À la rencontre de l’art bouddhique

Le Bouddha sculpté par le moine Enkû

Art

On dit qu’Enkû, un moine qui vécut au XVIIe siècle, aurait sculpté pas moins de 120 000 statues bouddhiques au cours de ses pérégrinations dans l’archipel japonais. Découvrons ensemble un parfait exemple de son art franc et sans fioritures.

Qu’est-ce qui nous fascine autant dans le frustre sourire de cette statue ?

Nous sommes au début de l’époque d’Edo (1603-1868), un moine itinérant parcourt le Japon et sculpte des statues. Né dans la province de Mino (dans l’actuelle Gifu), Enkû (1632-1695) suit une ascèse sur le mont Ômine (à Nara) puis s’initie à l’école mystique syncrétique du shugendô. Basé à Mino, il rayonne et arpente le Japon, allant du Kansai, Nara et Kyoto jusqu’à l’île septentrionale de Hokkaidô, encore largement sauvage et alors appelée Ezo. Où qu’il aille, il sculpte des statues bouddhiques. La légende veut qu’il ait fait le vœu de faire 120 000 statues avant de mourir. Certaines répondent à des commandes émanant de temples, d’autres étaient juste offertes aux personnes rencontrées lors de ses voyages.

Enkû a puisé tant au shintô qu’à l’iconographie bouddhique. Ses statues sont inimitables tant son style est libre, le moine ne se souciait guère des codes et des canons de l’art bouddhique traditionnel. Il est fort probable qu’il ait réussi à sculpter les 120 000 statues qu’il s’était promis de faire. À l’heure actuelle, plus de 5 000 œuvres lui ont été attribuées.

Il utilisait de simples blocs de bois, qu’il utilisait dans la longueur et récupérait souvent sur son chemin soit du bois flotté trouvé dans les rivières ou sur la plage et soit des branches prises à arbres tombés. Il dégrossissait la bille de bois au ciseau à bois ou la serpe. Son art sans fioriture, prétention ni détail inutile, était tout sauf maniéré. Au contraire, il privilégiait la simplicité et la vigueur, refusait le recours à l’ornement ou à la couleur et préférait faire ressortir la texture brute du bois. Ses statues étaient faites de morceaux que d’autres auraient trouvés comme sans valeur, c’est pourquoi on a appelé ses Bouddha des koppa-butsu ou koppa signifie simple « bout de bois ».

Les yeux de la statue légèrement en biseau, peuvent donner l’impression que la figure est en colère, mais à bien y regarder on s’aperçoit qu’un doux sourire flotte sur ses lèvres. Les bouddhas d’Enkû sont toujours souriants.

Waga haha no / inochi ni kawaru / kesa nareya /

nori no mikage wa / yorozu o hen

Cet habit de moine Me tient de vie maternelle

Que la lumière du dharma Brille éternellement

Ayant perdu sa mère très jeune, Enkû serait devenu moine pour surmonter sa tristesse. Ce poème, tiré d’un recueil de waka composés par le moine, témoigne de son affection et de son attachement à la figure maternelle. Récemment à Hashima (dans la préfecture de Gifu), on a découvert, glissés à l’intérieur du Kannon à 11 têtes (le bodhisattva Avalokitesvara) sculpté par Enkû, une statuette du Bouddha Amida Nyorai ainsi qu’un miroir. Les experts s’accordent à dire que ce miroir était un souvenir de sa mère. Quand il a senti sa santé décliner, le moine est rentré sur les rives de la Nagara, où se trouvait la tombe de sa mère. Puis, il a entamé une ascèse extrême afin de se momifier de son vivant et devenir sokushinbutsu. Il rend l’âme à 64 ans. Ses statues qui respirent la compassion et arborent toujours un sourire empli de douceur maternelle, continuent d’émouvoir et d’inspirer tous ceux qui les regardent.

Bouddha sculpté par Enkû

  • Hauteur : 77 cm
  • Période : Edo (XVIIe siècle)
  • Collection privée

(Photo de titre : Bouddha sculpté par Enkû . Collection privée. Toutes les photos : Muda Tomohiro)

bouddhisme art sculpture