Au Japon, avoir été adopté et en parler

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Cela fait 36 ans que les révisions apportées au Code civil japonais ont permis d’aligner les adoptions dans le pays avec les normes internationales et ainsi de garantir une meilleure protection pour les enfants concernés. Une fois adultes, nombre d’entre eux partagent leur histoire sur les réseaux sociaux et entrent en contact avec des personnes qui sont dans la même situation au Japon.

L’adoption : en parler de manière simple

La chaîne YouTube Origin44 a fait rapidement parler d’elle, nombreux y voyant un endroit pour parler de façon honnête, sans tabou ni complexe, de l’adoption au Japon. L’hôte de la chaîne, Shimura Ayumu, est rejoint par Ryûki et Yûsuke, dans la vingtaine, qui partagent librement leurs opinions et expériences en tant qu’enfants adoptés.

Lors d’une de ces discussions, Ayumu commence en disant : « Quels sont les avantages à être adopté ? » Les réponses sont franches, sans détour. « C’est comme avoir une seconde chance dans la loterie des parents », répond Ryûki. Tous les trois éclatent de rire. Yûsuke, lui, voit les choses sous un angle différent : « Cela vous permet d’être plus objectif dans les problèmes d’ordre familial. Puisque vous n’avez aucun lien biologique, vous avez tendance à prendre différentes opinions pour argent comptant. Si vous n’êtes pas d’accord sur un sujet, il est plus facile de garder son calme, de rester maître de ses émotions et d’entamer un dialogue. »

Lancée en février 2024, la chaîne compte de plus en plus d’abonnés. Ayumu, Ryûki et Yûsuke apparaissent régulièrement mais invitent également des parents qui ont adopté des enfants ou encore des organisations qui défendent les droits de ces enfants, donnant ainsi l’opportunité de parler librement de l’adoption.

Dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant du haut à gauche, Ayumu, Yûsuke et Ryûki de la chaîne YouTube Origin44. (Avec l'aimable autorisation d'Origin44)
Dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant du haut à gauche, Ayumu, Yûsuke et Ryûki de la chaîne YouTube Origin44. (Avec l’aimable autorisation d’Origin44)

Une révélation à un moment inattendu

La révision du Code civil japonais en 1987 a permis la mise en place d’un système spécial, en parallèle du système d’adoption déjà en vigueur. Auparavant, les enfants adoptés étaient mentionnés en tant que « fils / fille adopté(e) » sur le livret de famille. Mais en vertu du nouveau système, qui est limité aux enfants âgés de moins de six ans, un enfant adopté est inscrit en tant qu’enfant naturel du couple, et tous les liens avec les parents biologiques de l’enfant sont rompus. Ainsi, de nombreux enfants ne savent même pas qu’ils ont été adoptés.

C’est le cas de Yûsuke, qui n’a su qu’il avait été adopté qu’à l’âge de 17 ans. Une famille l’a adopté lorsqu’il n’était encore qu’un bébé. Il ressemble beaucoup à son père, ils ont les mêmes traits et une corpulence similaire, il n’aurait jamais pensé avoir été adopté.

La vérité a cependant éclaté de façon tout à fait inattendue lorsqu’il était au collège. Il faisait partie de l’orchestre d’instruments à vent de son école, et son groupe préparait un voyage à l’étranger. Il a donc fait une demande de passeport. Sa mère lui a tendu une enveloppe et lui a dit de la donner à la personne au guichet.

Mais un jour avant de se rendre au bureau des passeports, il a ouvert l’enveloppe. Il y avait à l’intérieur son livret de famille, où on pouvait lire la curieuse mention « date du jugement final et contraignant en vertu de l’Article 817-2 du Code civil ». Une rapide recherche en ligne sur son téléphone lui permit de comprendre que cela concernait son adoption.

Se disant qu’il devait s’agir d’une erreur, Yûsuke est allé se coucher sans pour autant oublier l’enveloppe. Sur le chemin de l’école le lendemain matin, il a cherché la phrase, encore, et encore, menant sans cesse au même résultat. Son cœur a commencé à battre la chamade, lorsqu’une idée lui a traversé l’esprit. Et s’il avait été adopté ? À l’école, il a voulu montrer son livret de famille à son professeur dans l’espoir de clarifier le problème mais le choc était trop important, aucun mot ne put sortir de sa bouche.

Plus tard, au bureau des passeports, la personne au guichet lui explique en détail son livret de famille, lui confirmant qu’il a en effet été adopté. Yûsuke décide tout d’abord de ne pas en parler, de peur de gâcher sa relation avec ses parents.

Mais toutes les histoires sont différentes. Ryûki, lui, a grandi en sachant que son père et sa mère n’étaient ses parents biologiques. « J’ai été adopté lorsque j’avais quatre mois », dit-il. Mais même si j’étais très jeune, mon père et ma mère ont été francs et m’ont tout de suite dit la vérité. Sa mère lui lisait les passages d’un livre illustré qu’elle avait elle-même fabriqué et lui expliquait d’où il venait. « Avoir été adopté, cela fait partie de mon identité, donc c’est une chose pour laquelle je n’éprouve ni gratitude ni ressentiment. »

Prendre la vérité en pleine face

Pour Yûsuke, apprendre qu’il a été adopté a suscité chez lui des émotions difficiles. En voiture avec sa mère, il s’est disputé avec elle à propos d’une chose sans importance et avant même qu’il ne s’en rende compte, les mots ont éclaté. « Tu ne comprendrais pas. Nous ne sommes même pas de la même famille. »

Un silence gênant s’installe. Yûsuke sort du véhicule en trombe et s’enfuit. Sa mère adoptive l’appelle, lui envoie des messages pour lui demander où il est, lui affirmant qu’elle demandera à la police de l’aider à le chercher si elle doit le faire. Mais en vain. Yûsuke les ignore tous. Son dernier message fut : « Reviens pour manger avec nous ce soir », ce qu’il fit.

Quand il est rentré chez lui, un dîner, comme les autres, l’attendait sur la table. Sa mère avait préparé son plat préféré : des ailes de poulet frites. Voyant le repas, Yûsuke comprit que sa mère essayait de lui montrer qu’elle comprenait ce qu’il ressentait.

Le sujet de l’adoption ne fut plus jamais abordé. Quand Yûsuke a fêté son vingtième anniversaire, il a voulu en savoir plus sur sa famille biologique. Il a intégré une communauté en ligne pour les enfants qui comme lui avaient été adoptés et a appris comment retrouver ses racines grâce à son livret de famille et aux archives des tribunaux. Il put ainsi découvrir le nom de ses parents biologiques et même apprendre qu’il avait des frères et sœurs.

Les parents de Yûsuke l’aidèrent dans ses recherches, lui proposant de se rendre avec lui dans des agences dédiées pour en savoir plus. Mais il a confié ne pas en ressentir le besoin, ajoutant qu’en toute honnêteté, il avait peur de ce qu’il pourrait trouver.

Yûsuke (à gauche) et Ayumu
Yûsuke (à gauche) et Ayumu

Élever un enfant adopté

Yûsuke comprend qu’il existe différentes opinions sur la question de savoir si une famille devrait dire ou non à un enfant qu’il a été adopté. Mais, pour lui, la décision de ses parents de ne pas le faire a coûté beaucoup, et à tous. « C’était difficile pour eux », dit-il. « Apprendre que j’ai été adopté, et surtout le moment et la manière, a créé un malaise chez moi. » L’une des principales raisons qui l’ont poussé à rejoindre Origin44 a été d’entrer en contact avec des personnes qui ont affronté les mêmes épreuves. « S’il y a quelqu’un qui a eu le même sentiment que moi, alors je veux partager avec lui mon expérience et lui apporter mon aide. »

Ayumu, tout comme Ryûki, a su dès son plus jeune âge qu’il avait été adopté. Quand il avait 15 ans, suivant les recommandations de sa mère adoptive et d’un groupe de services d’adoption, il a écrit une lettre à sa mère biologique. Elle lui a répondu, en lui disant qu’elle était maintenant mariée, heureuse, et qu’elle avait un enfant. Elle avait même joint dans l’enveloppe une photo d’elle et de sa famille.

« J’ai été bouleversé », se souvient Ayumu. « J’ai eu envie de lui demander pourquoi elle n’avait pas voulu de moi et pourquoi elle était heureuse d’élever mon frère. » Une fois la réaction négative passée, il est devenu plus objectif, s’est ressaisi et a dit : « Maintenant, je vois les choses différemment : ce n’est pas ma faute si j’ai été adopté et cela ne sert à rien de rejeter la faute sur ma mère biologique non plus. L’adoption est un processus qui consiste à faire ce qu’il y a de mieux pour toutes les personnes impliquées. Je n’ai aucun problème avec le fait qu’un parent puisse donner naissance à un enfant et qu’un autre parent soit dans une meilleure situation pour l’élever. »

Depuis qu’il a lancé sa chaîne, Ayumu comprend mieux le trouble émotionnel de nombreux enfants adoptés et parents adoptifs au Japon. C’est lorsqu’il a réalisé qu’il y a des gens qui souffrent parce qu’ils n’ont personne avec qui partager ce qu’il ressentent que lui avec d’autres amis, qui avaient été adoptés tout comme lui, ont commencé à soutenir l’organisation Tsubame.

« Nous n’avons pas choisi d’être adoptés et cela ne sert à rien de passer le reste de sa vie à ressasser », explique-t-il. « Je veux créer un monde où les personnes qui ont été adoptées pourront accepter ce qu’elles sont et être elles-mêmes, sans se soucier des autres, ni de ce qu’ils pourraient penser. »

Le droit de savoir

Iwasaki Mieko, directrice de la branche d’Osaka de l’Association pour l’avancement des soins familiaux, a été assistante sociale pendant plus de 50 ans. Son organisation, à but non lucratif, qui vient en aide aux enfants adoptés et aux parents adoptifs, reçoit chaque année de nombreuses demandes de la part d’adultes qui ont été adoptés et qui veulent en savoir plus sur leurs parents biologiques. Elle ajoute que certains ne réalisent qu’ils ont été adoptés que quand ils ont à leur tour des enfants et comparent le livret de famille de leur enfant avec le leur. D’autres ont très tôt des doutes mais n’en parlent jamais avec leurs parents adoptifs. Iwasaki Mieko ne voit pas cette culture d’un bon œil. Pour elle, cette situation rend difficile pour les enfants adoptés d’aborder le sujet.

Iwasaki Mieko aimerait que tous les enfants adoptés bénéficient des lois visant à leur donner des informations sur leur famille biologique.
Iwasaki Mieko aimerait que tous les enfants adoptés bénéficient des lois visant à leur donner des informations sur leur famille biologique.

Iwasaki explique qu’il y a un moyen pour les enfants adoptés de retrouver la trace de leur famille biologique, en effectuant des recherches dans les registres familiaux. Au moment de l’adoption, un nouveau registre familial est créé pour l’enfant au même endroit où les parents biologiques sont enregistrés, sous le nom de famille des parents adoptifs et avec l’enfant qui apparaît en tête du registre. L’enfant est ensuite ajouté au registre des parents adoptifs. Si l’enfant souhaite en savoir plus sur ses parents biologiques, il peut demander un certain nombre de documents depuis l’ancien registre, qui lui donnera des informations sur ses parents biologiques. Ce système préserve le droit de savoir des enfants adoptés à rechercher leurs parents biologiques et à retrouver leurs racines.

Cependant, si les parents biologiques changent par la suite de registre familial ou si l’un des deux est inscrit sur un autre registre familial au terme d’un mariage par exemple, il n’y a alors plus aucun moyen de retrouver leur nouvelle adresse ou leur nom de famille. L’amendement de 2008 à la Loi sur le registre familial renforce les protections entourant les informations personnelles. Il devient en outre plus difficile d’obtenir des informations sur le registre familial concernant des parties tierces, même celui de ses propres parents biologiques. Certains enfants adoptés ont essuyé un refus de la part de membres du personnel du bureau municipal, ces derniers ne prenant pas même la peine d’écouter leur histoire. La quantité d’informations à laquelle peuvent avoir accès les enfants adoptés diffère selon que leur mère biologique a ou non changé de registre familial et le degré de compréhension du système par la personne qui les reçoit.

« Si tous les enfants adoptés ne cherchent pas à retrouver leurs parents biologiques, nombre d’entre eux ont besoin de savoir qui étaient leur père et leur mère biologiques afin de se sentir complet », explique Iwasaki. « Un enfant a le droit de savoir d’où il vient. Il faut changer la façon dont le système de registre familial est appliqué afin de protéger le droit de savoir des enfants adoptés. »

Et à l’étranger ?

En dehors du Japon, de nombreux enfants adoptés ont raconté leurs expériences, comment ils ont essayé de retrouver leur famille biologique. Alex Gilbert a été placé dans un orphelinat russe avant d’avoir été adopté par un couple en Nouvelle-Zélande. Il avait deux ans. Aujourd’hui, il dirige l’association à but non lucratif I’m Adopted. Basée sur la toile, cette association permet aux enfants adoptés de Nouvelle-Zélande, ou d’autres pays, de se rencontrer et de partager leurs histoires. Alex Gilbert possède également une chaîne YouTube et un podcast du même nom, et aide les enfants adoptés à découvrir leurs origines.

Alex Gilbert
Alex Gilbert

Alex avait 18 ans lorsqu’il a décidé de rechercher ses propres racines. Avec de l’aide, il retrouvé ses parents biologiques. Il est parti à leur rencontre en Russie lorsqu’il avait 21 ans. Le père biologique d’Alex ne savait pas qu’il avait un fils jusqu’à ce qu’Alex entre en contact avec lui.

Pour Alex, il est clair que c’est à l’enfant adopté de choisir s’il veut ou non retrouver sa famille biologique. « Chacun devrait faire ce qu’il veut », dit-il, soulignant l’importance de pouvoir compter sur le soutien d’amis ou autres. Il ajoute que les enfants adoptés ne devraient entamer des recherches que lorsqu’ils sont prêts. « Soyez préparé à ce que vous trouverez. Et soyez aussi préparé à ne rien trouver, parce que cela peut arriver. »

Alex explique que grâce à I’m Adopted, il a pu entrer en contact avec d’autres enfants adoptés comme lui et ainsi étendre son réseau, notamment en faisant la connaissance de chercheurs et de personnes spécialisées dans les adoptions. Il se réjouit de pouvoir parler avec des enfants adoptés japonais. « Il est important que nous soyons connectés, quel que soit notre pays d’origine. L’entraide est la meilleure chose qui soit. »

(Texte rédigé avec l’assistance éditoriale de Power News. Photo de titre : [de gauche à droite] Yûsuke, Ayumu et Ryûki. Avec l’aimable autorisation d’Origin44. Toutes les photos : © Gotô Eri, sauf mentions contraires)

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