Cerveau masculin, cerveau féminin : comment expliquer les difficultés de communication entre les deux sexes ?
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Une malencontreuse différence
Existe-t-il des différences de structure et de comportement entre le cerveau des hommes et celui des femmes ? Voilà une question qui passionne non seulement de nombreux scientifiques mais aussi le grand public, et à laquelle chacun aimerait trouver une réponse. Les théories mettant en avant les différences de genre sont légion : n’en citons qu’une, d’après laquelle le cerveau droit, instinctif, serait plus développé chez la femme, tandis que chez l’homme, ce serait le cerveau gauche, siège de l’analyse et de la logique.
À l’heure actuelle, les connaissances scientifiques ne permettent pas d’affirmer qu’il existe une différence claire de structure ou de fonctionnalités entre le cerveau des deux sexes. Ce que reconnaît Kurokawa Ihoko, auteure du best-seller « Le mode d’emploi de votre femme » (Tsuma no torisetsu), vendu à plus de 400 000 exemplaires. Pour elle non plus, les fonctions du cerveau ne connaissent pas de différence de genre ; mais alors, d’où viennent ces incompréhensions fréquentes entre hommes et femmes, ce fossé qui les sépare ? Il s’agirait, d’après elle, d’une « malencontreuse différence » dans la sensibilité du cerveau :
« Le cerveau de l’homme et celui de la femme sont indubitablement dotés des mêmes fonctions ; parler de “cerveau gauche” ou de “cerveau droit” n’a pas de sens. Les ondes cérébrales fonctionnent de concert, on n’a pas un seul hémisphère qui fonctionnerait. Mais il faut comprendre que le cerveau n’utilise pas toutes ses fonctions en même temps : il fait des choix instinctifs, sur le vif. Donc, le cerveau des hommes et celui des femmes présentent les mêmes fonctions, mais le choix instantané des circuits neuronaux à utiliser correspond à deux modèles, en fonction du sexe. C’est en ce sens qu’il existe une différence de genre dans le cerveau. »
Cette sensibilité est définie par « la spécificité des circuits neuronaux instinctivement sollicités par le cerveau », comme l’explique Kurokawa Ihoko, pour qui il existe deux types de sensibilité neuronale. Les hommes et les femmes, dans leur grande majorité, recourent en priorité à des sensibilités différentes, ce qui explique les écarts de perception et le stress communicationnel qui en découle. Chacun est convaincu que son modèle est le bon et n’en démord pas. Telle serait la « malencontreuse différence » de la sensibilité neuronale, à l’origine du fossé entre hommes et femmes. Alors que la pandémie de coronavirus, qui contraint chacun à davantage rester chez soi, entraîne une hausse des divorces, mieux connaître son propre cerveau pourrait aider à arrondir les angles à la maison.
Empathie versus rigueur
Quels sont ces modèles de sensibilité neuronale typiques en fonction du sexe ? Précisions de Kurokawa Ihoko :
« Quand le cerveau, déstabilisé, se trouve en situation de stress, les circuits neuronaux instinctivement sollicités diffèrent grandement entre les sexes, et ce dès le départ. On est face à deux modèles, l’un qui s’intéresse instantanément à ce qui bouge au loin et l’autre qui se concentre sur ce qui, tout près, doit être protégé. En termes de communication verbale, cela revient d’un côté à identifier le problème pour le résoudre rapidement, et de l’autre à faire preuve d’empathie pour susciter une prise de conscience. Le choix diffère en fonction de la stratégie de reproduction de chacun des sexes. »
Cette « stratégie de reproduction » puise sa source dans l’histoire de l’humanité et la distribution des rôles entre les hommes qui partaient à la chasse et les femmes qui s’occupaient des enfants. Le « cerveau masculin », qui s’est développé au fil des rencontres dangereuses dans les grandes étendues, favorise la réactivité face au danger, tandis que le « cerveau féminin » mise sur l’empathie dans la communication entre éducatrices pour faciliter le partage des connaissances afin de surmonter les difficultés. En d’autres termes, le « cerveau masculin » est un cerveau critique axé sur la résolution de problèmes, c’est-à-dire qu’il identifie des défauts afin de trouver rapidement des solutions et sollicite des circuits neuronaux qui améliorent sa capacité à réagir en cas de crise ; le « cerveau féminin », lui, est un cerveau empathique axé sur le processus, c’est-à-dire qu’il favorise une prise de conscience profonde par l’empathie et sollicite des circuits neuronaux qui lui confèrent sa capacité à déjouer les crises en temps normal.
« Bien entendu, précise Kurokawa, chacun est différent en fonction de son environnement de vie et de travail. Ce n’est pas parce qu’on est né homme qu’on utilise en permanence son “cerveau masculin”. On peut d’ailleurs recourir sciemment aux deux modèles. C’est dans les réactions instinctives, dans les choix involontaires, qu’on sent cette différence de perception, et c’est de là que naît le fossé entre homme et femme. »
La différence de genre n’est pas la seule raison de cette divergence de perception. Certains hommes recourent instinctivement à une réaction empathique axée sur le processus, c’est fréquent, et inversement pour les femmes. Dans certains couples, les difficultés de communication liées au « cerveau masculin » et au « cerveau féminin » peuvent même s’inverser.
Le cerveau, cet appareil
Cette théorie de la communication développée par Kurokawa Ihoko se fonde sur ses recherches visant à conférer une sensibilité humaine à l’intelligence artificielle. « En considérant le cerveau comme un appareil, j’ai tenté de reproduire informatiquement les modèles humains de réflexion. C’est une approche différente, ni neurophysiologique ni psychologique, qui vise à doter l’intelligence artificielle des connaissances nécessaires pour soutenir une conversation correcte avec un être humain. Au cours de ce processus, j’ai découvert l’existence de deux modèles de communication totalement différents entre homme et femme, l’un axé sur la résolution de problèmes et l’autre sur l’empathie. »
Dans la conversation axée sur l’empathie, prévalente chez les femmes, le plus important est d’utiliser l’émotion comme déclencheur du souvenir d’une expérience passée, qui va faire ressurgir une solution en provoquant une prise de conscience profonde. Par exemple, si on se plaint d’avoir mal au dos et que notre interlocuteur répond avec empathie (« C’est douloureux, n’est-ce pas ? Moi aussi, quand je me suis fait un lumbago… »), cela permet de réveiller aussitôt des souvenirs similaires. Ce qui peut apparaître comme un bavardage oiseux est en fait un échange permettant de revivre les signes d’un lumbago à venir et de trouver des solutions préventives, c’est-à-dire d’améliorer sa capacité à éviter une crise. Pour obtenir cet effet déclencheur, passer par l’empathie est indispensable. Par exemple, dans un couple, lorsque la femme raconte au mari une expérience ratée, celui-ci n’écoute que d’une oreille ce qu’il considère comme du bavardage ; si, en plus, il pointe du doigt le problème en question, non seulement il crée une situation de stress communicationnel, mais il échoue à susciter la nécessaire prise de conscience profonde. Il est crucial de commencer par faire preuve d’empathie, de reconnaître en quelques mots l’expérience de la femme.
Réunir les cerveaux plutôt que les sexes
Les explications de Kurokawa Ihoko sont souvent convaincantes, mais laissent également dubitatifs par certains aspects. Par exemple, si le cerveau a évolué en fonction d’une stratégie reproductive différente selon le sexe, qu’en est-il des femmes qui n’ont pas d’enfant ? « Ce n’est pas parce qu’on n’expérimente pas la grossesse que le cerveau est moins développé, dit-elle. Il enregistre d’autres expériences que celles liées à la naissance et l’éducation d’un enfant. Ce qui est certain, c’est que la grossesse, l’accouchement et l’allaitement ont un impact hormonal sur le cerveau. Durant cette période, l’empathie envers le nourrisson est à son maximum et cela change les priorités. Moi-même, quand je travaillais tout en élevant mon enfant, ma façon de voir les choses était différente, je m’en rendais compte et je demandais souvent conseil à des amies sans enfants. »
À l’heure où la diversité est recherchée, l’idéal est de tirer le meilleur parti de la variété de perceptions du cerveau en toutes circonstances, selon Kurokawa : « Le genre de notre corps n’est pas forcément celui de notre cerveau. Donc, plutôt que de se focaliser sur la proportion d’hommes et de femmes dans le monde du travail, mieux vaut constituer des équipes autour de cerveaux d’âge varié, d’hommes empathiques et de femmes pragmatiques, bref, d’une multiplicité de cerveaux, sans quoi on tombe aisément dans les préjugés. Il faut mettre en avant la sensibilité du cerveau féminin dans certaines circonstances et celle du cerveau masculin dans d’autres, savoir faire équipe. »
S’en remettre à autrui et accepter de montrer ses faiblesses, c’est aussi susciter l’affect : « Le cerveau est interactif, il est programmé pour ressentir de l’affection à travers les échanges. On n’est pas attaché à sa femme ou sa partenaire parce qu’elle est belle, gentille ou bonne cuisinière. On éprouve de l’attachement pour elle parce qu’elle nous sourit quand on l’aide à faire quelque chose, quand on fait équipe. De la même façon, est-il possible d’aimer un homme qui ne se plaint jamais, tel un chevalier en armure ? Il faut savoir dévoiler certaines faiblesses pour susciter l’affection, non ? »
Cerveau masculin, féminin et… politique
Dans le contexte actuel de pandémie mondiale, quel impact la sensibilité des responsables politiques a-t-elle sur la gestion de crise ? Ceux dont la capacité à agir et à communiquer a le plus attiré l’attention sont des femmes : la chancelière allemande Angela Merkel, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen ou encore la Première ministre néozélandaise Jacinda Ardern.
« En effet, elles ont tiré le meilleur parti de la sensibilité féminine, considère Kurokawa. Une crise sans précédent comme celle que nous vivons actuellement demande certainement de tirer tout le bénéfice du cerveau féminin et de sa force de communication fondée sur l’empathie et l’accompagnement de chacun. Le gouvernement libéral-démocrate japonais fait la part belle au cerveau masculin. Et même si le nombre de femmes politiques augmentait, on se retrouverait sans doute, dans l’état actuel des choses, avec des femmes habituées à se comporter comme des hommes, comme leurs homologues masculins. Aucune ministre japonaise n’est en mesure d’imiter la Première ministre néozélandaise, capable de se montrer au naturel, en famille, et de délivrer un message politique tout en changeant la couche de son bébé. »
À propos de la gestion de la crise du coronavirus par le Premier ministre Abe Shinzô, Kurokawa Ihoko laisse échapper un petit rire : « C’était intéressant de voir le gouvernement tâtonner face à cette situation inédite et imprévisible. Si l’on essaie de distribuer équitablement des masques, ils mettent du temps à arriver et plein de gens n’en veulent pas. Pour le coup, il aurait mieux valu soutenir les structures médicales. Parce que des masques, on peut en fabriquer soi-même. Le manque d’efficacité du gouvernement a peut-être participé à renforcer la conscience de la population qu’en cas de crise, on ne peut compter que sur soi-même. »
Pour elle, les politiques doivent être capables de jouer des deux modèles neuronaux : « L’important est d’utiliser sciemment les deux types de perception. Il faut savoir contrôler l’usage de son cerveau en fonction des situations, agir avec empathie dans certains cas et rigueur dans d’autres. C’est particulièrement vrai pour les politiques. Mais comme il est difficile de maîtriser ses réactions instinctives, il faut s’attacher à connaître ses tendances pour s’entourer de gens qui pourront prendre le contre-pied à nos préjugés. En politique, il faut viser à une diversité des types de cerveau, davantage qu’à une parité des genres. Associer cerveaux axés sur l’empathie et cerveaux axés sur la résolution de problèmes, c’est protéger nos vies et notre pays. »
(Texte et interview d’Itakura Kimie, de Nippon.com. Photos : Hanai Tomoko)