Vers une nouvelle ère impériale, vers un nouveau Japon

L’empereur Naruhito en conférence de presse : le souverain transmet un message à son successeur

Société

L’empereur du Japon Naruhito a donné une conférence de presse le 21 février, deux jours avant son anniversaire. Le souverain de 62 ans a répondu à une question portant sur la succession impériale en faisant référence à un écrit rédigé par un empereur du XIVe siècle. Celui-ci mettait en garde le jeune prince héritier en lui expliquant l’importance pour celui qui deviendra son successeur de pratiquer la vertu.

Un avertissement au prince héritier

La conférence de presse donnée par l’empereur Naruhito le 25 février a duré presque 50 minutes. Les journalistes ont posé des questions sur des sujets très divers, notamment sur l’agitation autour du mariage de sa nièce, Komuro Mako, partie vivre aux États-Unis avec son époux. Par ailleurs, la manière dont le souverain du Japon aborderait le sujet de la succession de la maison impériale, qui a fait l’objet de débats au Parlement, était très attendue.

Un journaliste a formulé ainsi sa question là-dessus : « Le rapport du groupe d’experts nommés par le gouvernement sur ce sujet comprend deux propositions pour garantir que la maison impériale comporte assez de membres, la première étant de permettre aux femmes nées dans la maison impériale d’y rester même après leur mariage, et la seconde d’y accueillir par adoption des garçons issus de ses anciens membres. L’histoire de la lignée impériale montre qu’elle a été confrontée de nombreuses fois à ce problème, et qu’elle a toujours réussi à le dépasser. Vous qui avez beaucoup étudié les empereurs du passé, comment envisagez-vous cette longue histoire qui a permis au trône impérial d’être occupé de façon ininterrompue ? »

Ce à quoi Naruhito a répondu : « La succession impériale a connu de nombreux épisodes complexes — la guerre de Jinshin [lorsque, après la mort de l’empereur Tenji en 672, son fils et son frère cadet se sont fait la guerre pour le trône], ou encore la période Namboku-chô au Moyen-Âge [de 1333 à 1392, lorsque la cour du Nord et celle du Sud bataillaient]. Mais ce dont je me souviens à cet égard, c’est ce que m’a confié l’empereur émérite [son père Akihito, aujourd’hui retiré]: “ Traditionnellement, les empereurs ont adopté une position spirituelle dans laquelle ils partagent les souffrances et les joies du peuple.” Il me semble que cette pensée a été commune à tous les empereurs. »

« Les souverains du passé se plongeaient dans le Sūtra du Cœur après l’avoir eux-mêmes recopié car ils souffraient de constater les épreuves subies par le peuple, qu’elles soient causées par des disettes dues à des phénomènes météorologiques, inondations ou autres, ou par des épidémies. J’ai à nouveau perçu leur volonté constante de prier pour la paix du pays et la sérénité du peuple, leurs préoccupations pour les hommes et la société. »

Naruhito a ajouté qu’il lui semblait important, quand on réfléchit à l’histoire des empereurs, de comprendre que ceux-ci accordaient plus d’importance à l’étude qu’à la guerre. Il a mentionné à ce propos un écrit de la fin de l’époque de Kamakura (1185-1333), le Kaitaishi no sho [que l’on peut traduire comme « Avertissement au prince héritier »], que l’empereur Hanazono, connu pour avoir été un excellent poète, a rédigé en 1330 à l’attention de son neveu Kazuhito, le prince héritier (futur empereur Kôgon) qui n’avait alors qu’une quinzaine d’années.

L’importance de pratiquer la vertu et l’étude

L’empereur a poursuivi son propos.

« Dans cet écrit, l’empereur Hanazono expose d’abord l’importance de pratiquer la vertu, et il explique qu’à cette fin, il faut étudier, en incluant dans l’étude la morale et la bienséance. J’ai été très touché par cette pensée. »

« Tout en gardant à l’esprit ce que les empereurs du passé ont fait, en poursuivant assidûment mes études, en ayant toujours à l’esprit le peuple, en étant proche de lui, je compte intensifier mes efforts pour remplir la fonction symbolique qui m’est assignée. »

Ce n’est pas la première fois que l’empereur mentionne cet écrit dans une conférence de presse. Il en a parlé pour la première fois en 1982, lorsqu’il était encore prince impérial, pendant la conférence de presse donnée à l’occasion de la fin de ses études d’histoire à l’université Gakushûin, puis de nouveau lors de la conférence de presse de son cinquantième anniversaire, quand il était prince héritier.

« Je me souviens de mon émotion en lisant cet écrit. “L’étude” dont parle l’empereur Hanazono, ce n’est pas simplement l’érudition. Il utilise ce terme dans un sens qui inclut la morale et la bienséance que tout homme doit apprendre. Maintenant que j’ai 50 ans, je me rends à nouveau compte de l’importance de cette étude. »

La famille impériale accueille la nouvelle année (janvier 2022, Reuters).
La famille impériale accueille la nouvelle année (janvier 2022, Reuters).

Pourquoi l’empereur a-t-il mentionné cet écrit en liaison avec la question de la succession du trône ? Lorsque l’on considère son contenu et les circonstances dans lesquelles il a été rédigé, on distingue quelques points très significatifs.

L’empereur Hanazono l’a écrit quelques années avant le début de la guerre civile entre la cour du Sud, à Yoshino, et celle du Nord, à Kyoto, qui les vit s’opposer pendant une cinquantaine d’années. La maison impériale était alors divisée en deux, et la succession impériale disputée. L’empereur Hanazono a abdiqué à l’âge de 20 ans en faveur de l’empereur Go-Daigo, issu de la lignée opposée. Il s’est ensuite consacré à l’éducation du prince Kazuhito, le prince héritier. Celui-ci, fils adoptif de l’empereur Go-Fushimi, frère aîné de l’empereur Hanazono, et donc son neveu, a appris de lui ce qu’un empereur devait savoir pour exercer sa fonction, et il a ainsi été préparé à la période de trouble qui allait venir.

« N’as-tu pas honte de vouloir devenir empereur grâce à tes ancêtres ? »

Le Kaitaishi no sho, cet « Avertissement au prince héritier », de l’empereur Hanazono, qui est conservé dans le département des archives et des mausolées de l’Agence de la maison impériale, est d’un accès difficile, car il est écrit en sino-japonais, mais son contenu ne ménage pas celui auquel il est destiné.

« Élevés au palais, les princes impériaux ne connaissent rien des souffrances du peuple, et ne font aucun effort en ce sens. Ils n’ont à leur crédit aucune action méritoire pour le pays, ni aucun bienfait pour le peuple. Tout ce qu’ils font, c’est attendre, grâce à leurs ancêtres, de devenir empereur. N’en as-tu pas honte ? »

« Les sots diront : “la dynastie japonaise est unie (ininterrompue), et c’est une différence avec les pays étrangers qui ont vu se succéder les dynasties. Même si celui qui exerce le pouvoir n’a pas de vertu, cela ne pose pas de problèmes. La seule chose qu’on attend de lui est qu’il gouverne en protégeant ce que lui ont laissé ses ancêtres.” Moi [l’empereur Hanazono], je pense que c’est une énorme erreur. »

Dans le Kaitaishi no sho, il annonce aussi que le pays va connaître une période de troubles qui l’appauvrira.

Le prince héritier Kazuhito qui avait reçu cet enseignement sévère sur ses futurs devoirs est devenu l’empereur Kôgon après le détrônement de l’empereur Go-Daigo suite à la découverte de ses plans pour renverser le shogunat. Mais l’époque était très agitée, et le shogunat de Kamakura disparut. Lorsque l’empereur Go-Daigo qui avait été exilé à Oki reprit le pouvoir et que la restauration de Kenmu débuta, l’empereur Kôgon fut contraint de s’enfuir de la capitale et d’aller vers l’est. Il ne régna donc qu’un an et demi. Par la suite, il devint le premier empereur de la cour du Nord, mais il fut pris dans les troubles de l’époque Namboku-chô et mourut comme moine zen.

L’empereur Kôgon a été retiré de la liste des empereurs historiques, et il est beaucoup moins connu que l’empereur Go-Daigo, son contemporain. Mais l’empereur Go-Komatsu, sixième de la cour du Nord, et arrière-petit-fils de l’empereur Kôgon, étant devenu le centième empereur après la réunification des cours du Nord et du Sud, appartenait donc à la lignée de la maison impériale actuelle.

« Un empereur sans vertu n’aura pas le soutien du peuple »

Dès sa jeunesse, l’empereur Naruhito a lu le Kaitaishi no sho, dont nous venons d’évoquer le contexte historique, en pensant à son futur rôle ; maintenant qu’il est devenu empereur, il a probablement compris la pensée de l’empereur Hanazono sur ce qu’un souverain doit apprendre. Il a préféré ne pas fournir de réponse directe à la question portant sur la succession impériale, mais en évoquant cet écrit, il a sans doute voulu transmettre un message au jeune prince qui montera un jour sur le trône.

Ce message serait : « Tout prince qui devient empereur doit s’y être bien préparé. Il doit pratiquer la vertu, avoir beaucoup étudié, et s’efforcer d’accompagner le peuple. Un empereur sans vertu n’obtiendra pas le soutien du peuple, et cela mettra en danger le système impérial. »

La famille du prince Fumhito d'Akishino, le frère cadet de l'empereur et prince héritier, en janvier 2022 (site de l'Agence de la maison impériale).
La famille du prince Fumhito d’Akishino, le frère cadet de l’empereur et prince héritier, en janvier 2022 (site de l’Agence de la maison impériale).

À la fin de la conférence de presse, l’empereur a donné cette réponse à un journaliste qui lui demandait quelles étaient ses attentes pour le prince Hisahito, son neveu : « Je lui souhaite de tout mon cœur de connaître une belle vie de lycéen dans son nouvel établissement. »

(Photo de titre : l’empereur Naruhito pendant la conférence de presse donnée à l’occasion de son anniversaire, le 21 février 2022, dans la salle Shakkyō du palais impérial. Reuters)

empereur empereur Naruhito famille impériale prince Hisahito