Pourquoi l’attaque au gaz sarin du métro de Tokyo n’a-t-elle pas pu être évitée ?
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La secte Aum avait-elle été prévenue ?
En 2025, le Japon a commémoré les 30 ans des attentats au gaz sarin perpétrés le 20 mars 1995 dans le métro de Tokyo par la secte religieuse Aum Shinrikyô (ci-après, Aum) faisant 14 morts et plus de 6 000 blessés. Le gourou d’Aum, Asahara Shôkô, a été arrêté en mai 1995 puis exécuté en juillet 2018. Dans son nouveau livre « Pourquoi l’attaque au gaz sarin du métro n’a-t-elle pas pu être évitée ? » (Chikatetsu sarin jiken wa naze fusegenakatta no ka), Kakimi Takashi examine les actions policières entourant la secte.
À l’époque des attaques, j’étais reporter dans un tabloïd. Lors d’une interview, un officier ayant participé à l’enquête sur la secte m’avait confié : « Aum nous a pris de vitesse. » En effet, la police prévoyait une descente majeure dans une installation située dans la préfecture de Yamanashi le 22 mars. Deux jours avant cette date, Aum libérait du gaz sarin dans le métro de Tokyo (vraisemblablement afin de détourner l’attention).
Kakimi dirigeait alors le Bureau des affaires criminelles de l’Agence nationale de la police (NPA), ce qui faisait de lui le plus haut responsable de l’enquête. Comme il le révèle dans son ouvrage, six membres d’Aum étaient infiltrés au sein de la police métropolitaine de Tokyo. Il n’est donc pas exclu que la secte ait été avertie de la descente imminente.
L’officier rencontré m’avait également affirmé que les attaques avaient été déclenchées lorsque Aum avait appris que la police allait intervenir, et qu’elles n’étaient donc ni prévisibles ni évitables. Mais j’ai toujours eu des doutes quant à cette version…
Des tests de laboratoire détectent du sarin
Le livre de Kakimi contient plusieurs révélations. En juin 1994, soit l’année précédant les attaques de Tokyo, Aum avait déjà perpétré une attaque au sarin dans une zone résidentielle de la ville de Matsumoto, faisant sept morts. Après cet incident, la police de Nagano s’était obstinée à soupçonner un habitant du quartier, ce qui avait considérablement retardé l’exploration d’autres pistes. Le directeur de la police préfectorale de Nagano avait pourtant transmis à Kakimi un rapport différent. Début août, les enquêteurs ont découvert qu’un juge du tribunal de la préfecture de Nagano (chargé d’une affaire civile impliquant Aum) figurait parmi les victimes. Ils avaient également appris qu’un membre de la secte avait acheté des produits chimiques permettant de fabriquer du sarin.
C’est également à cette période que la police de Kanagawa a mis la main sur une publication interne d’Aum, antérieure à l’attaque de Matsumoto, dans laquelle il était fait mention de cette substance. Elle enquêtait aussi sur la disparition de l’avocat Sakamoto Tsutsumi, critique virulent d’Aum, ainsi que de sa femme et de leur fils en octobre 1989 (tous trois seront plus tard retrouvés morts). Kakimi affirme que c’est à ce moment-là que la NPA prit conscience du danger que représentait réellement Aum.
Quand la police a-t-elle réellement établi le lien entre la secte et le sarin ? Fin septembre 1994, la police de Kanagawa signala à la NPA une plainte concernant des émanations toxiques ayant fait mourir la végétation autour d’un site d’Aum à Yamanashi.
Le 7 octobre, la NPA a ordonné aux polices de Nagano et de Yamanashi de prélever des échantillons de sol pour analyse. Le 16 novembre, le laboratoire médico-légal de l’agence confirmait la présence de résidus de sarin.
Une police entravée par la question des juridictions
Malgré tout, il a fallu un certain temps avant que la descente ne soit menée. Le livre détaille cette période d’atermoiements. En résumé, la police craignait qu’une intervention sur le site de production de sarin mette la vie de ses agents en danger.
De plus, une telle opération nécessitait des ressources considérables, alors qu’à l’époque, seules les polices de Nagano, Yamanashi et Kanagawa avaient juridiction pour enquêter sur Aum. La NPA souhaitait mobiliser ses enquêteurs d’élite de Tokyo, mais aucun crime lié à Aum n’avait encore été commis dans la capitale. Pour lancer la descente, il aurait aussi fallu des combinaisons de protection et d’autres équipements, ainsi qu’une consultation avec le Bureau des procureurs.
Le directeur de la NPA avait rencontré d’autres hauts responsables pour évoquer la situation, mais aucune date n’avait été arrêtée. Les délibérations se sont poursuivies jusqu’à la fin de l’année 1994. Puis, en février 1995, Aum a commis sa première attaque à Tokyo : l’enlèvement et l’homicide involontaire de Kariya Kiyoshi, chef du bureau notarial de Meguro. Cet incident a permis de fixer la date du 22 mars pour la descente, avec l’enlèvement et la mort de Kariya comme chef d’accusation du mandat de perquisition.

Chikatetsu sarin jiken wa naze fusegenakatta no ka (« Pourquoi l’attaque au gaz sarin du métro n’a-t-elle pas pu être évitée ? »)
Le témoignage contenu dans le livre repose sur les archives de l’enquête menée par la NPA. Après la perquisition de mars, l’agence a dirigé une vaste opération visant à arrêter les dirigeants d’Aum sur de multiples chefs d’inculpation. Le récit met en lumière l’excès de prudence qui a handicapé les forces de l’ordre. Il devient également évident, à la lecture, que l’enquête a souffert d’une structure hiérarchique rigide, chaque police préfectorale travaillant en vase clos, sans coordination.
Même si le livre détaille les circonstances, je dirais que si la police (qui avait reçu un signalement de la part d’un membre d’Aum) s’était véritablement consacrée à élucider la disparition de la famille Sakamoto, elle aurait peut-être pu empêcher le bain de sang qui s’en est suivi. Après avoir lu « Pourquoi les attaques au gaz sarin du métro n’ont-elles pas pu être empêchées ? », beaucoup, comme moi, se demanderont pourquoi les autorités n’ont pas agi dès novembre 1994, alors qu’elles commençaient à comprendre ce qui se passait.
(Voir également notre article : 30 ans depuis l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo : une victime face aux séquelles)
(Photo de titre : une unité spécialisée des pompiers de Tokyo, en tenue de protection, se prépare à entrer dans la station Kasumigaseki, le 20 mars 1995. Kyôdô)