À la rencontre de l’art bouddhique

La statue « cachée » de Shukongôjin, du temple Tôdai-ji

Art

Ses yeux largement ouverts et sa bouche hurlante ont tout pour impressionner. Cette statue aux couleurs encore si vives est un chef-d’œuvre de la statuaire bouddhique de la période Tenpyô (729-749).

Ce trésor de la salle du Hokke-dô (également appelée Sangatsu-dô) du temple Tôdai-ji n’est pas destiné à être révélé aux yeux des visiteurs. Mais comment peut-elle être si belle malgré son air irascible, cette statue de Shukongôjin est aussi rare qu’étonnante.

Menaçant, il semble prêt à user de son foudre (kongôsho) pour vaincre les ennemis du Bouddha. Dans l’Inde antique, Shukongôjin se servait de cette arme sacrée pour protéger Shakyamuni. Cette tradition, qui a gagné l’Extrême-Orient, est à l’origine des deux statues de Kongô Rikishi et de Niô se dressant à l’entrée du temple pour le protéger. Les dieux gardiens que l’on retrouve aujourd’hui à l’entrée des temples japonais sont en quelque sorte des héritiers de ce Shukongôjin.

La statue tourne le dos à la figure principale du Hokke-dô, le Fukû Kensaku Kannon qui siège dans sa châsse de couleur noire. Car quand toutes les statues du temple regardent vers le sud, seul Shukongôjin, veille debout derrière elles, le regard tourné vers le nord.

Cette statue « secrète » (hibutsu), dissimulée aux yeux des visiteurs a été préservée, longtemps entreposée à l’abri du soleil elle est restée en très bon état. Sculptée il y a 1 300 ans, elle a gardé ses couleurs d’origine et les feuilles d’or qui la recouvrent n’ont rien perdu de leur éclat. C’est un précieux témoin. Le modelage à base d’argile a permis un très bon rendu des détails, comme ces impressionnantes veines qui saillent de manière si réaliste sur le front et les bras de la figure. Sa puissance toute en retenue s’écarte des canons de la statuaire continentale et montre bien combien la musculature humaine était déjà connue des artistes japonais qui commençaient à se tourner vers une certaine forme de réalisme.

La date où elle a été sculptée ne fait pas consensus, mais il semblerait qu’il s’agisse de la statue personnelle (nenji-butsu) de Rôben (689-773) qui était un des fondateurs du Tôdai-ji. Un des cordons servant à lui attacher les cheveux ayant disparu, on raconte dans le « Récit illustré des origines du Tôdai-ji » (Tôdai-ji Engi Ekotoba), que suite à une prière lui demandant de mettre fin à la rébellion menée par Taira no Masakado (903 ?-940), Shukongôjin se serait transformée en abeille puis se serait rendu sur le champ de bataille pour piquer et tuer Masakado. Le guerrier, en tentant de la sabrer, aurait alors coupé un des cordons retenant sa chevelure. Shukongôjin est donc une entité protectrice de la nation japonaise puisqu’il a œuvré pour défendre les intérêts de la famille impériale.

« Quand j’ai allumé les projecteurs pour la séance photo, j’ai été surpris par l’intensité des couleurs, explique le photographe Muda Tomohiro. Le rouge et le vert du bras gauche étaient tellement éclatants que je me suis demandé si les couleurs ne dataient pas de l’époque Meiji. »

Dans le cadre du projet de recherche conjoint de l’Université des arts de Tokyo et de l’Université des sciences de Tokyo, les chercheurs ont procédé à l’analyse des pigments restants à la surface de la statue et ont prouvé que la statue était très colorée dès l’époque de sa création. Ces couleurs qui ont traversé les siècles témoignent aujourd’hui encore de la splendeur de la statuaire bouddhique de l’époque Tenpyô, quand Nara, alors capitale du Japon, était à l’apogée de sa gloire.

Statue de Shukongôjin en pied (Shukongôjin ryûzô)

  • Hauteur : 1,70 mètre
  • Période : époque Tenpyô (729-49)
  • Emplacement : temple Tôdai-ji
  • Classé : trésor national (nom officiel : Shukongôjin debout, statue en argile conservée dans la salle du Hokke-dô)

* Cette statue est un trésor du temple, ce « Bouddha secret » (hibutsu) n’est montré au public qu’une fois par an, le 16 décembre, jour anniversaire de la mort de Rôben.

(Toutes les photos : © Muda Tomohiro)

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