« Baka’s Identity », de Nagata Koto : une camaraderie masculine au sein de la pègre japonaise
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Une brutalité désinvolte
Le film Baka’s Identity met en scène de jeunes hommes travaillant au marché noir et inexorablement en route vers une criminalité plus brutale. Il est basé sur le roman de Nishio Jun intitulé Orokamono no mibun (L’identité d’un imbécile), tiré d’une nouvelle précédente.
La cinéaste Nagata a lu la nouvelle initiale et suivi son évolution lorsqu’elle s’est transformée en un roman à part entière doté d’un contexte et d’un déroulement plus riches.

Le personnage principal, Takuya (Kitamura Takumi), est membre d’un gang informel de courtiers en identité et cybercriminels qui s’est attribué le nom de Media Group.
Le roman s’ouvre sur une scène où Mamoru, âgé de 25 ans, utilise des téléphones portables pour se faire passer pour des jeunes femmes envoyant des messages à des hommes choisis au hasard. Toutes les cibles se trouvent dans une situation financière désespérée. Son travail est la première phase du « courtage de registres », l’activité clandestine consistant à acheter et vendre de vraies identités.

Mamoru (Hayashi Yûta) a grandi dans une famille violente. Takuya l’introduit dans le monde criminel.
Mamoru prend ses ordres de Takuya, qui a un rang plus élevé dans l’organisation. Lorsqu’ils identifient une cible valable, ils envoient une jeune femme la rencontrer et lui proposer un marché qui, bien sûr, est trop beau pour être vrai. Takuya sert d’intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs, mais au-dessus de lui il y a un petit gang criminel qui exerce un contrôle strict sur ce marché noir. Takuya finit par être entraîné par le gang dans un travail de plus en plus dangereux à mesure qu’il frise la ruine. Au cours de cinq chapitres, le roman suit aussi d’autres personnages, dont une des femmes qui accrochent les cibles, un homme qui a vendu son identité, un détective qui le cherche et Kajitani, l’homme qui a fait entrer Takuya dans cette activité.

Takuya règle Kisara (Yamashita Mizuki), l’une des femmes envoyées pour convaincre les cibles de Mamoru de vendre.
« Quand j’ai lu le roman, dit Nagata, je me suis dit : “Je peux travailler avec ça !” C’est un roman policier à suspense et particulièrement brutal, mais l’histoire possède aussi une touche légère. C’était, semblait-il, quelque chose qui me permettrait de travailler avec les thèmes lourds dont je veux traiter tout en jouant sur la corde du divertissement pour mieux faire passer le message. »
Un second début
Nagata a fait ses débuts dans la mise en scène en 2001, avec The Hole, filmé directement en vidéo, et tourné depuis six longs métrages, dont le très récent Go ! Go ! Stupid Woman ! (2020). Entre-temps, elle a aussi filmé des programmes de télévision et des publicités.
« Qu’il s’agisse de cinéma, de télévision ou de publicité, je me plonge entièrement dans le travail. Mais bien sûr, une émission de télévision appartient à la chaîne qui la diffuse et aux producteurs. Et l’on a tendance à penser que, une fois diffusée, elle n’existe plus. J’ai toujours été confrontée à ce sentiment de vacuité après tout le travail accompli. »

C’est Kajitani (Ayano Gô) qui a fait plonger Takuya dans cet univers du vice.
Nagata a finalement entrepris de concevoir son propre projet de film à l’hiver 2021, alors qu’elle venait d’achever un projet télévisé.
« Je ne rajeunis pas, et je veux laisser quelque chose derrière moi sous forme filmée. Je ne pouvais pas laisser cela inachevé. Je m’inquiétais toutefois de ce que je ferais si cela ne débouchait jamais sur rien en dépit de ma détermination. Je n’en suis pas moins allée ici et là sans vergogne en disant à tout le monde : “Je travaille sur l’œuvre de ma vie !” et “C’est mon second début !” (Rires). Et cela a éveillé l’intérêt d’un ami producteur. »
Un piège infernal
Même avant sa rencontre avec le livre, Nagata dit qu’elle lisait des articles et regardait des documentaires sur les centres de détention des jeunes et les économies souterraines. Le point sur lequel elle-même et le producteur se sont entendus était de traiter de la question de la pauvreté juvénile.
« Pourquoi tant de jeunes gens se tournent-ils vers le crime ? Je sais que les gamins qui se font arrêter pour un travail illégal se contentent de dire qu’ils avaient besoin d’argent, mais est-ce bien la vérité ? L’argent n’est-il pas uniquement un motif superficiel ? Je dois me demander quoi d’autre ils pourraient rechercher. C’est cette question qui nourrit ma réflexion. »

Takuya s’inquiète pour Egawa (Yamoto Yûma) qui a vendu son registre.
Nakata dit qu’elle s’est même rendue à Tôyoko, l’endroit infâme proche du bâtiment Shinjuku Tôhô, dans le quartier chaud de Shinjuku, pour parler avec une fille impliquée dans le commerce du sexe.
« De nos jours, les jeunes gens ont si facilement accès au côté sombre de la société. Comme ils ne se sentent pas en sécurité chez eux, ils convergent vers Tôyoko, et avant même de s’en rendre compte, ils entrent en conversation avec des gens de la pègre. Il y a aussi dans l’air l’idée que, s’ils franchissent une ligne critique, il n’y a pas moyen de faire machine arrière. La population du Japon est en baisse. Plutôt que de les rejeter avec une telle désinvolture, nous devrions chérir nos jeunes. »
Trois hommes, un seul chemin
Selon Nagata, ils ont simplifié l’histoire en adaptant le roman pour l’écran.
« L’histoire originelle impliquait un bien plus grand nombre de protagonistes. Nous l’avons réduite au trio Takuya, Mamoru et Kajitani. Depuis le début, je voulais décrire une seule vie à travers ces trois-là. Une jeune personne entre dans la pègre. Au fil des années, elle passe du statut de débutant à celui de vétéran. Et un jour elle commence à se demander si elle doit rester dans ce milieu ou si elle peut en sortir. Je voulais montrer cette progression en me servant de ces trois personnes appartenant à des générations différentes. »
Les trois acteurs, Kitamura Takumi, Hayashi Yûta et Ayano Gô, se sont partagés le Prix du meilleur acteur du Festival international du film de Busan, ce qui montre bien le succès de leur démarche.
L’histoire racontée par Baka’s Identity repose sur des descriptions réalistes des méthodes criminelles et de la violence à l’état brut, mais aussi des trahisons mutuelles propres à la vie des gangs et de leur contraire, la camaraderie entre gens qui trouvent des partenaires de confiance.

Comment les choses vont-elles se passer entre Takuya et Kajitani ?
Parmi toutes les œuvres du cinéma japonais qui traitent du monde ensanglanté de l’illégalité, il en est peu qui aient été tournées par une femme. Mais Nagata ignore la question hommes / femmes et préfère parler de la façon dont elle a apporté sa touche personnelle à son œuvre.
« Le premier élan consiste toujours à retirer le plus possible de matériaux superflus, de façon à réduire le temps de tournage sur place. L’équipe demande toujours davantage de coupures. Mais il arrive souvent qu’elle demande de couper quelque chose que je juge très important. Je ne souhaite pas seulement que l’histoire suive son cours. Je veux susciter la réaction émotionnelle délicate qui se produit lorsque deux personnes interagissent. Pas question de transiger là-dessus. Un regard en arrière m’indique que c’est là que surgit mon expression personnelle. L’un des producteurs m’a dit : “Lorsque j’ai lu le scénario, je me suis efforcé de m’imaginer ce que celui-ci allait donner, mais au bout du compte c’est une véritable œuvre de Koto.” »

Takuya traite Mamoru, qui n’a pas de famille à lui, comme un frère.
Très probablement, ce producteur pensait au vaste écart qui existait entre ce scénario et les œuvres précédentes de Nagata, compte tenu de l’attachement aux comédies romantiques qu’on lui attribue. Peut-être le secret de l’originalité de ce nouveau film est-il à chercher dans la façon dont il introduit fortuitement des touches peu orthodoxes.
« L’important dans les comédies romantiques est de veiller à ce que le public aime les personnages. Cela devrait être aussi le cas dans celle-ci. J’ai dit aux acteurs que, dans les scènes montrant les liens entre ces hommes, ils pouvaient se traiter mutuellement comme s’ils jouaient dans une histoire d’amour. Je pense avoir été en mesure de mettre à contribution toute l’expérience que j’ai accumulée dans toutes sortes d’endroits au cours des vingt dernières années. »
Le film
- Réalisation : Nagata Koto
- Casting : Kitamura Takumi, Hayashi Yûta, Ayano Gô, Yamashita Mizuki, Yamoto Yûma
- Année : 2025
- Site officiel : https://orokamono-movie.jp/
Bande-annonce
(Photos d’interview : Hanai Tomoko. Images du film © 2025 Baka’s Identity Film Partners)




