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« Nagasaki - Dans l’ombre de l’éclair » : 80 ans après, comment représenter à nouveau la bombe atomique à l’écran ?

Cinéma

Un nouveau film sur la bombe atomique, qui adopte un point de vue original sur le thème du bombardement de Nagasaki, vient de sortir. Nagasaki – Dans l’ombre de l’éclair, raconte l’histoire des jeunes élèves-infirmières qui, tout en s’occupant des victimes du bombardement, mûrissent au plus près des questionnements sur la vie et la mort. Nous avons demandé au réalisateur Matsumoto Junpei quel était l’objectif du film en transmettant cette tragédie historique de manière réaliste.

Matsumoto Junpei MATSUMOTO Junpei

Réalisateur. Né en 1984 dans la préfecture de Nagasaki. Diplômé de la faculté d’architecture de l’Université de Tokyo, il a également suivi un master en architecture dans la même université. Il est issu de la 12e promotion de l’école d’art et de divertissement Yoshimoto (NSC) de Tokyo. Né dans une famille catholique, il a été fortement influencé par le christianisme dès son plus jeune âge. En 2012, il fait ses débuts en tant que réalisateur avec Mada, Ningen (« Encore humain »). En 2014, Saigono Inochi (« La dernière vie », d’après l'œuvre de Nakamura Fuminori, avec Yagira Yuya dans le rôle principal) est son premier film commercial. Parmi ses œuvres récentes, on peut citer Perfect Revolution (2017, avec Lily Franky et Seino Nana dans les rôles principaux), Sakurairo no Kaze ga Saku (« Un vent couleur fleurs de cerisier », 2022) et Shajiku (2023).

« La dernière bombe atomique de l’histoire a été larguée sur Nagasaki. » Cela devrait être la résolution commune à toute l’humanité. Cependant, que le bombardement a eu lieu il y a 80 ans, non seulement le désarmement nucléaire ne fait aucun progrès, mais la menace d’une utilisation des armes nucléaires dans le futur s’intensifie. Dans ce contexte, le film Nagasaki – Senkô no kage de (Nagasaki – Dans l’ombre de l’éclair) a été produit avec un sentiment d’urgence. Le réalisateur Matsumoto Junpei revient sur cette expérience.

MATSUMOTO JUNPEI  Je n’avais pas particulièrement conscience de l’approche de la date des 80 ans de la fin de la guerre. Le projet a démarré fin 2019. Mais la pandémie a éclaté, et il a été difficile de fixer une date pour le tournage. Puis, en février 2022, la Russie a envahi l’Ukraine, et on a parlé d’une possible utilisation des armes nucléaires. Il fallait absolument réaliser le film rapidement. Nous avons accéléré le rythme et avons finalement pu tourner en octobre 2023.

Le réalisateur Matsumoto Junpei devant l’affiche du film Nagasaki – Dans l'ombre de l'éclair. (Photo : Nippon.com)
Le réalisateur Matsumoto Junpei devant l’affiche du film Nagasaki – Dans l’ombre de l’éclair. (Photo : Nippon.com)

Ce récit est basé sur les mémoires des infirmières qui ont secouru les victimes de la bombe atomique (Senkô no Kage de – Genbaku hibakusha kyûgo Sekijûji kangofu no shuki, 1980). Matsumoto, approché par le producteur, a eu toute liberté quant à la manière d’adapter l’histoire.

M.J.  La production a fait appel à moi parce que je suis un descendant à la troisième génération des victimes de la bombe atomique de Nagasaki. On m’a dit que la direction artistique respecterait les options du réalisateur. Bien sûr, cela représente une certaine pression, mais en tant que créateur, je suis reconnaissant d’avoir pu bénéficier d’une telle liberté. J’ai eu à cœur d’accomplir ce travail avec responsabilité.

Recourir à la fiction pour exprimer la réalité

Le personnage principal est Sumi (Kikuchi Hinako), âgée de 17 ans. Elle fréquentait l’école d’infirmières de la Croix-Rouge à Osaka, mais se trouve exposée à la bombe atomique alors qu’elle était rentrée à Nagasaki en raison de la fermeture des écoles causée par les raids aériens. Elle et deux autres camarades de classe, Atsuko (Ono Karin) et Misawo (Kawatoko Asuka), sont réquisitionnées pour secourir les blessés. Cette mission incroyablement difficile dure environ un mois.

M.J.  Il n’est pas possible de décrire la réalité de la bombe du point de vue d’une personne unique. Concernant l’instant de l’explosion, il fallait trois personnages. J’ai pensé qu’il serait difficile de représenter la situation réelle sans ces trois points à l’esprit : un endroit relativement proche de l’hypocentre, un endroit un peu plus éloigné, et un endroit hors de la zone.

Sumi (Kikuchi Hinako) est exposée aux radiations de l'explosion atomique alors qu'elle se trouve dans un bus qui la conduit de la ville de Nagasaki à la maison de sa grand-mère.
Sumi (Kikuchi Hinako) est exposée aux radiations de l’explosion atomique alors qu’elle se trouve dans un bus qui la conduit de la ville de Nagasaki à la maison de sa grand-mère.

Le réalisateur était surtout préoccupé par la façon de représenter « le 9 août à 11 h 02 ». Reproduire à l’écran l’atrocité du souffle et la chaleur autour de l’hypocentre est impossible, cela va sans dire.

M.J.  L’héroïne se trouve dans un bus, très éloigné de l’hypocentre, c’est là que l’instant de l’explosion est représenté. Le cœur de l’histoire commence là. Je me suis dit que cela pouvait fonctionner. Il était nécessaire de faire ce genre de « calcul ».

Au moment de l’explosion, Misawo (Kawatoko Asuka) rentrait de la messe avec son père (Hagiwara Masato).
Au moment de l’explosion, Misawo (Kawatoko Asuka) rentrait de la messe avec son père (Hagiwara Masato).

Transmettre l’horreur de l’expérience de l’explosion est certes un thème important, mais trop se concentrer sur ce motif aurait rendu le film inintéressant.

M.J.  S’il avait été possible dépeindre avec réalisme les environs du point d’impact au moment de l’explosion, je l’aurais fait. Mais avec un budget limité et compte tenu des diverses contraintes, il fallait réfléchir en détail et faire des choix sur ce qu’il fallait montrer et ce qu’il ne fallait pas montrer afin d’obtenir le meilleur effet possible. Pour présenter cela de façon séquentielle, il fallait bien sûr recourir à la fiction.

Atsuko (Ono Karin) s'était portée volontaire pour faire un stage à la section de Nagasaki de la Croix-Rouge au moment du bombardement et était sous la supervision de l’infirmière en chef (Misaki Ayame).
Atsuko (Ono Karin) s’était portée volontaire pour faire un stage à la section de Nagasaki de la Croix-Rouge au moment du bombardement et était sous la supervision de l’infirmière en chef (Misaki Ayame).

Les différentes expériences décrites par les infirmières dans leurs mémoires ont été intégrées dans différentes scènes centrées sur trois élèves-infirmières, trois jeunes femmes, qui ont été exposées à la bombe atomique dans différents lieux à et autour de Nagasaki mais qui étaient présentes le lendemain à la section de Nagasaki de la Croix-Rouge, où elles ont été chargées, en tant que membres de l’équipe de secours, de prodiguer les premiers soins aux innombrables blessés. Le public assiste avec elles aux souffrances des victimes de la bombe atomique et à leur mort tragique.

Pas d’instructions sur le plateau

M.J.  La caméra reste en permanence serrée sur les trois protagonistes, car nous disperser sur d’autres personnages aurait affaibli la force narrative du film.

Les acteurs ont participé à un atelier d’environ un mois avant le tournage afin de se confronter à leur rôle face à la bombe atomique. Lors du tournage, aucune instruction détaillée n’a été donnée aux acteurs par le metteur en scène. Le film a largement été tourné en « plans-séquence », filmés en une seule prise.

M.J.  Sur le plateau, je demande d’abord aux acteurs de lire le script sans exprimer d’émotions. Après avoir répété plusieurs fois jusqu’à ce que les mouvements soient bien définis, nous passons directement au tournage sans faire d’essai. Nous filmons en plan séquence. En général, je donne mon accord dès la première prise, et la scène est terminé. C’est ce que j’ai toujours voulu faire.

Les victimes de l'explosion, à l'article de la mort, réclamaient de l'eau, mais leur en donner risquait d'aggraver leur état.
Les victimes de l’explosion, à l’article de la mort, réclamaient de l’eau, mais leur en donner risquait d’aggraver leur état.

La beauté de la photographie qui caractérise cette œuvre est également éloignée de l’image que l’on se fait généralement des « films sur la bombe atomique ».

M.J.  Nous en avons longuement discuté et à plusieurs reprises au préalable, puis j’ai laissé le directeur de la photographie faire son travail. Je ne regarde pas le moniteur sur le plateau. Je me contente d’observer le jeu des acteurs. Une fois les préparatifs terminés (vérification des mouvements avant la prise), je demande au directeur de la photographie où et comment il compte filmer, puis je lui dis « Ok, allons-y ».

Matsumoto est convaincu que ce n’est pas parce que le sujet est lourd et sombre que l’image doit avoir la même tonalité. Il refuse les « trucs superficiels » pour ajuster la tonalité de l’image à l’écran à la lourdeur du sujet.

M.J.  Je veux que tout vienne de manière naturelle à l’écran. Ma position de base est de ne pas en faire trop dans la mise en scène. Idem pour le jeu des acteurs. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de leur demander de se contenir ici ou de forcer un peu l’intonation là.

De jeunes actrices qui réalisent une performance brillante.
De jeunes actrices qui réalisent une performance brillante.

Une nouvelle perspective sur la bombe atomique

L’histoire ne se contente pas de dépeindre les horreurs causées par l’explosion atomique, mais dépeint aussi de manière saisissante la condition humaine dans une situation extrême. Évitant le piège du « mythe Florence Nightingale » de l’infirmière édifiante, le film donne un aperçu du talent créatif de Matsumoto, habitué à la peinture des drames humains complexes.

M.J.  J’adore Dostoïevski. Un personnage se lance dans un monologue, puis un autre personnage répond par son propre monologue. Cette polyphonie crée un espace-temps extraordinaire.

Le film dépeint les émotions en équilibre instable des professionnels de santé qui s'occupent des victimes dans des conditions extrêmes.
Le film dépeint les émotions en équilibre instable des professionnels de santé qui s’occupent des victimes dans des conditions extrêmes.

M.J.  Ce que je voulais faire, c’était révéler ce que les personnages ressentent. Dans un film, il est bien sûr important de suivre le déroulement de l’histoire et de faire en sorte que certaines scènes fassent avancer le récit, mais je tiens à mettre l’accent sur les moments où les personnages dévoilent leurs sentiments. Je pense que ce qui ressort alors dépasse la seule valeur éthique des personnages. Particulièrement dans une situation extrême comme celle-ci, chacun a forcément ses propres sentiments.

Dans le drame qu’ils vivent, les survivants de l’explosion atomique n’expriment pas seulement leur haine envers les États-Unis pour avoir utilisé une arme inhumaine. Ils nourrissent également du ressentiment envers l’État japonais qui a provoqué cette situation. Le film montre aussi fidèlement, à partir de témoignages de l’époque, que les victimes de la bombe ne sont pas uniquement des Japonais, et la discrimination dont ont été victimes les Coréens dans les centres de secours.

Ainsi, la technique narrative de Matsumoto ouvre une perspective singulière qui transcende l’éthique commune. C’est précisément parce qu’il présente les événements avec détachement que chaque spectateur peut se faire sa propre opinion. C’est pourquoi, même si le réalisateur souhaite exprimer son opposition à la guerre, il s’abstient de transmettre son message de manière trop directe.

M.J.  En réalité, au stade du scénario, les répliques qui exprimaient l’aversion pour la guerre étaient plus nombreuses. Mais nous les avons réduites ou reformulées au montage. J’ai pensé que les mots qui reflétaient trop mes propres opinions allaient devenir encombrants. J’ai plutôt réfléchi aux mots que prononceraient les personnages. Dans la mesure où on parle des victimes de la bombe, leur opposition à la guerre et à la bombe atomique ressort naturellement et de manière très forte. J’ai donc préféré limiter autant que possible les répliques et de laisser les autres éléments parler à leur place.

Avant ce film, Matsumoto a travaillé sur deux œuvres très différentes : Sakurairo no Kaze ga Saku (« Un vent couleur fleurs de cerisier », 2022), qui retrace la vie du professeur d’université sourd aveugle Fukushima Satoshi et de sa mère, et Shajiku (2023), qui dépeint une relation triangulaire entre un homosexuel, une étudiante et un gigolo dans le quartier de Kabuki-chô, à Shinjuku.

M.J.  Je ne suis pas quelqu’un qui prend tout au sérieux, je ne crois pas qu’il soit dans ma nature de ne filmer que des histoires édifiantes. Il fut un temps où je me posais des questions sur comment exprimer ma personnalité en tant qu’auteur, mais aujourd’hui, je ne me préoccupe plus de ça et je me consacre simplement à fond aux projets que j’accepte. Certes, je cherche toujours à trouver un lien avec moi-même dans mes films. Cette fois encore, je me suis demandé ce que je pouvais faire en tant que personne originaire de Nagasaki et dont le grand-père a été victime de la bombe atomique. Il est nécessaire d’approfondir nos connaissances sur ce qui s’est passé après la tragédie. Il faut cela pour réfléchir à l’avenir du monde et à la paix.

Le film

  • Réalisation : Matsumoto Junpei
  • Casting : Kikuchi Hinako, Ono Karin, Kawatoko Asuka, Misaki Ayame, Hagiwara Masato, Minami Kaho
  • Année de production : 2025
  • Site officiel : nagasaki-senkou-movie.jp/

(Photo de titre : Nagasaki – Dans l’ombre de l’éclair, Kikuchi Hinako [à droite], Ono Karin [à gauche] et Kawatoko Asuka, incarnent des élèves-infirmières dévouées au secours des victimes de l’explosion atomique. Toutes les images du film © 2025 Comité de production Nagasaki – Dans l’ombre de l’éclair)

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