Exploration de l’histoire japonaise

La bataille de Bun’ei : que sait-on de la première invasion mongole du Japon ?

Histoire

L’assaut inédit lancé contre le Japon par les forces mongoles en 1274 eut un impact profond sur le shogunat et mena à la construction d’un mur autour de la baie de Hakata, au sud-est du pays. Bien que l’histoire relate souvent que les envahisseurs ont été repoussés en une seule journée, de nouvelles découvertes révèlent d’autres éléments.

Assaut sur la baie de Hakata

Lorsque Kubilai Khan fonda la dynastie chinoise des Yuan en 1271, l’immense Empire mongol s’étendait déjà à travers l’Asie et une partie de l’Europe. Désireux d’obtenir le soutien du Japon dans sa campagne contre la dynastie Song du Sud, Kubilai a tenté d’entrer en contact avec le shogunat de Kamakura, qui a tout de suite repoussé ses avances. L’approche diplomatique ayant échoué, les mongols envoient une flotte d’invasion en 1274, depuis l’extrémité sud de la péninsule coréenne.

Leur colossale armada comptait quelque 900 navires, allant des transports et bateaux de ravitaillement aux embarcations rapides pour débarquer troupes et chevaux. La force d’invasion, forte de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, était composée de soldats mongols et de combattants issus de territoires contrôlés par les Yuan, dont notamment un gigantesque contingent venu de Chine et du royaume de Goryeo (Corée).

Dans ce qui est connu sous le nom de bataille de Bun’ei, l’armée des Yuan a d’abord dévasté les îles isolées de Tsushima et Iki avant de se diriger vers le Kyûshû. La flotte est entrée dans la baie de Hakata à l’aube du 19 novembre avec l’intention de soumettre le Japon.

Selon Hattori Hideo, ancien professeur à l’université de Kyûshû, spécialiste de l’invasion et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, l’armée des Yuan est parvenue à débarquer sans grande résistance et a établi trois têtes de pont principales autour de la baie. L’essentiel de la force d’assaut s’est concentrée sur la plage centrale de Torikai, d’où elle avança vers le centre administratif de Dazaifu.

L’armée Yuan durant la bataille de Bun’ei

La plage d'Imazu, en direction de la baie de Hakata et de l’île de Genkai. Ce site fut l’un des points de débarquement de l’armée de Yuan.
La plage d’Imazu, en direction de la baie de Hakata et de l’île de Genkai. Ce site fut l’un des points de débarquement de l’armée de Yuan.

Un ennemi inconnu

Les combattants venus de l’étranger étaient totalement différents de ce que les samouraïs japonais avaient connu jusque-là. Armés de lances et d’arcs courts, les soldats des Yuan ont réussi à surprendre les Japonais par la supériorité de leur armement, leur cavalerie et des tactiques inédites, comme le lancement de projectiles explosifs pour semer la confusion sur le champ de bataille. Le Môko shûrai ekotoba (« Récit illustré des invasions mongoles »), une série de peintures commandée par le samouraï Takezaki Suenaga de la province de Higo (actuelle préfecture de Kumamoto), illustre ce chaos. Sur une scène, on voit le cheval de Takezaki saigner abondamment, transpercé par des flèches, tandis qu’un obus explose à proximité.

Des soldats de l'armée de Yuan soldiers attaquant le samouraï Takezaki Suenaga à Torikai, dans une peinture de la série Môko shûrai ekotoba (« Récit illustré des invasions mongoles »). (Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque de l'Université de Kyûshû)
Des soldats de l’armée de Yuan soldiers attaquant le samouraï Takezaki Suenaga à Torikai, dans une peinture de la série Môko shûrai ekotoba (« Récit illustré des invasions mongoles »). (Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque de l’Université de Kyûshû)

Les obus explosifs étaient remplis de poudre noire et produisaient une détonation assourdissante, provoquant la panique chez les chevaux et l’étourdissement des combattants proches. L’analyse d’un projectile retrouvé au large de Takashima (préfecture de Nagasaki) et datant de la seconde invasion mongole en 1281 a révélé une sphère en céramique creuse de 13 cm de diamètre. Un scanner réalisé par des chercheurs de l’université de Kyûshû a montré que l’intérieur contenait des fragments métalliques et céramiques, ce qui en faisait une arme potentiellement mortelle à courte portée.

Un obus explosif (à gauche) et un casque de l’armée de Yuan exposés au Centre archéologique municipal de Matsuura.
Un obus explosif (à gauche) et un casque de l’armée de Yuan exposés au Centre archéologique municipal de Matsuura.

Les combattants des Yuan avaient un avantage certain grâce à leurs arcs courts, efficaces aussi bien à pied qu’à cheval, et pouvant tirer avec précision à courte comme à longue distance. L’arc long japonais, quant à lui, se révéla inadapté au combat : encombrant, conçu uniquement pour les droitiers, il limitait la capacité des archers montés à tirer efficacement. Ces éléments ont permis à l’armée mongole de prendre l’avantage dans les premières phases du conflit.

Les mongols ciblaient-ils un fort ?

D’après Hattori, l’armée de Yuan aurait choisi Torikai comme principal point d’assaut en raison de sa proximité avec le kegosho, la principale fortification défensive de la baie de Hakata. Il avance l’hypothèse que les envahisseurs visaient à s’emparer du fort afin de mettre la main sur des réserves d’armes et d’approvisionnements, et établir ainsi une tête de pont permettant de progresser plus avant à l’intérieur des terres.

Le site de la fortification défensive du kegosho. La structure a été intégrée au château de Fukuoka par le seigneur Kuroda Nagamasa en 1601.
Le site de la fortification défensive du kegosho. La structure a été intégrée au château de Fukuoka par le seigneur Kuroda Nagamasa en 1601.

Fukunaga Masahiro du Musée de l’Université de Kyûshû
Fukunaga Masahiro du Musée de l’Université de Kyûshû

Cela soulève la question de savoir comment les chefs militaires de Yuan avaient pu intégrer le kegosho à leurs plans, alors que le Japon avait pratiquement rompu tout contact avec la dynastie. Fukunaga Masahiro, professeur assistant au Musée de l’Université de Kyûshû, avance que les informations de reconnaissance avaient pu circuler par voie terrestre et maritime, portées par des marchands et des moines bouddhistes qui voyageaient entre le Japon, la Chine des Song du Sud, la péninsule coréenne et d’autres régions du continent asiatique. À l’inverse, le Japon se tenait informé des développements de la dynastie Yuan par les mêmes canaux.

Combat à Dazaifu

La version classique de la bataille de Bun’ei veut que les forces de Yuan aient tenté de s’emparer du kegosho, puis, ayant échoué, se soient repliées sur leurs navires à la tombée du jour. Une violente tempête se serait abattue dans la nuit, détruisant de nombreux navires et forçant la flotte à se retirer sur le continent. Cette version a nourri la légende d’un « vent divin » (kamikaze) ayant sauvé le Japon. Une autre théorie suggère toutefois que les Yuan se seraient retirés volontairement, leur objectif ayant été moins une conquête qu’une démonstration de force destinée à contraindre le shogunat à céder aux exigences de la dynastie.

À gauche : des combattants de Yuan attaquent à Sohara-yama, tel que représenté dans les Illustrations de l’invasion mongole. (Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque de l’Université de Kyûshû), et le sommet de Sohara-yama aujourd’hui.
À gauche : des combattants de Yuan attaquent à Sohara-yama, tel que représenté dans les Illustrations de l’invasion mongole. (Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque de l’Université de Kyûshû), et le sommet de Sohara-yama aujourd’hui.

Hattori Hideo a enseigné à l’Université de Kyûshû et au Centre de recherche du château de Nagoya. (© Hattori Hideo)
Hattori Hideo a enseigné à l’Université de Kyûshû et au Centre de recherche du château de Nagoya. (© Hattori Hideo)

Hattori avance pour sa part une toute nouvelle hypothèse : selon lui, les envahisseurs ne se seraient pas repliés immédiatement comme on le croit communément, mais auraient progressé en profondeur dans les terres. Il s’appuie pour cela sur des documents mentionnant des combats près du centre administratif shogunal de Dazaifu, quatre jours après le débarquement de l’armée de Yuan.

Fondée au VIIᵉ siècle, Dazaifu servait de poste défensif et diplomatique avancé, régulant les contacts avec le continent asiatique au nom du gouvernement central, situé bien plus à l’est dans la région du Kansai. Son rôle était soutenu par Hakata, qui, en tant que port, jouait le rôle de tampon face aux menaces venues de l’extérieur. Dazaifu était dotée de fortifications conçues pour repousser les attaques continentales et disposait également d’infrastructures pour accueillir les émissaires étrangers.

Dans ses recherches, Hattori a découvert des archives relatant comment les forces japonaises, postées juste au nord de Dazaifu, au fort de Mizuki, avaient affronté l’armée de Yuan. À l’instar du kegosho, cette fortification était constituée de hauts remparts de terre. Hattori estime que ces derniers ont offert aux défenseurs un avantage décisif pour repousser la horde ennemie et empêcher le pillage du centre administratif.

Les ruines des anciens bureaux du gouvernement de Dazaifu (© Jiji)
Les ruines des anciens bureaux du gouvernement de Dazaifu (© Jiji)

L’emplacement de l’ancien fort de Mizuki aujourd'hui. Les remparts de terre de la fortification auraient culminé à neuf mètres de hauteur. (Avec l’aimable autorisation de la municipalité de Dazaifu)
L’emplacement de l’ancien fort de Mizuki aujourd’hui. Les remparts de terre de la fortification auraient culminé à neuf mètres de hauteur. (Avec l’aimable autorisation de la municipalité de Dazaifu)

L’armement et les tactiques des Yuan déstabilisèrent les combattants japonais, mais ces derniers disposaient de deux atouts majeurs. Le premier était la supériorité numérique. Anticipant une possible invasion, le shogunat avait ordonné à ses vassaux de Kyûshû de renforcer leurs défenses et de surveiller la côte nord de l’île. Le second avantage résidait dans les conditions météorologiques. En effet, les tempêtes sont fréquentes dans la mer du Japon en automne, ce qui aurait sérieusement compliqué l’acheminement de renforts ou de ravitaillement pour l’armée de Yuan.

Contredisant la vision traditionnelle d’une incursion éclair, Hattori soutient que les troupes mongoles progressèrent pendant plusieurs jours à l’intérieur des terres, et ne renoncèrent à leur offensive sur Dazaifu qu’après avoir essuyé une résistance acharnée au fort de Mizuki, réalisant qu’elles ne disposaient pas des effectifs nécessaires pour atteindre leur objectif militaire.

Défenses côtières

À la suite de la bataille, le shogunat a déployé d’importants moyens pour renforcer les défenses à Kyûshû et ailleurs, dans l’éventualité d’une seconde invasion mongole. L’un des éléments de grande préoccupation pour les autorités était la cavalerie de Yuan, qui avait semé la terreur dans les rangs japonais. À titre préventif, une ligne de murs de terre et de pierres (ishitsuiji) fut construite sur quelque 20 kilomètres le long de la baie de Hakata. Une grande partie de cette structure, appelée genkô bôrui (« remparts anti-mongol »), est encore visible aujourd’hui.

Les remparts anti-mongol sur la baie de Hakata

L’une des portions les mieux conservées du genkô bôrui se trouve à Iki no Matsubara, où subsiste un tronçon de près de 200 mètres. Le mur, haut de plus de deux mètres, longe le pourtour de la plage. Fukunaga explique que, une fois débarquée, la cavalerie de Yuan devait d’abord composer avec le sol sablonneux, qui ralentissait son avancée, avant de se heurter au mur, derrière lequel les forces du shogunat décochaient leurs flèches sur les envahisseurs. En observant la baie de Hakata depuis le rempart, on imagine facilement la crainte qu’ont pu éprouver les défenseurs face à l’approche de la flotte mongole.

Les remparts genkô bôrui à Iki no Matsubara
Les remparts genkô bôrui à Iki no Matsubara

Reconstitution de l’assaut sur le genkô bôrui à Iki no Matsubara, telle que représentée dans les Illustrations de l’invasion mongole. (Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque de l’Université de Kyûshû)
Reconstitution de l’assaut sur le genkô bôrui à Iki no Matsubara, telle que représentée dans les Illustrations de l’invasion mongole. (Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque de l’Université de Kyûshû)

Ce qu'il reste des remparts, à Imazu
Ce qu’il reste des remparts, à Imazu

Lorsque l’armée de Yuan est revenue sept ans plus tard, elle a dû faire face à un Japon désormais mieux préparé. Contrairement à la bataille de Bun’ei, elle n’est pas parvenue à établir de tête de pont en débarquant à la baie de Hakata. Le genkô bôrui, solidement défendu, ainsi que les autres dispositifs japonais, sont parvenus à contenir les assaillants depuis la mer, jusqu’à ce qu’une tempête vienne porter le coup de grâce à l’invasion.

(Reportage et texte de Mochida Jôji, de Nippon.com. Photo de titre : les remparts genkô bôrui à Iki no Matsubara. Toutes les photos © Nippon.com, sauf mentions contraires)

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