À la rencontre de l’art bouddhique
Statue d’un bodhisattva souriant en demi-lotus
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Quel spectacle touchant que ce visage aux traits fins et au sourire si débordant de compassion.
Ce bodhisattva est la statue principale du Chûgû-ji, un temple situé à Ikaruga, dans la préfecture de Nara. À l’origine, ce monastère de moniales aurait été construit pour Anahobe no Hashihito, la mère du prince impérial Shôtoku qui a joué un rôle si essentiel dans l’introduction du bouddhisme au Japon. Avec le célèbre Hôryû-ji, le Chûgû-ji est l’un des sept temples dont la fondation est attribuée à Shôtoku. Situé à l’origine à environ 500 mètres à l’est du temple, l’édifice emménage à la fin du XVIe siècle dans l’enceinte orientale du Hôryû-ji. Des fouilles archéologiques menées au XXe siècle sur le site ancien ont mis au jour un grand nombre de tuiles tout à fait similaires à celles du Hôryû-ji. La statue de ce bodhisattva devait déjà être révérée au Chûgû-ji pendant la période Asuka (593-710).
Le figure est dite hanka-shii, car le bodhisattva est assis en demi-lotus (hanka), le pied droit posé sur le genou gauche), la main droite sur sa joue en posture de contemplation (shii). Serait-il en train de méditer sur la meilleure façon d’apporter le salut aux êtres humains ? Les archives du temple semblent indiquer que cette statue représente Nyoirin Kannon (Cintamanicakra), une manifestation du bodhisattva Kannon (Avalokiteshvara). Cependant, si on se réfère à l’inscription faite sur le socle d’une statue similaire (également en posture hanka-shii), il pourrait s’agir, comme au Yachû-ji dans la préfecture d’Osaka, d’un bodhisattva Miroku (Maitreya, Bouddha du futur). De nombreux chercheurs sont d’avis que ce type de statue figurait plutôt Miroku, il est donc étonnant qu’au Chûgû-ji, on parle d’un Nyoirin Kannon.

Quand a-t-elle été sculptée? Plusieurs thèses s’opposent, certains pensent que la statue date du règne de l’impératrice Suiko (554-628) d’autres de l’impératrice Jitô (645-702), mais la plupart des experts s’accordent sur les environs de 650. Aucune raideur dans le sourire ou la physionomie comme cela était le cas au début de la période Asuka, ce nouveau jalon dans l’évolution du « sourire archaïque » préfigure l’avènement d’un style plus naturaliste et expressif. On en veut pour preuve supplémentaire le drapé de l’habit qui, au lieu de tomber de chaque côté simplement en lignes symétriques comme le voulait la statuaire antérieure, est beaucoup plus délié et réaliste. Ces caractéristiques font pencher la balance pour la fin Asuka, notamment pour la période Hakuhô (673-86).
La statue est en camphrier, or le kusunoki était considéré comme un arbre sacré. Le sculpteur a utilisé la technique du yosegi-zukuri, qui consiste à utiliser au moins deux morceaux de bois pour former la partie principale de la statue. Chaque morceau a été soigneusement élaboré et l’assemblage a un rendu d’une grande délicatesse et d’une beauté étonnante. Le corps d’un noir mat donne l’impression d’être en métal. L’analyse a montré que la statue a d’abord été recouverte de sabi-urushi, un enduit fait de la laque brute et de poudre d’argile dite tonoko, avant d’être badigeonnée d’argile blanche, puis enfin colorée.
L’habit (mo) du bodhisattva devait à l’origine être vermillon, le socle était sans doute orné de kirikane, c’est-à-dire incrusté de métal et de vert-de-gris pour former des motifs et l’auréole située derrière la tête du bodhisattva était sans doute dorée. Les petits trous visibles dans la tête et les bras de la statue laissent à penser que le bodhisattva portait à l’origine une couronne, des bracelets et autres bijoux d’apparat. Cette statue était sans doute jadis très haute en couleur mais, 1 300 ans plus tard, la pigmentation originale n’est plus visible que sur la plante du pied droit. Comment expliquer l’actuelle couleur noire de la statue ? Certains pensent que le sabi-urushi d’origine a progressivement noirci à cause de la suie des lampes à huile utilisées pour éclairer le temple, quand d’autres soutiennent que de la laque noire a été appliquée ultérieurement.

Pour l’instant le mystère reste entier mais le bodhisattva ne semble pas s’en soucier. Avec son sourire atemporel, il semble même se moquer doucement des questions profanes du temps.
Statue d’un bodhisattva en demi-lotus (Miroku, ou bien Nyoirin Kannon)
- Hauteur : 132 cm
- Époque : Asuka (593-710)
- Emplacement : temple Chûgû-ji, préfecture de Nara (vérifier avant visite que la statue est exposée)
- Classement : Trésor national
(Photo de titre : statue du bodhisattva en demi-lotus du temple Chûgû-ji. Toutes les photos : © Muda Tomohiro)