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Le grand comédien Oida Yoshi : « À 86 ans, on n’a plus peur de se faire bouffer ! »

Cinéma Culture

De tragédies théâtrales japonaises aux légères comédies françaises, Oida Yoshi illumine de sa présence toutes les scènes et les films dans lesquels il apparaît depuis un demi-siècle. Dans son dernier film, le comédien de 86 ans donne la réplique à une fille de... 77 ans plus jeune que lui ! À son vénérable âge et avec si longue expérience, nous en avons profité pour l’interroger sur le métier d’acteur, sur sa vision du monde et sur les jeunes d’aujourd’hui, des questions auxquelles il a répondu avec une grande franchise !

Oida Yoshi OIDA Yoshi

Oida Yoshi est né en 1933 dans la préfecture de Hyôgo. Diplômé de philosophie de l’Université Keiô. En 1970, il rejoint la compagnie de Peter Brook et le Centre International de Recherche sur le Théâtre. Il se fixe alors à Paris, d’où il poursuit sa carrière au cinéma comme au théâtre, mais aussi comme metteur en scène de théâtre et d’opéra. Il tourne dans de nombreux films japonais, français, américains. Pour n’en citer que quelques-uns : Gô-hime de Teshigawara Hiroshi, The Pillow Book de Peter Greenaway, Silence de Martin Scorsese. Il joue également dans certaines comédies françaises comme Taxi 2, Wasabi ou Ouvert la nuit. Commandeur de l’ordre des Arts et Lettres en France depuis 2013. Dernièrement, il campe le rôle principal du film « S’il te plaît, montre-moi le chemin de la gare » (Eki made no michi wo oshiete), sorti en octobre 2019.

Le vieil homme et la petite fille

Eki made no michi o oshiete (Montre-moi le chemin de la gare), réalisé par Hashimoto Naoki est l’adaptation du roman d’Ijûin Shizuka. C’est un film d’une très grande chaleur humaine, mettant en scène la rencontre d’une petite fille, Sayaka, interprétée par Niitsu Chise (fille du réalisateur d'animation Shinkai Makoto), qui attend le retour de son chien, et d’un vieil homme qui a perdu son fils mais espère le revoir.

Sayaka (Niitsu Chise) et son chien Lou ©2019 Comité de production du film
Sayaka (Niitsu Chise) et son chien Lou (©2019 Comité de production du film)

Oida Yoshi, son partenaire dans le film, a eu 86 ans cette année. Son personnage, qui tient un café jazz, devient un vrai ami de la petite fille, malgré le fossé des générations. Pour ce rôle, Hashimoto Naoki, le réalisateur, voulait un acteur qui se démarque du « grand-père typique des films et dramas japonais ». Oida, qui mène une carrière active depuis 50 ans en Europe, a été choisi pour sa présence mystérieuse de vieil homme capable de se trouver en phase avec les émotions d’une très jeune fille, et développer une amitié sur un pied d’égalité.

Fuse (Oida Yoshi), fait une confidence sur son fils à Sayaka qu’il vient de rencontrer. ©2019 Comité de production du film
Fuse (Oida Yoshi) fait une confidence sur son fils à Sayaka qu’il vient de rencontrer. (©2019 Comité de production du film)

Quand on a passé les 80 ans, vous savez…

— Vous avez joué dans des œuvres extrêmement exigeantes, littéraires et philosophiques, en particulier au théâtre. Ce film-ci appartient à un genre différent.

OIDA YOSHI  Je suis un acteur, si quelqu’un fait appel à moi, je suis heureux de répondre présent, et de contribuer au niveau de mes modestes moyens à la réalisation d’un bon film. Mes amis sont tous des gens âgés maintenant, mais ils me disent qu’ils ont pleuré en voyant le film. Il plaît à beaucoup de monde, semble-t-il. Mais je n’y suis pas pour grand-chose à vrai dire, c’est surtout grâce à la passion que l’équipe technique a mis dans ce film, à l’exigence du réalisateur, aux efforts du producteur et à une charmante jeune actrice. Sans oublier le chien ! (rires)

©2019 Comité de production du film
©2019 Comité de production du film

— Dans votre livre Mienai haiyû (« L’acteur invisible »), que vous avez écrit il y a plus de 20 ans, vous racontez l’anecdote d’un de vos aînés qui vous donne le conseil suivant : « Ne jamais jouer dans une pièce avec un enfant ou un animal, ils te boufferont. » Cette fois, on peut dire que vous brisez un tabou, alors !

O.Y.  Hé hé hé, c’est vrai, j’ai écrit ça ! Mais, vous savez, à 86 ans, on n’a plus peur de se faire bouffer ! J’adore les chiens, et la petite fille a l’âge de mon arrière-petite-fille. Alors au contraire, me faire bouffer par eux, à mon âge, c’est ce qui peut m’arriver de mieux ! Depuis mes débuts, les grands maîtres de l’art et du théâtre classiques m’ont beaucoup appris, par exemple qu’il vaut mieux mettre ses partenaires en valeur que se mettre soi-même en avant. Alors, que ma partenaire soit une enfant ou pas, j’essaie de lui faciliter la tâche.

— Pour ce film, on parle beaucoup des « 77 ans de différence d’âge » entre les deux acteurs principaux, et on insiste sur votre carrière de comédien, toujours active à 86 ans. Comment réagissez-vous à ces remarques ?

O.Y.  Je ne m’en soucie pas vraiment. Même quand la différence d’âge est importante, j’essaie de travailler comme s’il n’y en avait pas. Cela me semble plus important. En prenant de l’âge, l’habitude et les convenances sociales nous retiennent peu à peu d’exprimer ouvertement nos sentiments, c’est dommage. Plus on vieillit, plus on a tendance à classer les choses, on croit qu’être humain c’est être comme-ci et comme-ça, que la politesse veut que et que la morale dit que. Mais si vous avez le courage de vous déshabiller de tout ça, et de vous montrer tel qu’en vous-même, tout nu, alors, jeune ou vieux, homme ou femme, humain ou non-humain, nos cœurs peuvent communiquer entre eux. Et alors la vie n’est pas si compliquée qu’on le croit.

©2019 Comité de production du film
©2019 Comité de production du film

O.Y.  Tout le monde sait que perdre quelqu’un d’important est un chagrin qui ne guérit jamais, que l’on n’oublie jamais, comme dans le film. Et quand vous avez vécu plus de 80 années, vous en avez plein de ces trous dans le cœur, mais l’être humain a suffisament d’imagination pour combler ces trous. On peut retrouver les gens qu’on a perdus dans le monde de l’imagination, on leur parle dans nos rêves. C’est une faculté que nous possédons, nous autres humains, qui nous permet de dépasser le chagrin, de continuer à vivre. Le film ne nous dit pas seulement que ceux qui restent sont tristes, il nous donne des indices sur comment continuer à vivre.

Jouer n’est pas particulièrement amusant

— Vous avez une très grande expérience du théâtre, mais quelle est pour vous la différence du jeu de l’acteur, entre prise de vue de cinéma et jeu sur scène d’un théâtre ? L’entrée dans la scène est-elle différente ?

O.Y.  Au cinéma, le réalisateur est un cuisinier, qui fabrique un plat à partir des ingrédients dont il dispose. Et les ingrédients, c’est nous, les acteurs. Le cuisinier essaie de préparer quelque chose de bon, et pour l’aider, nous essayons d’être de bons ingrédients. Au théâtre, quelque chose de particulier peut apparaître selon le tempo ou selon le contact avec le public dans la salle, chaque représentation est unique. Dans ce sens-là, on peut dire que la responsabilité de l’acteur est plus grande au théâtre. Bon, dire qu’au cinéma l’acteur n’a aucune responsabilité serait sans doute un peu exagéré (rires), mais en tout cas, il y a un peu de ça quand même.

— Jouer au cinéma est plus amusant, alors ?

O.Y.  On me demande souvent si j’aime jouer, mais en fait, je ne dirais pas que je m’amuse beaucoup à jouer. Que ce soit au cinéma ou au théâtre, quand le metteur en scène dit « tournez-vous sur la gauche », je me demande comment je vais pouvoir me tourner sur la gauche, s’il me dit « restez debout ici », je me casse la tête à chercher comment je vais pouvoir me lever, à chaque instant, le moindre geste devient une question très sérieuse qui me demande beaucoup d’énergie. Pour moi, cela ressemble au travail du funambule, ce n’est ni amusant, ni douloureux, il faut juste faire attention, un pas après l’autre, de ne pas se casser la figure.

 — Vous dites que pour jouer, utiliser ces cinq sens ne suffit pas, il faut aussi utiliser ses « neuf trous » (deux yeux, deux oreilles, deux narines, une bouche, un conduit urinaire, un anus).

O.Y.  Comme nous l’apprenons à l’école, nous croyons que nous pensons uniquement avec notre cerveau. Comme si le corps était l’esclave de notre cerveau. Pourtant, notre corps a lui-même une pensée propre, le cerveau ne contrôle qu’une partie de notre pensée totale. Pour penser pleinement, la tête ne suffit pas. Notre vraie pensée est corporelle. Et il faudrait la développer davantage, si l’on veut pouvoir réfléchir en plus grand.

Sayaka et Fuse partent à la mer, avec Ruth, le chien du café ©2019 Comité de production du film
Sayaka et Fuse partent à la mer, avec Ruth, le chien du café (©2019 Comité de production du film)

—  Vous avez étudié les arts traditionnels comme le nô et le kabuki, mais pas seulement. Les méthodes de respiration du zen et du yoga, le shintô, le bouddhisme tantrique et le ki des arts martiaux aussi.

O.Y.  Mon métier d’acteur me permet d’apprendre beaucoup de choses, qui enrichissent ma vie quotidienne. Quand j’étais jeune, tout ma vie était organisée autour de la recherche de moyens pour devenir un meilleur acteur. Aujourd’hui, c’est l’inverse, mon métier d’acteur m’apprend à conduire ma vie quotidienne. Je crois que c’est grâce à ma profession que même devenu vieux, je peux vivre chaque jour calme et serein. Récemment, je me suis dit que je devrais bouger plus, alors j’ai commencé à apprendre le Tai Chi.

Sakai Maki (à droite) et Takifuji Kenichi jouent les parents de Sayaka ©2019 Comité de production de Eki made no michi wo oshiete
Sakai Maki (à droite) et Takitô Kenichi jouent les parents de Sayaka (©2019 Comité de production du film)

Et si les jeunes s’intéressaient un peu plus à la culture ?

— Vous vivez en France. Que ressentez-vous quand vous rentrez de temps à autre au Japon ? Les records de chaleur ont été battus en Europe cet été, je crois ?

O.Y.  J’ai fui la canicule et j’ai passé l’été à Hokkaidô. Il a fait 42°C à Paris. Moi, je mourrai dans pas longtemps alors ce n’est pas grave, mais pour les jeunes, c’est terrible. C’est à peu près le seul avantage qu’il y a être vieux (rires). Les années 1970 étaient une époque formidable, nous vivions avec l’espoir que des choses nouvelles allaient advenir. Aujourd’hui, si quelque chose vous donne de l’espoir, prévenez-moi, surtout ! (rires)

— Il y a cette jeune fille suédoise de 16 ans, Greta Thunberg, qui a fait une déclaration aux Nations-unies pour appeler à s’atteler à la crise du changement climatique…

O.Y.  Ce n’est pas déraisonnable. Ce qui va se passer dans 50 ans touchera directement les jeunes de sa génération. C’est formidable de pouvoir dire ce que l’on pense ! À propos, cet été, à Hokkaidô, j’ai assisté à un concours de danses folkloriques de jeunes. Et... je ne sais pas… ils se donnaient à fond et c’est certainement très bien de ce point de vue, mais enfin, des étudiants… je me suis demandé s’il n’y avait pas des questions plus importantes, les questions d’environnement, les questions politiques, qui devraient les passionner un peu plus ? Ma foi, ils ont de la chance de vivre dans un pays en paix comme le Japon…

Shiomi Sansei (à gauche) et Ichige Yoshie interprètent les grands-parents de Sayaka ©2019 Comité de production du film
Shiomi Sansei (à gauche) et Ichige Yoshie interprètent les grands-parents de Sayaka (©2019 Comité de production du film)

O.Y.  Les jeunes d’aujourd’hui veulent à tout prix devenir riche et vivre sans trop de soucis. Ils ne s’intéressent qu’à bien s’habiller, bien manger.... Ce n’est pas un crime, bien sûr, mais du point de vue de notre métier à nous autres, ils devraient tout de même essayer de porter un peu plus leur regard sur les questions culturelles au sens profond du terme. Les événements liés à la culture sont beaucoup moins nombreux au Japon qu’en Europe. Pourtant, les artistes japonais ont énormément de talent et de sens artistique.

— Et donc, dans ce monde si difficile (rires), comment faudrait-il vivre ? 

O.Y.  Quand vous êtes sur scène, non seulement il faut rester concentré sur la mise en scène, mais il faut également savoir se regarder du dehors, comme à vol d’oiseau. Dans la vraie vie c’est pareil : si on se laisse enterrer sous le poids de la vie, c’est douloureux. Vivre, c’est une accumulation de difficultés, mais pour les voir, il ne faut pas rester le nez dans le guidon, mais plutôt s’éloigner un peu de soi-même, faire un pas de côté. Si vous vous laissez happer par la société, tout peut vite devenir détestable. Mais reculez d’un pas, regardez-vous vous-même, à quel endroit de cette société vous vous trouvez, et vous pourrez vivre dans ce monde difficile, voire parfois horrible, d’une façon beaucoup plus apaisée.

(Photos : Hanai Tomoko, sauf mention contraire. Interview et texte : Matsumoto Takuya, de Nippon.com)

©2019 Comité de production du film
©2019 Comité de production du film

Le film

  • Acteurs et actrices : Niitsu Chise, Oida Yoshi, Sakai Maki, Takitô Kenichi, Shiomi Sansei, Ichige Yoshie
  • Basé sur l’œuvre d’Ijûin Shizuka
  • Scénariste/Réalisateur : Hashimoto Naoki
  • Année de production : 2019
  • Durée : 125 minutes
  • Site officiel 

Bande-annonce

France cinéma