À la rencontre de l’art bouddhique

La statue du Bouddha Dainichi Nyorai assis

Art

Cette statue du maître sculpteur Unkei (XIIe siècle) marque un tournant dans l’histoire de l’art de la statuaire bouddhique au Japon et préfigure l’âge d’or de l’époque de Kamakura.

Unkei (?1150-1223) est probablement le sculpteur le plus connu de l’histoire de l’art bouddhique japonais. Cette œuvre de jeunesse qui représente Dainichi Nyorai assis (le Bouddha Mahāvairocana) se trouve au Enjô-ji, un temple ancien situé dans les montagnes aux alentours de la cité de Nara. Le sculpteur devait avoir une vingtaine d’années quand il a réalisé ce Bouddha qui est sa première œuvre connue. Comme la plupart des œuvres d’Unkei, cette statue envoûte et fascine tant qu’il est impossible d’en détacher le regard.

Le nom d’Unkei est généralement associé à l’âge d’or de l’époque de Kamakura (1185-1333) mais cette statue, faite en bois de hinoki (une espèce de cyprès), date de la fin Heian (794-1185). Elle a été conçue sur le principe du yosegi-zukuri (une technique qui consiste à assembler au moins deux blocs de bois pour former la partie principale de la statue) Au dos du socle, il est écrit à l’encre que l’artiste a commencé à sculpter le 24e jour du 11e mois de 1175 et que la statue était terminée au 10e mois de l’année suivante. Cette inscription indique également qu’elle est l’œuvre de « Unkei, fils et disciple du grand sculpteur Kôkei ». Sachant que pour réaliser une statue de cette taille, il faut normalement compter trois mois et non onze comme ce fut le cas ici, la conception a été assez longue. On se dit que Kôkei a peut-être eu à cœur de donner de nombreuses instructions à son fils pour son premier chef-d’œuvre, mais Unkei a peut-être plus simplement voulu prendre le temps de peaufiner les moindres détails de sa statue.

Dainichi est une figure importante du bouddhisme ésotérique, on l’appelle « Bouddha de la grande illumination », pour indiquer que la lumière de son enseignement rayonne dans tout l’univers. En bouddhisme ésotérique, l’univers est composé de deux royaumes : le royaume du diamant, qui symbolise la sagesse ultime, et celui de la matrice, c’est-à-dire de la compassion. Au centre de chaque royaume se trouve un Bouddha, traditionnellement représenté avec sa propre gestuelle (mudra).

Dainichi est ici représenté avec le mudra dit du « poing de la connaissance » (chiken-in), car le Bouddha lève l’index de sa main gauche devant sa poitrine et l’entoure de sa main droite. Cette posture qui indique la compassion du Bouddha pour tous les êtres vivants est associée au Bouddha Dainichi du royaume du diamant. Le mudra associé au royaume de la matrice est celui dit de la « méditation » (zenjô-in), la main droite repose dans la main gauche posée devant le buste, les paumes sont en l’air et les doigts tendus. C’est la posture de ceux qui pratiquent la méditation zen.

À certains égards, le drapé de l’habit et les courbes sinueuses de la silhouette correspondent aux caractéristiques de la statuaire de Heian. Mais l’air déterminé du Bouddha, ses pupilles incrustées de cristal, ainsi que ce torse bombé et son dos droit tout en tension, tranchent avec le canon esthétique d’équilibre et de sobriété alors en vogue à cette époque-là.

D’autre part, Unkei a innové en écartant légèrement les mains du corps et en laissant un interstice entre le mudra et le torse du Dainichi. Le réalisme est transcendé, cette posture inhabituelle est un choix esthétique qui laisse entrevoir ce que sera le style d’Unkei. Cette statue marque le début d’une nouvelle ère, une page se tourne dans l’histoire de la statuaire bouddhique japonaise.

Statue du Dainichi Nyorai assis (le Bouddha Mahāvairocana)

  • Hauteur : 98,2 cm
  • Époque : fin Heian (794-1185)
  • Emplacement : temple Enjô-ji (préfecture de Nara) (Assurez-vous, avant votre visite, que la statue est bien exposée)
  • Classé : Trésor national

(Photo de titre : statue du Dainichi Nyorai assis, temple Enjô-ji. Toutes les photos : Muda Tomohiro)

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