Une plongée dans l’histoire des seigneurs de Kamakura

Yôfuku-ji : les vestiges d’un temple perdu de Kamakura livrent ses secrets

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Construit par Minamoto no Yoritomo, le fondateur du premier shogunat du Japon, le Yôfuku-ji est l’un des temples les plus importants de la ville de Kamakura. Mais en 1405, l’édifice a été détruit au cours d’un terrible incendie qui l’a fait entrer dans la légende. Au cours des dernières années, un grand projet de recherche archéologique a permis de générer des images qui nous donnent une idée de la splendeur de ce monument historique.

Trois pavillons et un lac

À 10 minutes au nord-est de la gare de Kamakura se trouve Kamakura-gû, un sanctuaire shintô. À cinq minutes à pied, on y trouve un parc fleuri, spacieux et bien entretenu couvrant environ 16 000 mètres carrés. Ouvert en juillet 2017, cet espace vert marque l’emplacement de l’ancien temple Yôfuku-ji. Depuis une petite colline traversant le parc, on peut facilement imaginer la disposition des enceintes sacrées : trois plateformes carrées surélevées (appelées kidan) où se dressaient autrefois les trois pavillons principaux, faisant face à un étang en forme de gourde. Aujourd’hui encore, la taille des plateformes donne toujours une impressionnante idée de la splendeur du temple qui se dressait autrefois sur le site.

Cet étang en forme de gourde s’étend sur plus de 100 mètres.
Cet étang en forme de gourde s’étend sur plus de 100 mètres.

La plate-forme surélevée des fondations du Nikai-dô, le pavillon à deux étages.
La plate-forme surélevée des fondations du Nikai-dô, le pavillon à deux étages.

Un transept fait saillie depuis les vestiges des fondations du côté sud, touchant le bord de l’étang. Une pancarte le décrit comme un tsuri-dono, un type de petit pavillon en bord de lac dont le nom signifie littéralement « palais de pêche ». Les gens pratiquaient-ils autrefois la pêche à la ligne dans le lac ? Du côté nord des fondations se trouve un ruisseau (yarimizu) près duquel de petits cailloux sont disposés comme pour faire ressortir le doux murmure de l’eau coulant sur la pierre. Cette vue n’aurait pas déplu à Minamoto no Yoritomo (1147–99), originaire de Kyoto, et qui n’avait jamais perdu son affection pour l’élégance et le raffinement de l’ancienne capitale.

Un pavillon tsuri-dono s’étendait autrefois depuis le pavillon Amida (dont les fondations sont à gauche). Un petit ruisseau s'écoule au nord du site.
Un pavillon tsuri-dono s’étendait autrefois depuis le pavillon Amida (dont les fondations sont à gauche). Un petit ruisseau s’écoule au nord du site.

Aujourd’hui, le site du temple est devenu un parc particulièrement agréable à visiter. Mais pendant les siècles qui ont suivi son incendie, le Yôfuku-ji n’existait plus que dans les archives historiques. Le temple avait été achevé en 1194, seulement deux ans après la nomination de Yoritomo comme shôgun. Pourquoi a-t-il donc fait construire le temple en ces lieux ? Et à quoi pouvaient donc bien ressembler les bâtiments d’époque ? Les réponses à ces questions peuvent apporter un éclairage important sur la vie de Yoritomo et fournir des indices sur la personnalité et la vision du monde de cette figure historique majeure du Japon.

Une vue du parc historique du Yôfuku-ji. Les fondationsà droite marquent l'emplacement du Yakushi-dô (pavillon Yakushi). À gauche  se trouvent les vestiges du Nikai-dô.
Une vue du parc historique du Yôfuku-ji. Les fondationsà droite marquent l’emplacement du Yakushi-dô (pavillon Yakushi). À gauche se trouvent les vestiges du Nikai-dô.

Cette image générée par ordinateur montre le site tel qu'il était à l'origine, avec un angle proche de la photo du dessus. (Images de synthèse fournies par le laboratoire de recherche Nagasawa et Inoue de l’Institut technologique de Shônan.)
Cette image générée par ordinateur montre le site tel qu’il était à l’origine, avec un angle proche de la photo du dessus. (Images de synthèse fournies par le laboratoire de recherche Nagasawa et Inoue de l’Institut technologique de Shônan.)

Un ancien nom fournit une piste essentielle

Les descriptions du Yôfuku-ji dans l’Azuma kagami (les anciennes chroniques du shogunat de Kamakura) mentionnent fréquemment un « pavillon à deux étages » et deux autres structures du temple.

Sur la base de ces seuls indices historiques, un archéologue local a décidé en 1933 d’explorer une zone dont le nom, Nikai-dô, suggérait qu’elle pouvait correspondre à l’emplacement du temple perdu. Il a alors supposé que les rizières voisines pourraient avoir autrefois constitué l’emplacement du lac faisant face aux terrains du temple. Des explorations préliminaires ont ensuite permis de retrouver des pierres de pavage issues de cette période. Les travaux ont repris après la guerre, et des fouilles archéologiques à grande échelle ont débuté en 1983.

Cette même année, les archéologues ont découvert les vestiges d’une grande salle carrée s’étendant sur près de 20 mètres. « L’année suivante, l’équipe a commencé à creuser au sud du bâtiment principal et a découvert les vestiges d’un édifice plus petit », explique Fukuda Makoto, membre de la division des biens culturels du Comité éducatif de la ville de Kamakura et archéologue travaillant pour la recherche sur le site. « En partant de notre intuition selon laquelle il pouvait s’agir là d’une des deux structures similaires qui se dressaient à l’origine de chaque côté du pavillon principal, l’équipe a commencé à faire le tour afin de creuser du côté nord. Ils ont alors effectivement découvert une structure plus petite construite sur un modèle similaire. »

Le site archéologique du pavillon Yakushi. (Avec l'aimable autorisation du conseil éducatif de Kamakura)
Le site archéologique du pavillon Yakushi. (Avec l’aimable autorisation du conseil éducatif de Kamakura)

Les archéologues ont donc découvert des vestiges correspondant aux archives historiques : il s’agit du Yakushi-dô et de l’Amida-dô, situés autour du Nikai-dô, la structure centrale du temple.

Le site du temple Yôfuku-ji

Il est devenu évident que ces deux plus petits pavillons situés de chaque côté du Nikai-dô central étaient l’Amida-dô du côté sud et le Yakushi-dô du côté nord. Les représentations bouddhiques qui étaient autrefois vénérées ici ont été détruites dans l’incendie, avec les structures qui les abritaient. Ce style d’architecture de temple, dans lequel une série de bâtiments se dresse comme un « ensemble » sur les rives d’un lac ornemental, est connu sous le nom de style de la « Terre Pure », d’après la doctrine du Bouddha Amida, qui promet la renaissance dans son paradis occidental à tous les êtres vivants qui invoquent son nom.

La main d'une représentation bouddhique retrouvée sur le site, à gauche, et une gargouille (oni-gawara) trouvée sur le toit d'un des bâtiments du temple. (Avec l'aimable autorisation du conseil éducatif de Kamakura.)
La main d’une représentation bouddhique retrouvée sur le site, à gauche, et une gargouille (oni-gawara) trouvée sur le toit d’un des bâtiments du temple. (Avec l’aimable autorisation du conseil éducatif de Kamakura.)

Derrière le Yôfuku-ji, du côté ouest, se trouve une petite colline. Lorsque le soleil couchant disparaissait sous sa crête, il projetait apparemment un halo de lumière sur l’arrière du toit du temple. Toute la structure était donc conçue pour évoquer le paradis d’Amida.

La crainte des esprits vengeurs

Mais pourquoi Yoritomo était-il si désireux de recréer le paradis occidental sur terre, dans ce temple ? Cela semble avoir été dû en partie à ses craintes concernant ses deux principaux rivaux politiques des années qui ont suivi l’instauration de son gouvernement shogunal à Kamakura. Le premier était son propre frère cadet, Yoshitsune, qui avait éveillé les soupçons de son aîné alors qu’il travaillait à éliminer les derniers résistants du clan rival Taira suite à leur défaite en 1185 à Dan-no-ura. Le second était le chef du clan des Fujiwara du nord, qui avait non seulement protégé Yoshitsune dans sa fuite face à son frère mais posait également une menace potentielle en tant que principal rival au nord-est, dans l’arrière-pays au-delà de Kamakura. Yoritomo a donc dû éliminer ces deux rivaux potentiels.

« Il ne fait aucun doute que Yoritomo était préoccupé par les esprits vengeurs de Yoshitsune et du clan Fujiwara du nord. La direction du ushi-tora, ou bœuf-tigre, vers le nord-est (également connue sous le nom de « Porte du Démon ») était considérée comme l’endroit depuis lequel les esprits maléfiques entraient et sortaient. En construisant le Yôfuku-ji au nord-est du palais du shôgun, Yoritomo espérait garder leurs fantômes loin de lui-même et de son entourage », déclare Fukuda. Et le style d’architecture de la Terre Pure était destiné à apaiser les esprits de Yoshitsune et de Yasuhira, le dernier seigneur du clan des Fujiwara du nord : « Regardez autour de vous ! Vous êtes dans un véritable paradis sur terre, d’une beauté et d’une sérénité sans équivalent. Restez ici et ne venez surtout pas me déranger dans mon palais ! ».

Localisation du Yôfuku-ji

Un cylindre à sutra en cuivre issu du monticule de sutras. Ces récipients étaient utilisés pour préserver les sutras bouddhistes, mais apparemment, aucun n'a été trouvé à l'intérieur de celui-ci (probablement à cause de son érosion au fil des siècles). (Avec l'aimable autorisation du Conseil éducatif de Kamakura.)
Un cylindre à sutra en cuivre issu du monticule de sutras. Ces récipients étaient utilisés pour préserver les sutras bouddhistes, mais apparemment, aucun n’a été trouvé à l’intérieur de celui-ci (probablement à cause de son érosion au fil des siècles). (Avec l’aimable autorisation du Conseil éducatif de Kamakura.)

Les images de synthèse redonnent vie au temple perdu

Le temple original aurait été presque entièrement construit en bois, et puisqu’il a été détruit dans l’incendie, il est difficile d’imaginer à quoi le site ressemblait au temps de sa splendeur. Récemment, une équipe dirigée par Nagasawa Kaya et Inoue Michiya de l’Institut technologique de Shônan a réussi à redonner vie au temple avec des vues en 3D.

Une image générée par ordinateur montre le côté sud du Yôfuku-ji. (Images de synthèse fournies par le laboratoire de recherche Nagasawa et Inoue de l’Institut technologique de Shônan.)
Une image générée par ordinateur montre le côté sud du Yôfuku-ji. (Images de synthèse fournies par le laboratoire de recherche Nagasawa et Inoue de l’Institut technologique de Shônan.)

Pour créer des images capables de ramener le temple à la vie virtuelle, l’équipe a dû se fier aux quelques indices qui subsistaient encore. On sait par exemple que les bâtiments de l’époque n’avaient pas de gouttières sur leurs toits. Au lieu de cela, la pluie s’écoulait au niveau du sol sous l’avant-toit. La position de cette gouttière pouvait encore être discernée dans les fondations, ce qui a donné à l’équipe quelques indices essentiels quant à la taille et à l’étendue des toits d’origine. D’autre part, certains éclats de bois trouvés dans le lac auraient fait partie du pont, et leur courbure a donc été utilisée pour recréer l’image de cette structure voûtée enjambant le lac devant les trois salles du temple.

La pluie serait autrefois tombée dans cet espace aujourd’hui rempli de pierres de pavage.
La pluie serait autrefois tombée dans cet espace aujourd’hui rempli de pierres de pavage.

Les visiteurs peuvent utiliser un smartphone pour voir la reconstruction en image de synthèse du temple.
Les visiteurs peuvent utiliser un smartphone pour voir la reconstruction en image de synthèse du temple.

La salle Phénix du Byôdô-in, célèbre temple de la ville de Uji, est un autre célèbre exemple du style architectural de la Terre Pure. (© Jiji)
La salle Phénix du Byôdô-in, célèbre temple de la ville de Uji, est un autre célèbre exemple du style architectural de la Terre Pure. (© Jiji)

Le professeur Nagasawa ne cache pas sa surprise devant ce que ces restitutions 3D révèlent : « Sans une technologie extrêmement précise, il est impossible de construire un bâtiment comme celui-ci », dit-il. C’est en effet une véritable prouesse architecturale pour l’époque. Les galeries autour du pavillon principal s’étendent en ligne droite sur 130 mètres, tandis que l’axe du pont qui enjambait autrefois le lac depuis le centre du temple est parfaitement aligné avec le pavillon principal du Nikai-dô.

Le professeur Nagasawa Kaya (à gauche) s'entretient avec Fukuda Makoto. Ils font tous deux partie de la division des propriétés culturelles du gouvernement municipal de Kamakura. Le morceau de bois dans les mains de Fukuda est vraisemblablement une partie d'une représentation bouddhique.
Le professeur Nagasawa Kaya (à gauche) s’entretient avec Fukuda Makoto. Ils font tous deux partie de la division des propriétés culturelles du gouvernement municipal de Kamakura. Le morceau de bois dans les mains de Fukuda est vraisemblablement une partie d’une représentation bouddhique.

Accès au temple Yôfuku-ji

Yôfukuji-ato (parc historique) : Depuis la gare de Kamakura, prendre le bus Daitô-no-Miya jusqu’au terminus. Le site se trouve à 5 minutes de marche au nord-est, et l’entrée est gratuite.

(Reportage et texte de Mochida Jôji, de Nippon.com. Photo de titre : les ruines du Yôfuku-ji telles qu’elles peuvent être admirées depuis la colline au sud du site. Les fondations surélevées des trois pavillons principaux sont clairement visibles : depuis l’avant, on distingue l’Amida-dô, le Nikai-dô et le Yakushi-dô. Ces trois structures faisaient autrefois face à un lac ornemental. Avec l’aimable autorisation du musée de l’histoire et de la culture de Kamakura. Toutes les photos sont de Nippon.com, sauf mentions contraires)

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