Exploration de l’histoire japonaise
L’énigme du Honnô-ji : qui est l’éminence grise derrière la mort d’Oda Nobunaga ?
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Le 2 juin 1582 au petit matin, 13 000 soldats d’Akechi Mitsuhide encerclent le Honnô-ji, un temple de Kyoto où Oda Nobunaga aime à faire halte. Nobunaga n’est alors accompagné que d’une vingtaine d’hommes (voire une centaine selon certaines sources), le rapport des forces est totalement déséquilibré.
Après avoir ordonné qu’on mette le feu à l’édifice, Nobunaga se donne la mort au milieu des flammes.

Sur l’estampe intitulée « Inventaire des généraux célèbres du Grand Japon : Oda Nobunaga, Ministre de la Droite du clan Taira » (Dai Nippon Meishôkan : Oda U-daijin Taira Nobunaga) on voit Nobunaga au Honnô-ji, debout au milieu des flammes. Collections spéciales de la bibliothèque centrale de Tokyo.
L’incident du Honnô-ji reste nimbé de mystères. En effet, il n’existe aucune source historique fiable permettant d’expliquer le geste de Mitsuhide. Pourquoi a-t-il choisi de se retourner contre son seigneur, pourquoi s’en prendre à Oda Nobunaga alors au faîte de sa puissance après sa victoire sur son ennemi juré Takeda Shingen ? Ce flou a laissé la place à toutes sortes de conjectures et de spéculations, les chercheurs indépendants et les auteurs de romans historiques ont chacun proposé leur interprétation : pour certains « Mitsuhide a tenté le tout pour le tout, poussé par l’ambition et le goût du pouvoir », pour d’autres « Mitsuhide était fou » et d’autres encore se sont demandés si « une éminence grise n’avait pas œuvré dans l’ombre ».
Une scène idéale pour les cinéastes ? La correction publique de Mitsuhide
La thèse la plus reprise dans les romans historiques et les téléfilms est celle de la « rancœur » : Mitsuhide aurait nourri une haine tenace à l’encontre de Nobunaga.
Dans les « Écrits de Kawasumi sur Toyotomi Hideyoshi (surnommé Taikô) » (Kawasumi Taikô-ki, rédigé vers 1615-24), on peut lire que Mitsuhide, alors en charge de la réception donnée pour Ieyasu au château d’Azuchi du 15 au 17 mai 1582, aurait laissé pourrir le poisson prévu pour le banquet. Outré de ce faux-pas, Nobunaga lui aurait sur le champ signifié son renvoi.
Cette source a ensuite été grandement exploitée. De nombreux téléfilms ont ainsi montré Ieyasu s’emportant contre Mitsuhide tant son banquet « empestait » le poisson pourri. En représailles, Nobunaga (ou Mori Ranmaru, un guerrier de sa jeune garde) en serait venu à frapper et humilier Mitsuhide devant les convives. Des scènes on ne peut plus cinématographiques montrent Nobunaga, furieux, châtiant Mitsuhide.

Mori Ranmaru humilie Mitsuhide devant les convives, sous les yeux de Nobunaga, ici debout à gauche. Illustration tirée des « Chroniques illustrées de Hideyoshi (taikô) » (Ehon Taikô-ki). Collections du Centre national de recherche sur la littérature japonaise.
Cet épisode est repris dans plusieurs autres documents. Kirino Sakujin dans son roman historique fait notamment référence à un passage de la « Généalogie du clan Inaba » (Inaba-ke fu) où le seigneur du domaine d’Usuki dans la province de Bungo consigne qu’en mai 1582, Nobunaga a fait d’un revers de main voler le postiche de Mitsuhide qui était presque chauve. Mitsuhide aurait donc eu de bonnes raisons d’en vouloir à Nobunaga. Par ailleurs, les « Récits d’anciens stratèges par Sekiya Masaharu » (Seishun Kohei-dan) rédigés à la fin du XVIIe siècle par un tacticien du clan Kaga, mentionnent également : « En effet, (Nobunaga) a frappé Akechi à la tête. »
Dans les deux derniers ouvrages que nous venons de citer (« Généalogie du clan Inaba » et « Récits d’anciens stratèges par Sekiya Masaharu »), Inaba est à l’origine du courroux de Nobunaga. C’est lui qui, mécontent que Mitsuhide lui ait emprunté ses hommes-liges, se serait plaint à Nobunaga qui aurait alors choisi de punir son général. Le banquet raté n’aurait pas été la seule source de griefs entre les deux guerriers.
Dans son « Histoire du Japon » (1583-97), le missionnaire jésuite Luis Frois relate qu’à la mi-mai 1582, lors d’un entretien à huis clos, Nobunaga aurait fini par rouer de coups de pieds Mitsuhide qui lui avait répondu avec insolence.

Le Honnô-ji était à l’origine situé près de Horikawa Shijô. Avant son déménagement, le temple était installé sur un terrain faisant 150 mètres d’est en ouest et 300 mètres du nord au sud. (Pixta)
Par ailleurs, les « Chroniques de guerre d’Akechi » (Akechi Gunki, écrites en 1688-1702) avancent que Mitsuhide ici protagoniste du récit, s’était vu déposséder des provinces de Tanba et d’Ômi alors pourtant sous sa coupe, En effet, Nobunaga souhaitait le muter dans les lointaines provinces d’Izumo et d’Iwami afin de redistribuer ses forces et de remplacer les anciens conseillers du type de Mitsuhide, par de jeunes hommes issus de sa famille et son clan. Quoi de plus naturel que Mitsuhide en ait voulu à Nobunaga pour cette « rétrogradation », autre terrain propice à la rancune.
De nombreux indices suggèrent que Mitsuhide avait des raisons d’en vouloir à Nobunaga. Une certaine animosité devait planer entre les deux hommes.
Les nombreux candidats au rôle de commanditaire
Mais la « rancœur » n’est pas la seule justification évoquée, la piste de l’éminence grise œuvrant dans l’ombre a également ses défenseurs. Un tiers aurait pu habilement exploiter les dissensions existant entre les deux hommes dans le but de se débarrasser de Nobunaga.
Plusieurs commanditaires potentiels ont été identifiés. En voici quelques-uns : Ashikaga Yoshiaki, le 15e shogun ; l’empereur Ôgimachi ; le révérend du Hongan-ji à Osaka ; Chôsokabe Motochika, le puissant seigneur de Shikoku ; les Jésuites ; Toyotomi Hideyoshi ou encore Ieyasu.

(À gauche) Ashikaga Yoshiaki, 15e shôgun (1537-97), image tirée des « Chroniques illustrées des exploits de Toyotomi » (Ehon Toyotomi Kunkôki). Collections du Centre national de recherche en littérature japonaise. (À droite) Chôsokabe Motochika, qui régnait sur Shikoku depuis sa base de Tosa, était en conflit d’intérêt avec Nobunaga. « Les héros du Taiheiki : Chôsokabe Motochika, ministre à la Cour impériale» (Taiheiki Eiyû-den Chôsokabe Kunai shô-yû Motochika). Collections spéciales de la bibliothèque centrale de Tokyo.
Pour Fujita Tatsuo, professeur à l’Université de Mie, Mitsuhide et Chôsokabe Motochika étaient complices et auraient agi pour le compte du shôgun Ashikaga. Pour Imatani Akira, professeur émérite au Centre international de recherche sur la culture japonaise, l’empereur Ôgimachi était le plus grand ennemi de Nobunaga et le complot aurait été ourdi depuis la cour impériale. Les autres instigateurs ont été évoqués dans des romans historiques, sans que ces thèses soient étayées de sources historiques fiables. Attardons-nous sur le rôle supposé d’Ieyasu, une thèse peu relayée.
Sur quoi repose la thèse voulant que Ieyasu ait été le commanditaire ?
La thèse voulant que Ieyasu ait été le commanditaire se retrouve sous la plume de descendants d’Akechi, notamment les écrivains Akechi Kenzaburô et Kobayashi Kyûzô. Selon eux, comme Nobunaga avait demandé à Ieyasu de faire éxecuter sa femme Tsukiyama et leur fils Nobuyasu au nom de leur accord, Ieyasu aurait, en guise de revanche, poussé Mitsuhide à assassiner Nobunaga. D’autres arguent au contraire que Nobunaga aurait ordonné à Mitsuhide de tuer Ieyasu, mais que Mitsuhide et Ieyasu se seraient secrètement entendus pour faire, au contraire, disparaître Nobunaga.
Mais quand Ieyasu apprend la mort de Nobunaga survenue au cours de ce qu’on appelle l’« Incident du Honnô-ji », il est à Sakai, près d’Osaka. Craignant que Mitsuhide ne s’en prenne ensuite à lui, il bat en retraite accompagné d’une petite escorte et entreprend de traverser toute la province d’Iga pour rejoindre Mikawa. On dit de cette « traversée d’Iga » (Iga-goe) qu’elle est l’un des trois moments les plus critiques de la vie d’Ieyasu. Si Ieyasu avait été l’instigateur du meurtre, aurait-il pris la fuite dans l’espoir de sauver sa vie… ?
Quels auraient pu être les motifs poussant Ieyasu à manigancer une revanche ? On a vu que certains auteurs pensent que Mitsuhide a pu être motivé par la « rancœur » quand il s’est rebellé contre Nobunaga. Or Ieyasu avait également des raisons d’en vouloir à Nobunaga, la mise à mort de son épouse et de son fils aurait pu le pousser à choisir de se rallier au renégat.
Dans le téléfilm diffusé sur NHK sous le titre « Que vas-tu faire, Ieyasu ? », on voit Ieyasu grimacer quand il reçoit la carpe avariée pêchée dans la Yodo, faux-pas qui a pour effet de mettre Nobunaga en colère et la scène de se conclure sur la correction infligée à Mitsuhide. Mais Nobunaga se ressaisit ensuite et comprend que Ieyasu vient de le tromper dans l’espoir qu’il s’emporte contre son général. Nobunaga, ayant compris son petit jeu, lui lance alors un « On veut m’isoler et me tuer, n’est-ce pas ? ».
Les fictions ont besoin de scénarios innovants. À chaque nouvelle création, la trame narrative se fait plus complexe et joue toujours plus du suspense pour attirer les spectateurs. L’incident du Honnô-ji a attisé les imaginaires et continuera sans doute de fasciner les Japonais. On verra sans doute encore longtemps fleurir de nouvelles versions de ce fait historique passionnant.
Bibliographie
- « Akechi Mitsuhide et l’incident du Honnô-ji » (Akechi Mitsuhide to Honnô-ji no hen) de Owada Tetsuo / PHP Shinsho
- « L’incident du Honnô-ji » (Honnô-ji no hen) de Fujita Tatsuo / Kôdansha Gakujutsu Bunko
- « Qui a tué Nobunaga ? » (Dare ga Nobunaga wo koroshita noka) de Kirino Sakujin / PHP Shinsho
(Photo de titre : « L’incendie du Honnô-ji ». À droite, on distingue Nobunaga caché derrière un store de bambou. Collections spéciales de la bibliothèque centrale de Tokyo.)