Après la K-pop, la K-lit ? Pourquoi les jeunes auteurs coréens font un tabac au Japon

Livre Échanges internationaux

Après l’énorme succès au Japon des séries coréennes comme Winter Sonata ou le récent Squid Game, ainsi que de la musique K-pop (pour Korean pop), c’est au tour de la littérature coréene, abrégée en « K-lit », de connaître un véritable essor au Japon. Nous avons interviewé à ce sujet Kim Seung-bok, qui tient une librairie spécialisée en plein cœur de Tokyo. D’où vient un tel enthousiasme et comment le perpétuer ?

Quelques œuvres coréennes populaires au Japon, et même traduites en français

Comme c’est le cas à travers le monde, l’édition au Japon a connu beaucoup de revers depuis plusieurs décennies, avec une diminution des ventes due à la concurrence de l’Internet. Néanmoins, l’une des œuvres récentes à inverser cette tendance est le roman coréen Kim Jiyoung, née en 1982, de Cho Nam-joo (traduction française de Pierre Bisiou et Kyungran Choi, aux éditions 10/18) qui s’est déjà vendu à plus de 230 000 exemplaires au Japon. La traduction japonaise de ce « roman féministe » qui décrit le chauvinisme et la misogynie fermement ancrés dans la culture coréenne est paru en décembre 2018, et a catapulté son auteure vers un succès instantané.

La libraire Kim Seung-bok trouve l’impact de ce roman similaire au succès de Bae Yong-joon, la star idole de la série télévisée Winter Sonata qui a lancé la « vague coréenne » il y a presque 20 ans, et marqué le début du succès des produits culturels coréens sur l’archipel nippon.

Kim Jiyoung, née en 1982 a été adapté au cinema et est sorti au Japon en octobre 2020
Le roman Kim Jiyoung, née en 1982 (ici l’édition japonaise : 82 nen umare, Kim Jiyoung) a été adapté au cinéma pour une sortie au Japon en octobre 2020.

Plusieurs autres bestsellers traduits du coréen ont suivi le succès de Kim Jiyoung, née en 1982. Citons notamment « J’ai décidé d’être moi-même » (Watashi wa watashi no mama de ikiru koto ni shita, non traduit en français) de Kim Soo-hyun, qui s’est vendu à plus de 550 000 exemplaires depuis sa parution en 2019. Cette œuvre n’est qu’un exemple parmi les succès des livres coréens au Japon depuis quelques années.

C’est un peu par hasard que ces deux livres ont reçu un coup de pouce, quand le boys band coréen BTS les a recommandé aux fans lors d’une tournée au Japon. Toutefois, Kim Seung-bok pense que ce n’est pas simplement le cas de l’influence d’un groupe vedette. Pour elle en effet, les conditions idéales pour une percée de la littérature coréenne se mettaient déjà en place tout doucement depuis un moment...

Et justement, Kim est l’une des personnes à avoir mis en place ces conditions — bien qu’elle soit trop modeste pour l’admettre —, du fait qu’elle s’efforce à promouvoir la littérature coréenne depuis son arrivée au Japon en tant qu’étudiante, il y a 30 ans.

Kim Seungbok
Kim Seung-bok

Le design élégant par Yorifuji Bunpei et Suzuki Chikako de la couverture de la version japonaise de La Végétarienne, (traduction française de Jeong Eun-Jin, Jacques Batilliot, éditons du Serpent à Plumes 2015) . Le design simple et moderne du livre a contribué à son succès parmi les lecteurs de tous âges.
Le design élégant par Yorifuji Bunpei et Suzuki Chikako de la couverture de la version japonaise de La Végétarienne (titre japonais : Saishokushugisha). Le design simple et moderne du livre a contribué à son succès parmi les lecteurs de tous âges.

« À mon arrivée au Japon, on ne pouvait trouver des traductions de littérature coréenne que dans les bibliothèques universitaires... Cela m’a choqué », raconte Kim. « C’était tout à fait le contraire de la Corée du Sud où les librairies étaient pleines de romans japonais. »

Kim s’est mise à traduire elle-même des nouvelles de ses auteurs préférés et faire circuler les traductions parmi ses amis pour en discuter dans des groupes de lecture informels. En 2007, elle a créé Cuon, une maison d’édition spécialisée dans les traductions du coréen. Quatre ans plus tard, la société a lancé la collection « Nouvelle Littérature Coréenne », afin de familiariser les Japonais avec les œuvres écrites après 2000.

La première parution dans cette nouvelle série chez Cuon a été un choix personnel de Kim, le roman choquant et novateur de Han Kang, La Vegétarienne (traduction française de Jeong Eun-jin et Jacques Bailliot, éditions du Serpent à plumes, 2015).

Dès le départ, Kim souhaitait que cette nouvelle série symbolise la qualité et la sophistication, y compris dans le design des couvertures et le packaging. Les critiques du livre de Han Kang, dont le style évocateur et puissant exprime le traumatisme psychologique durable infligé à son protagoniste féminin, ont été dithyrambiques dans la presse. Le livre a obtenu une notoriété mondiale en 2016, car il devenait le tout premier ouvrage traduit d’une langue asiatique à gagner le prestigieux International Booker Prize. Le livre reste l’un des bestsellers de chez Cuon.

2015 : une année décisive

Selon Kim, l’année décisive pour la littérature coréenne au Japon a été 2015, quand la nouvelle de Park Min-gyu, Castella (non traduit en français) a gagné le premier Prix de traduction au Japon. Kim explique que cette prestigieuse récompense a permis de révéler le côté innovant de la littérature coréenne contemporaine.

Jusqu’à la mise en place d’un régime démocratique en 1987, les romans coréens étaient souvent des œuvres lourdes liées à la colonisation japonaise et la dictature militaire, et empreints d’une idéologie ethno-nationaliste. Les choses ont commencé à changer dans les années 1990 avec la publication de livres grand public plus ludiques écrits par de jeunes auteurs. Leurs histoires possédaient une légèreté qui avait été absente des écrits des générations précédentes, et jetaient un regard plus personnel sur les déboires de la vie quotidienne. Les sujets étaient tout autant d’actualité au Japon, comme par exemple la discrimination envers les femmes et la hausse des disparités économiques. Selon Kim, cette nouvelle façon d’écrire, ainsi que des sujets plus accessibles à la compréhension de tous, ont permis aux Japonais de s’identifier plus facilement aux romans coréens.

La naissance d’une librairie coréenne à Tokyo

L’année 2015, c’est aussi celle où Kim a ouvert Chekccori, un café/librairie coréen à Jimbôchô, au cœur du quartier des livres de Tokyo. L’établissement se spécialise en littérature coréenne, avec environ 4 000 volumes en stock, y compris des traductions publiées par Cuon et des ouvrages venant directement de maisons d’édition en Corée. Le magasin a rapidement attiré les amateurs de littérature coréenne de la capitale.

Les étagères sont bien remplies de romans, anthologies, essais, livres illustrés, BD, manuels de langue et magazines
Les étagères sont bien remplies de romans, anthologies, essais, livres illustrés, BD, manuels de langue et magazines.

Kim n’a pas lésiné en idée innovantes afin de rapprocher les Japonais des œuvres coréennes, comme par exemple des cours de traduction et des voyages organisés pour visiter les lieux ayant servi de cadre aux romans à succès. Avant la pandémie de Covid-19, la librairie organisait également des rencontres avec des auteurs, éditeurs et traducteurs, mettant en place environ 100 événements de ce type par an, y compris des conférences, lectures et concerts.

Le secret du succès : consolider une communauté de fans

Kim se veut toujours plus créative. Elle nous confie alors son objectif futur : « Je voudrais faire naître une nouvelle communauté d’amateurs de littérature coréenne au Japon, qui soit capable de partager son charme et ses qualités à autant de personnes que possible. »

Le festival littéraire organisé par K-Book, une fondation dont elle est directrice déléguée, est une autre de ses initiatives. L’édition 2020 du festival, qui s’est déroulée en ligne, comprenait une série de manifestations dont des lectures et interviews d’auteurs, des tables rondes de traducteurs, un dialogue entre des maquettistes japonais et coréens, et des présentations de 26 maisons d’édition qui ont fait découvrir leurs œuvres préférées parmi celles publiées. Kim pense que de tels évènements créent un lien plus fort entre les écrivains, les éditeurs qui produisent les livres, et les lecteurs qui les soutiennent.

La fondation organise de même un concours de traduction pour révéler des traducteurs talentueux, qui aideront peut-être à toucher un public encore plus varié. En clair, on peut dire que la synergie créée par ces manifestations a contribué à la popularité des œuvres coréennes au Japon aujourd’hui.

La K-lit vers un avenir prometteur

La preuve frappante du nouvel engouement pour la K-lit se voit dans le nombre de maisons d’édition cherchant à publier des traductions de livres coréens. Selon la fondation K-Book, entre 2020 et 2021, ce sont plus de dix maisons d’édition qui ont publiés des recueils d’essais coréens traduits en japonais. Et le nombre total de traductions de livres coréens, tous domaines confondus, a presque triplé.

« Les œuvres de science-fiction par des auteurs qui ont la trentaine réussissent particulièrement bien », analyse Kim.

Kim pense que la littérature coréenne possède un fort potentiel à l’avenir. « Je suis persuadée qu’elle attirera un public de plus en plus large au Japon dans les années à venir. Elle ajoute : « En Corée du Sud, c’est tout à fait courant que les gens citent des auteurs japonais tels que Murakami Haruki et Higashino Keigo parmi leurs auteurs préférés. Je pense que ce sera la même chose au Japon bientôt. Par exemple, les gens se diront fans de Han Kang et attendront avec impatience la parution des toutes dernières œuvres de leurs auteurs préférés. »

(Photo de titre : Kim Seung-bok dans sa librairie Chekccori du quartier de Jimbôchô, à Tokyo. Photos : Kodera Kei)

Corée du Sud littérature livre femme