 ans, ayant obtenu l’autorisation de l’Université du Tôhoku, il a pu fonder sa propre entreprise, Tess Co., pour fabriquer et vendre les fauteuils à pédales. Malgré un prix s’élevant à 500 000 yens (environ 3 000 euros), il en a déjà vendu plus de dix mille en 16 ans. L’entreprise pense mettre en place la possibilité de paiements en mensualités pour en faciliter l’achat. La location est aussi possible.
Plus récemment par ailleurs, le COGY attire l’attention à l’étranger en tant qu’exemple d’ingéniosité japonaise. Au Vietnam, par exemple, le ministère de la Santé a accordé une certification au projet d’emploi du COGY dans les hôpitaux et centres de rééducation.
« Le plus important pour nous, c’est que les gens se déclarent satisfaits et en parlent. Une fois que les fauteuils roulants seront acceptés comme une véritable option et plébiscités par le public, l’impact sur la société sera considérable. Je voudrais que nous devenions un symbole du soutien pour ceux qui n’abandonnent pas à cause d’un handicap et visent un avenir meilleur. »

Suzuki Kenji, PDG de Tess Co. voyage à travers le Japon, boîte à outils en main. Il dit que c’est le fait de réparer les fauteuils qui lui donne des idées pour les améliorer.
En interviewant Suzuki lors des événements organisés pour tester les fauteuils, j’ai été ému par la passion qui l’anime.
Tomono Hideki, directeur de l’organisme à but non-lucratif Synchro-Plus, partage également cette passion. Il a mis en place un groupe Facebook « pour que les gens puissent d’une part observer comment se débrouillent ceux qui souffrent des mêmes handicaps qu’eux, et d’une autre part échanger entre eux ». Il œuvre sans relâche à partir de sa très lointaine base de l’île d’Amami-Ôshima, afin de faire connaître le COGY à travers le Japon.

Suzuki (gauche) et Tomono s’amusent à faire la course en COGY lors du pot après la présentation.
Une rééducation ludique
« Daycare Hikari 2 », un centre de rééducation de la ville de Shikoku-Chûô (préf. Ehime), est équipé de plus de 80 fauteuils COGY. Un gros panneau sur le toit, visible de loin, déclare « Stoppez le vieillissement en pédalant ! », et le car principal du centre arbore des panneaux publicitaires avec le slogan « Maintenir sa forme de façon ludique ».

Les véhicules du centre de rééducation transportent le fun et la forme.

Deux amies, l’une de 94 ans et l’autre de 83 ans, prennent l’air en faisant le tour du lac en COGY. Cela fait six ans qu’elles utilisent les fauteuils à pédales. L’une d’elles raconte :« J’avais tellement mal au genou que je me rendais chez mon médecin deux fois par semaine pour des piqûres. Grâce au COGY, je n’y vais plus du tout ».

Des cours de rééducation sur le vaste toit du centre. « Je viens parce que j’aime pédaler. »Quand il fait chaud, rien ne vaut les brumisateurs.

Le centre de rééducation organise des « Jeux Pédalympiques »dans son parc.
Le responsable du centre de rééducation, Kuri Mitsuhiro, 87 ans, a soigné les habitants de la région pendant des années en tant que chirurgien orthopédiste. Il a découvert le COGY il y a 13 ans et a voulu essayer. Les utilisateurs l’ont plébiscité, alors il en a commandé de plus en plus. Des panneaux un peu partout à l’intérieur répètent le slogan « Sans le côté ludique, pas de rééducation ». C’est la philosophie de base de cet endroit.

Le docteur Kuri
« Les vieux sont égoïstes », dit-il. « Ils ne feront jamais ce qui les embête. Pour qu’ils pédalent, il faut les placer sur les fauteuils, les féliciter, les encourager, et les gronder. Mettre le fauteuil à disposition n’est pas tout. Il faut de l’espace pour évoluer et du personnel pour superviser. Pour qu’ils prennent plaisir à pédaler, il faut qu’ils le fassent avec des amis. Et là, ils se mesurent aux autres. Le fait de gagner ou de perdre change leur perspective et ils adorent les compétitions. Une fois qu’on sait faire, pédaler c’est extra ! Et moi, je veux que ce soit ludique pour eux. »

L’utilité du COGY pour améliorer le fonctionnement des membres inférieurs est reconnue, et on s’en sert aussi pour la rééducation.
Plusieurs des petits-enfants de Kuri qui adhèrent à sa philosophie ont fait des études d’aide-soignants et travaillent au centre. L’un d’entre eux, Murakami Makoto, est kinésithérapeute et a fondé une association pour diffuser l’utilisation des fauteuils roulants à pédales. Il explique : « Le COGY n’est pas seulement pratique pour aider les personnes à mobilité réduite à se déplacer, mais aussi pour récupérer de la force physique. »

Murakami nous montre un électromyogramme d’un patient souffrant d’une paralysie de la jambe gauche. La partie rose indique les données de la jambe paralysée. À gauche, on peut constater le faible niveau de signal généré par de simples flexions et extensions du genou, tandis qu’à droite, on remarque une activité bien plus soutenue en pédalant le COGY et on voit une augmentation de la force musculaire.
Allons danser en COGY
Ayant appris que plusieurs patients s’étaient mis à danser en COGY, j’ai voulu assister à une répétition.
« Le plus classe quand on danse en COGY, c’est de faire des pirouettes »raconte Aya (à gauche sur la photo ci-dessous). Depuis son AVC en 2014, elle est paralysée du côté gauche et a quelques difficultés à parler, mais son sourire est éclatant. Les conditions changent selon les municipalités, mais Aya bénéficie d’une assurance dépendance qui fait que la location de son COGY ne lui coûte que 1 500 yens par mois (environ 10 euros).

Une répétition pour le récital d’automne. La musique est une chanson originale intitulée « Allons danser en COGY ».
Baku (81 ans) est paraplégique depuis 20 ans. Après avoir essayé tous les traitements possibles, il a découvert l’existence du COGY il y a deux ans. « J’ai utilisé un scooter de mobilité pendant des années, mais depuis que je pédale en COGY, mes jambes se musclent. Cet endroit me donne envie de faire des choses et j’ai de la chance de pouvoir danser ! »
La chorégraphe du groupe est une danseuse, Yufuki Rei. « Pour l’instant, je suis capable de marcher, mais ça me fait chaud au cœur de savoir que le COGY est là. J’aimerais bien voir des groupes de danse en COGY un peu partout au Japon. Je voudrais qu’on soit une centaine à danser sur scène. Mon rêve, c’est de danser à la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques. »

De gauche à droite, Yufuki Rei, Aya et Baku, les « danseurs en COGY »

Un COGY jaune en ville
Moi-même, j’ai forcément eu envie d’essayer un COGY. L’expérience m’a fait penser au tricycle que je possédais étant enfant. J’ai senti le vent avec tout mon corps et j’ai eu l’impression qu’en allant encore plus vite, je pourrais même voler. C’était exaltant !
Le recueil de photo dont je parle au début de l’article s’appelle Une rééducation romantique. Pourquoi un tel qualificatif qui ne paraît pas très approprié ? C’était en partie une quête qui me fascinait, afin de découvrir les facettes cachées de l’existence humaine. Comment le fait de titiller un réflexe de la moëlle épinière permet-il de restaurer une capacité de mouvement perdue ? Cela reste un mystère… Pour moi, ce fauteuil à pédales, né d’un réflexe archaïque, sera toujours « un COGY romantique ».
(Toutes les photos : © Ônishi Naruaki)