Du statut de hors-la-loi au métier d'avocat

Entretien avec Morohashi Yoshitomo, ancien yakuza devenu avocat

Société Personnages

Avocat à Tokyo, Morohashi Yoshitomo est aujourd’hui un membre respecté d’une profession difficile. Son passé est toutefois bien plus sombre : il avait fait partie d’une organisation criminelle. Mais cet ancien yakuza est convaincu que n’importe qui peut saisir une seconde chance dans la vie, tout comme il l’a fait.

Morohashi Yoshitomo MOROHASHI Yoshitomo

Né en 1976 dans la préfecture de Fukushima. Il lui a fallu deux ans avant de réussir l’examen d’entrée à l’université Seikei. Plus tard, il rejoindra une organisation mafieuse. En 2005, en raison d’une addiction aux stimulants, il sera hospitalisé de force et ensuite arrêté pour avoir enfreint la législation ad hoc. Il sera condamné à une peine avec sursis et expulsé de son gang. À la même époque, il se remet à étudier pour obtenir diverses qualifications professionnelles. Après avoir réussi les examens d’agent immobilier et de rédacteur judiciaire, il passe et réussit le barreau en 2013. Il est l’auteur d’un livre sur sa vie, Moto-yakuza bengôshi (« Avocat, ancien yakuza »).

La chute d’un bon élève

Morohashi Yoshitomo est né à Iwaki, dans la préfecture de Fukushima. Il est fils unique. Sa famille, active dans la production de nouilles, ne le prédestinait nullement au droit. Il n’a pas eu une enfance difficile.

« Ce n’est pas pour me vanter, mais j’étais plutôt bon élève. J’étais toujours le premier de ma classe. J’ai adoré le film Marusa no onna (« L’Inspectrice des impôts ») d’Itami Jûzô, c’est comme ça que j’ai décidé d’aller à l’Université de Tokyo et de devenir enquêteur fiscal à l’Agence nationale des impôts. »

Comment ce jeune homme si tôt dévoué à la justice a-t-il pu sortir du droit chemin ?

Tout a commencé de façon très anecdotique. Il s’inscrit dans l’une des meilleures écoles préparatoires de la préfecture, le lycée Iwaki. Tout semble aller bien, mais il se sent seul. Son père est décédé lorsqu’il était au collège, il n’a plus que sa mère. Il se met alors à sortir le soir avec des amis, pour fréquenter du monde. Une spirale s’est mise en branle, qui va le tirer vers le bas. Il rate les examens d’entrée à l’université et doit même déménager à Tokyo pour intégrer une école spéciale de préparation pour ceux ont échoué une première fois.

C’est là qu’il découvre les méthamphétamines.

« À l’époque, prendre des drogues comme la marijuana, c’était courant chez les jeunes. Mon école était si célèbre que rien qu’en prononçant son nom, n’importe qui la recommandait, mais ici aussi, certains consommaient des méthamphétamines. » Des amis lui en ont proposé, et il n’a pas su dire non. Ils les chauffaient et en inhalaient la fumée : la méthode de l’aburi.

Morihashi perd rapidement tout intérêt pour les études et a des mauvaises fréquentations. Après deux ans à l’école, il parvient enfin à entrer à l’université Seikei, mais sa vie est déjà très désordonnée. Il passe ses journées à jouer dans des salons de mah-jong et commence à se lier avec des yakuza. Et ce qui devait arriver arriva : le voici quittant son université pour rejoindre un syndicat du crime. Son supérieur, l’homme qu’il appelle aniki, (ce qui signifie grand-frère ou patron en japonais) était un homme gentil, élégant et avec de bonnes manières.

« Il avait le même âge que mon père. Quand j’y repense, j’ai peut-être cherché un père de substitution. J’aimais bien passer du temps avec lui alors je le suivais partout. »

Arrestation, institutionnalisation, expulsion

Ses talents naturels se font vite remarquer, si bien qu’il devient le bras droit de son mentor et un pilier du gang. L’argent du groupe provenait de la revente de méthamphétamines et de prêts à fort taux de remboursement. « On accordait des prêts pendant dix jours à un taux d’intérêt de 30 %. C’était un taux complètement exorbitant, mais on arrivait toujours à trouver des clients, qui accumulaient dettes après dettes… et de l’autre côté, on revendait de la méthamphétamine à ceux qui travaillaient pour le business du prêt. Ce qu’on faisait, c’était absoluement fou. »

Mais Morohashi Yoshitomo devient de plus en plus accro aux stimulants. Il s’injecte les arrivages pour en tester l’efficacité — une « dégustation » dans le jargon mafieux —, qui le rend de plus en plus dépendant. Le cercle vicieux est enclenché. Il avait des jours entiers d’hallucinations visuelles et auditives, ce qui le terrifiait.

Un jour en 2005, en position au grand carrefour de Shibuya, il est arrêté par la police, qui le met en détention. Il est interné de force dans un hôpital psychiatrique puis inculpé pour avoir enfreint la Loi sur le contrôle des stimulants. Il est condamné à une peine de 18 mois de prison, avec trois ans de sursis.

Cet incident suffira pour qu’il soit exclu de son gang. En effet, le monde du crime organisé possède sa propre forme de tatemae et honne ; la face que l’on veut bien montrer, puis la vraie. En surface, la revente et la consommation de drogue par les membres est interdite. Il a été exclu pour avoir ouvertement enfreint cette règle. Ses tatouages, un symbole de son engagement à vivre dans ce monde, n’étaient encore même pas achevés.

« Je luttais toujours contre les effets de la dépendance. Je n’étais plus un yakuza mais je n’avais aucune idée de ce j’allais faire ensuite. Et ça me désespérait. »

Cette nouvelle chute sera toutefois à l’origine du changement radical de son destin. Pendant sa détention, sa mère, qui continuait de penser à son fils, lui envoya un livre : Dakara, anata mo ikinuite (traduit par John Brennan sous le titre « So Can You »), écrit par une avocate unique en son genre, Ôhira Mitsuyo.

À l’école, Ôhira Mitsuyo se fait harceler. Elle le supporte tellement mal qu’elle tombe dans la délinquance. Elle épouse le chef d’une famille du crime alors qu’elle n’a pas même 20 ans. Mais un jour, elle décide de passer l’examen du barreau.

« J’ai été choqué que ce type de vie soit possible » se souvient Morohashi. « Après quoi, j’ai moi aussi décidé de suivre le chemin qu’elle avait tracé. »

Sept années dans les livres

L’ancien mafieux rentre alors chez lui à Iwaki et se met à étudier. « J’avais passé tellement de temps avec les yakuza que je ne pouvais même plus simplement rester assis à un bureau, alors encore moins pour étudier... », confie-t-il, pourtant jadis un bon élève à l’école. « Mais dans mon cas, il y avait les conséquences de mon addiction à la drogue, et si j’arrivais enfin à me concentrer, je finissais par en faire trop. C’est comme ça que j’ai décidé de me fixer un certain nombre de limites ; étudier pendant une demi-heure et aller marcher pendant une demi-heure, et ainsi de suite. De cette façon, je parvenais à rester focalisé. »

Morihashi étudie alors comme un enragé, tel Ôhira Mitsuyo avant lui. Et bien lui en a pris puisqu’il obtient d’abord une qualification en tant qu’agent immobilier. Ensuite, il réussit un examen qui lui permet de devenir écrivain public dans le domaine juridique. Il déménage à Osaka et s’inscrit à l’école de droit de l’Université du Kansai. Enfin, en 2013, il réussit l’examen du barreau, le plus haut niveau de qualification juridique au Japon. Entre 5 000 et 8 000 heures d’étude sont nécessaires. Il lui aura fallu sept ans après sa condamnation pour trafic de drogue.

À cette époque, je subissais toujours les effets de ma dépendance à la méthamphétamine. « Il y a eu des moments où c’était vraiment difficile. En reprendre, je ne pensais qu’à ça. Après avoir fait n’importe quoi avec mon cerveau, j’ai eu des hauts et surtout des bas. Et dans ces moments-là, ma tête ne marchait plus du tout normalement. Même encore maintenant, j’ai toujours de terribles céphalées et je ne peux plus me passer de tranquillisants ».

L'insigne remise aux avocats au Japon, témoignage d’un dévouement rare.
L’insigne remise aux avocats au Japon, témoignage d’un dévouement rare.

Son diplôme de droit en poche, il travaille dans des cabinets d’avocats à Osaka et à Tokyo, où il s’occupe principalement d’affaires pénales. C’est un choix qu’il fait pour pouvoir mettre pleinement à profit son parcours atypique. Son entourage, y compris l’avocate qu’il considérait comme sa plus grande bienfaitrice, Ôhira Mitsuyo, lui ont conseillé de garder son passé secret, pour éviter les malentendus et les préjugés.

Les yakuza, une image qui colle à la peau des parents comme des enfants

En 2022, après huit ans passés à exercer en tant qu’avocat, il apparaît dans une émission sur YouTube, animée par Maruyama Gonzales, spécialiste des sociétés clandestines. Morihashi révèle alors son passé de yakuza. Et c’est lui-même qui avait fait cette demande avant le tournage. Pourquoi ?

« Certains de mes clients pensent qu’ils ne gagneront rien à se confier ou même à dire la vérité, puisque ni leur avocat ni le juge ne comprendraient leurs actes. De nombreuses fois, j’ai eu le sentiment que si je leur parlais de mon passé, ils s’ouvriraient à moi. »

Morohashi Yoshitomo a pu se réinsérer dans la société grâce à Ôhira Mitsuyo. Pour lui, il est ainsi de son devoir d’encourager la réhabilitation d’autres personnes, en difficulté comme il l’a été.

Certains de ses clients entretiennent aussi des liens avec les yakuza. Morohashi ne s’épargne pas ses efforts pour convaincre les membres actifs de quitter ces gangs et se lancer dans une nouvelle vie, sur le droit chemin. Mais en vérité, la plupart des membres en eux-mêmes confient vouloir raccrocher, parce que la vie y est difficile et que leur « carrière de mafieux » ne leur apporte rien.

Mais le retour d’un voyou à la vie normale n’est pas une chose aisée. Selon les « ordonnances d’exclusion des yakuza », même après avoir quitté un gang, pendant cinq ans, vous restez considéré comme membre d’une « force antisociale », ce qui signifie par exemple que vous ne pouvez pas ouvrir un compte bancaire pendant cette période. Et sans compte bancaire, comment louer une chambre ou chercher un emploi ? Nombreux sont les anciens membres qui tentent de se réinsérer mais qui échouent. Alors ils replongent et finissent par réintégrer l’organisation.

« Après avoir quitté leur clan, certaines personnes n’arrivent toujours pas à ouvrir un compte à la banque, même après cette période de cinq ans. Dans mon cas à moi, j’avais réussi à en ouvrir un, mais ma demande de prêt avait été bloquée en voulant acheter une maison. »

Dans certains cas, les enfants de ces personnes sont exclus des activités d’une communauté à cause du passé de leurs parents. « Les enfants ne peuvent choisir ni leur père ni leur mère. Je trouve qu’il est vraiment très triste qu’ils doivent souffrir à cause de leurs parents. »

Morohashi Yoshitomo a fait l’objet d’insultes sur les réseaux sociaux. « Qui se préoccupe de ce qu’un yakuza a à dire ? », mais cela ne l’atteint pas. Non, ce qu’il l’importe, c’est de prévenir les nouveaux dommages causés par la tendance à l’ « exclusion excessive ».

« La société devrait s’intéresser davantage à la réhabilitation qu’à l’exclusion. Elle ne devrait pas mettre à l’écart des personnes qui cherchent à se réintégrer. »

Récemment, Morohashi Yoshitomo reçoit de plus en plus de demandes de représentation de la part de lecteurs de son livre. « Certains d’entre eux étaient défendus par de grands cabinets d’avocats, mais ils viennent me voir en me confiant que ce qu’ils veulent, c’est un avocat en qui ils auront plus facilement confiance » explique-t-il un sourire timide sur les lèvres.

(Interview et texte de Mori Kazuo, de Power News. Toutes les photos : © Ikazaki Shinobu)

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