Le Japon terre d’accueil des cultures du monde

Un Japonais musulman en mission contre les préjugés et les discriminations

Personnages Société Échanges internationaux

De plus en plus de musulmans vivent au Japon. Selon certaines estimations, ils seraient 230 000, soit une personne sur 500 habitants. Cependant, les Japonais continuent de penser que l’islam est une « religion de pays lointains ». Savoir pour comprendre, voici la clef. Écoutons l’appel d’un Japonais converti à l’islam qui œuvre depuis de longues années à faire connaitre cette religion.

Shimoyama Shigeru SHIMOYAMA Shigeru

Né dans la préfecture d’Okayama en 1949. Il entre au département de sciences politiques de la faculté de sciences politiques et économiques de l’université Waseda en 1969. Pendant ses études, il part au Soudan pendant un an et parcours le pays en allant d’un village musulman à l’autre. De retour au Japon, il travaille pour une maison d’édition puis participe à la création du Centre islamique du Japon. Il couvre de nombreux événements du monde musulman et suit notamment les pèlerinages à La Mecque ou le Front Moro de libération nationale qui emmène le mouvement séparatiste aux Philippines. Il édite et publie des ouvrages sur l’islam, dont une revue généraliste intitulée As-Salaam, il a aussi écrit une « Introduction aux piliers de l’islam (foi, prière, aumône, jeûne, pèlerinage) »,« Waqf : les oeuvres et les traditions du don »(Waqf, sono dentô to sakuhin) ainsi que « Comprendre les musulmans et leur mode de penser » (Muslim no kangaekata o shiru).

Comment intéresser à l’islam ?

Dans le quartier résidentiel de Shibuya, à Tokyo, il est un curieux bâtiment doté d’un minaret imposant et surplombé d’un grand dôme. Il s’agit d’une mosquée de style ottoman baptisée Tokyo Camii. De nombreux non-musulmans viennent la visiter, attirés par son esthétique. On y trouve également un petit supermarché où l’on peut trouver des produits halals. Le site est toujours très animé.

Tokyo Camii, la mosquée de Tokyo se trouve dans le quartier résidentiel de Shibuya, à Tokyo. Difficile de manquer son minaret et son grand dôme.
Tokyo Camii, la mosquée de Tokyo se trouve dans le quartier résidentiel de Shibuya, à Tokyo. Difficile de manquer son minaret et son grand dôme.

« Dans le culte musulman, se placer côte-à-côte lors de la prière signifie que les musulmans sont tous frères devant Dieu et que les discriminations n’ont pas lieu d’être. » La voix du responsable des relations publiques de la mosquée résonne dans le dôme orné de magnifiques vitraux.

Shimoyama Shigeru est un Japonais qui s’est converti à l’islam, il explique aux élèves du lycée municipal d’Ômiya Kita (Saitama) comment prient les croyants. Les jeunes se préparent à un voyage d’étude prévu dans des pays où l’islam est majoritaire comme la Malaisie.

Vue du dôme de la mosquée de Tokyo admirablement ornée de nombreux vitraux.
Vue du dôme de la mosquée de Tokyo admirablement ornée de nombreux vitraux.

Shimoyama passionne son auditoire en détaillant les apports de la civilisation arabo-musulmane, il parle des chiffres arabes ou du principe de l’appareil photo. Puis une fois la première excitation passée, il commence à raconter l’histoire et les fondements de l’islam.

Le professeur en charge de la sortie scolaire explique : « On dirait que le regard des élèves sur l’islam a changé. » Pour Shimoyama, le plus important est d’ « intéresser à l’islam et de mieux faire connaître cette religion ». Sa vie parle pour lui.

Transmettre son enthousiasme

À 19 ans, avec le club « exploration » de l’université Waseda, il se rend au Soudan et participe à une expédition dans le bassin du Nil. Les tentes et les lits de camp ultramodernes apportés du Japon ne permettent pas de faire face aux étouffantes chaleurs, les étudiants sont contraints de trouver refuge chez la population locale. Comprenant que l’hospitalité dont ils bénéficient fait partie des fondements de l’islam, ses a priori sur les musulmans tombent, il les pensait « effrayants et durs », ses préjugés sont à revoir.

À son retour au Japon, plus il en apprend sur l’islam, plus il a envie de partager ses découvertes. Il se fait musulman à 27 ans. « Je voulais transmettre aux Japonais l’enthousiasme que j’avais pu ressentir en découvrant l’islam et sa culture. » Ses lectures et son ascèse faite de prière et de jeûne, le changent peu à peu. « J’ai commencé à réaliser que l’idée de la religion, que j’avais tant détestée, pouvait être merveilleuse, quand elle venait de l’intérieur. J’ai senti que la foi me rendait plus fort. »

Aujourd’hui du haut de ses 75 ans et fort du chemin parcouru, son enthousiasme est intact. « Alors, je continue à pratiquer. J’essaie de voir si l’islam, religion présente dans le monde entier, peut toucher les Japonais au cœur. Je teste et j’apprends de mes erreurs. »

Les musulmans sont de plus en plus nombreux au Japon mais...

L’étude réalisée par Tanada Hirofumi, professeur émérite de sociologie à l’université Waseda dont les travaux portent sur la communauté musulmane au Japon, montre qu’en 2020, environ 230 000 musulmans vivaient au Japon, dont 47 000 de nationalité japonaise. Au Japon, une personne sur 500 est de confession musulmane. On construit de plus en plus de mosquées, il y en avait 15 en 1999, on en compte 133 en avril 2024.

Tanada souligne qu’avec les mariages, les naissances et les conversions, le nombre de musulmans va croissant. Sur la base des données les plus récentes, il estime que le nombre de musulmans au Japon pourrait dans un proche avenir « avoisiner les 300 000 personnes ».

À la mosquée de Tokyo, on célèbre de plus en plus de mariages et de conversions. Il y a par ailleurs de plus en plus de mariages mixtes et la question de la religion devient cruciale. Il peut y avoir des réticences, des à priori contre l’islam, ou des hésitations à se convertir. Je les rassure souvent en leur disant : « Vous aimez votre partenaire, alors vous devez devenir musulman, donc faites-le. Si vous ne pouvez pas franchir le pas, c’est que vous avez des a priori. Avant de devenir musulman, vous devez vous débarrasser de ces préjugés. »

Il y a de plus en plus de musulmans au Japon, mais Shimoyama sait bien que depuis les attentats aux États-Unis en 2001 ou en Europe, l’islam est critiqué, il déplore que « la réception de l’islam au Japon ne s’améliore pas en raison de biais culturels hérités notamment des médias occidentaux». Pour comprendre l’islam, il faut se défaire de ses a priori et ne plus discriminer les croyants. Les médias ont leur part de responsabilité.

Shimoyama Shigeru explique l’islam à des lycéens en sortie scolaire à la mosquée de Tokyo.
Shimoyama Shigeru explique l’islam à des lycéens en sortie scolaire à la mosquée de Tokyo.

Shimoyama compte sur les jeunes pour faire évoluer les mentalités et réduire les discriminations. En 2023, les élèves de 63 universités et d’une centaine de lycées se sont rendus à la mosquée de Tokyo en sortie scolaire. Shimoyama explique : « Il y a de plus en plus d’étudiants et d’enseignants qui veulent en savoir plus sur le monde islamique et son poids dans nos sociétés contemporaines. Ils se rendent compte que ne pas connaitre l’islam les empêche de comprendre le monde dans son ensemble. »

Devenir la mosquée phare de l’Asie ?

L’islam a le vent en poupe dans le monde entier, le nombre de croyants augmente. Selon les estimations publiées en décembre 2022 par l’institut de recherche américain Pew Research Center, en 2020 on comptait environ 2,38 milliards de chrétiens (31,1 % de la population mondiale) et 1,9 milliard de musulmans (24,9 %). En 2050 le nombre de chrétiens devrait être de 2,91 millions (31,4 % de la population mondiale) pour environ 2,76 millions de musulmans (29,7 %), soit presque autant que les chrétiens.(*1)

Estimation du nombre de croyants dans le monde

En 2020, le Moyen-Orient et le Maghreb comptaient environ 381 millions de musulmans, alors qu’ils étaient 1,14 milliard en Asie. Il y a plus de musulmans dans la région Asie-Pacifique qu’au Moyen-Orient, pourtant berceau de l’islam. À la mosquée de Tokyo, les faits confirment cette tendance. En dix ans, le nombre de pratiquants issus de pays asiatiques a connu une forte hausse et cette augmentation devrait se poursuivre dans les années à venir.

Évolution du nombre de musulmans

Shimoyama pense que la Camii sera la mosquée phare du monde asiatique attirant des croyants de toute l’Asie. Il espère que la mosquée de Tokyo prendra un rôle de premier plan et qu’elle deviendra un cœur battant de l’islam, religion « universelle et globalisée ».

Pour Shimoyama, il faut que le public ait une vision juste de l’islam.
Pour Shimoyama, il faut que le public ait une vision juste de l’islam.

Reste à savoir si l’islam prendra racine au Japon, les inconnues sont nombreuses mais Shimoyama se pense investi d’une mission, il doit faire connaitre l’islam sur l’archipel. « L’ignorance est mère de préjugés et les préjugés mènent aux discriminations. Il est crucial donc que les Japonais marchent main dans la main avec les musulmans et qu’ils comprennent bien le monde islamique. Bien sûr, je ne m’attends pas à ce que les Japonais deviennent tous musulmans. Je veux juste qu’ils ne s’arrêtent pas aux apparences et comprennent bien que nous sommes identiques malgré les différences. »

(Photo de titre : des lycéens en excursion scolaire à la mosquée de Tokyo écoutent Shimoyama Shigeru leur expliquer les fondements de l’islam. Photo prise le 18 avril 2024 à Shibuya. Toutes les photos sont de Nippon.com.)

(*1) ^ Pew Research Center. «  Religious Composition by Country, 2010-2050(Les religions dans le monde, 2020-50). » Pew Research Center, le 21 décembre 2022.

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