GO Journal – Interviews de para-athlètes

Iwabuchi Kôyô : phénomène du tennis de table handisport et Youtubeur

Sport Tokyo 2020

La toute première médaille d’or japonaise aux Jeux paralympiques remonte à 1964, aux Jeux de Tokyo, et a été remportée dans la catégorie double messieurs de tennis de table. Cinquante-sept ans plus tard, c’est un pongiste qui a été choisi comme porte-drapeau de la délégation japonaise à la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques : Iwabuchi Kôyô. Il nous raconte les intéressantes différences entre le tennis de table classique et le para-tennis de table.

Iwabuchi Kôyô IWABUCHI Kōyō

Joueur de tennis de table handisport, il est touché depuis la naissance par deux maladies congénitales : le syndrome des brides amniotiques, causant un rétrécissement des chevilles et des pieds, et le pied bot, causant ses pieds à tourner en bas et vers l’intérieur. Dès son plus jeune âge, il s’essaie à différents sports, comme le football, le baseball, le golf ou le ski, et c’est à partir du collège qu’il commence le tennis de table. Il participe à des tournois internationaux dès le lycée et grâce à d’excellents résultats, il se qualifie pour les Jeux paralympiques de Rio de 2016.

Attaquer les faiblesses de l’adversaire

« La théorie, c’est d’attaquer à fond les handicaps de son adversaire », répond immédiatement Iwabuchi Kôyô, actuel 4e mondial (juillet 2021), interrogé sur ce qui est décisif dans un match de para-tennis de table. Alors que le journaliste semble étonné qu’une personne handicapée donne une telle réponse, l’athlète poursuit son explication comme s’il s’était attendu à cette réaction : « C’est exactement la même chose que dans n’importe quel autre sport de raquette : une fois dans le match, les deux joueurs vont chercher à appuyer sur les points faibles de l’autre et à le pousser dans des mauvaises positions. Ce serait un manque de respect et même de fair-play d’éviter de viser certains endroits par pitié pour son adversaire. »

Beaucoup de disciplines handisports sont organisées en des classes conçues en fonction des aptitudes fonctionnelles des athlètes, qui leur permettent de concourir sur un pied d’égalité. Mais bien que le tennis de table possède aussi des catégories selon le degré d’infirmité, les joueurs qui s’affrontent dans un match n’ont pas forcément le même type de handicap. Par exemple, il n’est pas rare qu’un joueur ayant un handicap à la main gauche joue contre un adversaire handicapé au pied droit.

Par ailleurs, aucun ajustement en particulier n’a été effectué concernant les dimensions de la table, la réglementation des raquettes ou les règles du sport. Autrement dit, chaque joueur voit automatiquement son handicap devenir son point faible. Mais c’est cette particularité qui fait que le para-tennis de table est si sophistiqué, complexe et spectaculaire. Il se démarque d’autres sports comme l’athlétisme ou la natation, où chaque athlète cherche à obtenir le meilleur chronomètre, et les sports d’équipe, comme le rugby-fauteuil ou le cécifoot, où les équipes sont formées avec des joueurs aux infirmités différentes. Ce ne sont ni plus ni moins les handicaps des joueurs qui font que le para-tennis de table est si passionnant.

« Un match de tennis de table entre personnes non handicapées est un duel de tactique et de finesse, résultant en un affrontement unique entre deux styles de jeu différents. Il faut bien connaître le sport pour comprendre ce qu’il se passe. Mais un match handisport est facile à suivre pour n’importe qui, puisque les handicaps des joueurs sont clairement visibles et qu’il est clair qu’ils seront déstabilisés si leur adversaire joue d’une certaine manière. En observant bien les tactiques d’attaque et de défense, on commence à saisir tout l’intérêt du tennis de table handisport. »

Finesse et stratégie pour dominer

Iwabuchi a découvert le tennis de table pendant le bukatsu (club scolaire) au collège. Bien qu’il devait porter des appareils orthopédiques afin d’avoir une meilleure amplitude de mouvements des pieds, cela ne l’a pas empêché de se consacrer entièrement aux entraînements avec les autres élèves et de participer à des tournois. Un jour, en troisième année de collège, l’entraîneur de son club extrascolaire (différent du bukatsu) lui a fait découvrir l’existence du tennis de table handisport, et c’est ainsi qu’il a participé à un match, par simple curiosité.

« Les joueurs bougeaient et frappaient la balle de manière complètement différente. Les coups étaient difficiles à prévoir : parfois l’adversaire décroisait alors que je pensais qu’il allait frapper croisé, et à d’autres moments il semblait se préparer à frapper fort alors qu’au final le coup était très faible. Tout était dur à anticiper : timing, trajectoire, puissance. J’étais choqué de voir qu’il existait une telle manière de jouer. Je me rendais aussi compte que certains joueurs choisissaient un revêtement en caoutchouc pour leur raquette qui absorbait le rebond de la balle, une stratégie défensive que je n’avais jamais vue jusqu’à présent. Pour la première fois de ma vie, je découvrais combien les tactiques du tennis de table étaient variées. »

Comme Iwabuchi ne s’était encore jamais considéré comme une personne handicapée, il a dû faire pour la première fois de sa vie les démarches pour obtenir un certificat d’invalidité, nécessaire pour participer à des rencontres handisports.

Le Japon est aujourd’hui un des grands pays du tennis de table et a remporté de nombreuses médailles aux Jeux olympiques. De nombreuses personnes, en plus des amateurs de tennis de table, ont regardé les échanges spectaculaires et la tension presque palpable des matchs pendant les JO de Tokyo. Iwabuchi explique que ce n’est pas la « réactivité » des joueurs qui leur permet d’être aussi rapide, mais plutôt leur « capacité à anticiper », car sans prédire la trajectoire de la balle avant que l’adversaire ne la frappe, ils ne pourraient pas réagir aussi vite.

Mais dans le para-tennis de table, les caractéristiques physiques de chaque joueur et leur style de jeu unique causent souvent des erreurs d’anticipation. Ceci est dû au fait que leurs handicaps sont exposés de manière visible, rendant le duel psychologique encore plus intense : les joueurs doivent rivaliser de finesse et de stratégie pour anticiper l’autre tout en essayant de tromper ses attentes.

« Je disais qu’il fallait attaquer à fond les handicaps de l’adversaire, mais à force de faire la même chose, il finit par s’y habituer. Donc le “combat” évolue constamment pendant le match. On finit par comprendre les particularités de l’adversaire, mais proviennent-elles de son handicap ou fait-il exprès de jouer comme cela ? Sans parvenir à deviner les intentions derrière ses particularités, on finit par se laisser entraîner dans le rythme de l’adversaire. Pour gagner, il faut au contraire lire dans le jeu de l’autre afin de prendre le contrôle du match et de développer les bonnes stratégies. »

En d’autres termes, bien étudier le camp opposé est un facteur déterminant. Plus on devient bon, plus on a d’adversaires et plus on est scruté par les autres. Iwabuchi explique qu’il a joué et rejoué de nombreuses fois contre les meilleurs, mais même avec le même adversaire, la façon de jouer change à chaque match, et ce qui fonctionnait une fois peut ne plus marcher par la suite.

Depuis la pandémie du coronavirus, beaucoup de compétitions nationales et internationales ont été annulées. Le seul moyen d’obtenir des informations récentes sur les autres concurrents était grâce aux vidéos. De plus, la révision des critères de classification en 2021 a fait qu’il sera possible pour Iwabuchi d’affronter à Tokyo des joueurs de haut niveau de différentes catégories pour la première fois.

« Auparavant, je me reposais souvent sur mon service pour gagner, mais récemment mes adversaires arrivent de mieux en mieux à l’anticiper, donc ça ne marche plus. C’est pourquoi pour les Jeux de Tokyo, j’ai préparé plusieurs bottes secrètes, et je suis aussi prêt à changer complètement de style. Pour gagner, il faut développer sa capacité d’adaptation et être habitué à se retrouver dans des situations imprévisibles. »

Faire connaître son sport au monde entier

Iwabuchi a lancé sa propre chaîne YouTube en 2020. Il poste de temps à autre des vidéos sur des sujets divers : explication de son handicap, analyses de ses matchs, entraînements quotidiens, réunions avec ses coéquipiers japonais. Bien sûr, tout cela a commencé par le désir de faire connaître le tennis de table handisport au grand public.

Ses vidéos les plus vues sont des présentations des meilleurs joueurs mondiaux — ses principaux rivaux aux Jeux de Tokyo —, en montrant des matchs qu’il a joués par le passé contre eux. Il analyse les échanges avec des explications simples, tout en ajoutant une pointe d’humour propre au monde du tennis de table handisport. Il lui arrive par exemple de commenter un superbe coup d’un joueur sans bras en s’exclamant : « On dirait qu’il a une main ! »

Iwabuchi estime que la promotion de son sport est aussi importante que la compétition elle-même. À quoi pensent les joueurs pendant les matchs ? Avec quel état d’esprit vont-ils affronter un adversaire ? Sa chaîne est l’occasion pour tout le monde de découvrir l’univers d’un sport méconnu.

Mais YouTube n’est pas l’unique moyen du pongiste pour promouvoir son sport. En novembre 2020, Iwabuchi a organisé un match d’exhibition, qu’il a appelé le « Iwabuchi Open », afin de permettre aux joueurs japonais de ne pas perdre l’habitude de la compétition dans un contexte de crise sanitaire et d’annulation des tournois. Il est très rare qu’un athlète handisport aille lui-même trouver des sponsors pour organiser son propre événement.

« Nous avons organisé le tournoi en prenant des mesures sanitaires rigoureuses. Je veux créer de plus en plus d’événements où les gens peuvent passer du bon temps en regardant des matchs de tennis de table handisport. Je suis bien sûr motivé par le fait de pouvoir jouer, mais aussi par le fait d’accueillir du monde. »

Il explique aussi que les vidéos ne permettent pas de capturer tous les détails que l’on pourrait remarquer en allant à un tournoi : « Quand les gens me regardent jouer sur Youtube, ils disent qu’ils n’ont pas l’impression que je suis handicapé. En effet, ce n’est pas si apparent si l’on ne me regarde que jouer. Mais si vous vous rendez à un tournoi et que vous observez comment les joueurs se préparent avant le match, comment ils se déplacent, vous verrez qu’ils ont tous un handicap, qu’il soit léger ou lourd. Mais même avec ces limitations, dès qu’ils s’affrontent au cours d’un match, ils rivalisent de techniques spectaculaires. Lorsque je suis parti pour la première fois à l’étranger pour une compétition internationale, ce qui m’a le plus surpris, c’est que les joueurs semblaient complètement transformés une fois le match commencé. Ce que je veux, c’est transmettre mon monde, tel que je le ressens, autour de moi. Je pense que c’est ce qui conduira au développement d’une culture du handisport. »

(Extrait d’un article paru le 24 août 2021 dans l’édition numéro 5 du magazine (GO Journal)

Photos : Gottingham
Interview et texte : Zoshigaya Senichi

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