Une liberté de mouvement pour tous : un entrepreneur au Japon développe une jambe bionique révolutionnaire

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Après quinze années passés avec des béquilles, un étudiant chinois de l’université de Tokyo a développé une jambe bionique très impressionnante. Entrepreneur passionné, il se prépare désormais à la mettre en vente sur le marché, cherchant à partager la joie d’utiliser une prothèse qui réponde aux ordres du cerveau comme une vraie jambe. Sun Xiaojun veut créer un monde où les handicapés et les personnes âgées pourront marcher librement avec une totale dépendance.

Sun Xiaojun SUN Xiaojun

Entrepreneur et chercheur. Né dans la province de Guizhou en Chine en 1987, Sun Xiaojun a perdu sa jambe droite à l’âge de 9 ans après avoir été diagnostiqué d’un cancer des os. En 2009, il étudie à l’Université du Tôhoku en tant qu’étudiant en programme d’échange, et l’année suivante, il commence ses recherches de troisième cycle à l’Université de Tokyo. Il commence alors à porter une prothèse pour la première fois grâce à une aide du gouvernement. En 2013, il termine ses études de master et rejoint Sony, et deux ans plus tard, il entame ses recherches de doctorat sur les membres bioniques à l’Université de Kyoto. Il fonde sa propre start-up, BionicM, en 2018.

« Marcher comme avec vos propres muscles »

En juillet 2021, Sun Xiaojun était très occupé à préparer le lancement de la jambe bionique qu’il avait développé pendant six ans.

« Nous sommes passés par de multiples étapes avec des utilisateurs de prothèses de jambe qui ont essayé notre création et donné leur avis. Nous avons ensuite utilisé ces conseils dans le processus de développement, et j’ai commencé à porter moi-même la jambe en janvier. Nous sommes en train de mettre les retouches finales et les améliorations et discutons en même temps des problèmes avec notre fabricant. Notre plan est de mettre la jambe sur le marché pour la fin de l’année. »

À l’heure actuelle, la plupart des prothèses de jambe sont « passives », ce sont des appareils non motorisés et qui requièrent donc que l’utilisateur donne toute la force requise pour exercer un mouvement. Mais l’invention de Sun est bien différente. Il explique : « Notre jambe bionique combine de multiples capteurs intégrés détectant les mouvements du porteur avec des moteurs qui aident à la marche, ce qui rend notre prothèse moins fatiguante à utiliser. Même sur des marches, notre jambe donne des sensations naturelles, comme vos propres muscles. Elle résiste également aux chutes, et est facile à utiliser. »

La mission de BionicM, la start-up de l’Université de Tokyo fondée par Sun trois ans auparavant, est de « permettre la mobilité pour tous ». BionicM vise à utiliser la robotique pour développer des appareils qui pourraient aider n’importe qui, des personnes âgées à celles en situation de handicap, à être mobiles indépendamment, ainsi que pour toutes sortes de services liés. Le « M » de BionicM veut à la fois dire « homme » (man) et « mobilité » (mobility), ce qui montre bien l’engagement de la compagnie à allier les êtres humains et la technologie.

Un diagnostic qui a changé sa vie

C’est l’expérience de 15 ans d’utilisation de béquilles qui a inspiré Sun à développer sa jambe bionique.

Sun est né en 1987 dans une partie reculée de Guizhou, une province du sud-ouest de la Chine. « C’est un endroit très rural. Ces jours-ci, puisque les thermes locaux se font davantage connaître, il y a plus de visiteurs, mais auparavant, l’endroit n’était pas développé. J’ai passé toutes mes journées de jeune garçon à jouer, et j’étais fou de basket. »

À l’âge de 9 ans, l’enfance insouciante de Sun a pris un tournant soudain pour le pire lorsqu’il a perdu sa jambe droite à cause de l’ostéosarcome, une forme de cancer de l’os. « Je me suis senti très déprimé en réalisant que je ne pourrais plus jamais faire les choses de la même façon. »

Le jeune Sun tenant sur des béquilles
Le jeune Sun tenant sur des béquilles

Quand ses parents lui ont demandé de bien réfléchir à la façon dont il se débrouillerait pour survivre après leur mort, Sun a commencé s’inquiéter pour son avenir. Avec une seule jambe, il ne pourrait pas travailler à la ferme ou faire des travaux physiques. Au même moment, dit-il, il n’a pas pu acheter de prothèse de jambe de qualité car la Chine offrait peu de subventions ou de système de soutien pour les personnes avec un handicap. Sans autre choix que d’utiliser des béquilles, il a mené une vie pénible.

Sun a alors décidé que sa seule option était la réussite académique. Il a travaillé jour et nuit, et ses notes se sont constamment améliorés. Il est entré dans un des rares lycées de Guizhou qui prépare les lycéens à une entrée universitaire, et en 2006, il a été admis à la prestigieuse Université des Sciences et de la Technologie de Huazhong à Wuhan, dans la province de Hubei.

« Je ne savais pas encore ce que je voulais faire de mon avenir, mais j’ai décidé de me spécialiser dans l’ingénierie des matériaux parce que l’université de Huazhong est réputée dans ce domaine. »

Dire adieu aux béquilles au Japon

Sun a assisté aux cours de l’Université du Tôhoku, à Sendai (nord-est du Japon), pendant un an en tant qu’étudiant de premier cycle en échange. « Tôhoku est l’une des meilleures universités pour l’ingénierie des matériaux », explique-t-il. « Je voulais apprendre de nouvelles choses sur l’incroyable technologie du Japon, et j’ai donc décidé d’étudier ici dans le cadre d’un échange universitaire. Mais je n’avais jamais appris le japonais, pensant encore faire mes études de troisième cycle aux États-Unis... Mais durant mon année au Japon, je suis tombé amoureux du pays. Malgré ma mauvaise maîtrise de la langue, les Japonais étaient très gentils avec moi. Sendai est une ville magnifique dotée d’une nature fantastique. Même s’il était difficile pour moi de prendre le bus pour aller à l’université avec mes béquilles, j’ai senti que le Japon avait moins de barrière que la Chine, et j’ai donc décidé de poursuivre mes études sur l’Archipel. »

Un voyage à travers les célèbres cerisiers en fleurs sur les rives du fleuve Shiroishi, dans la préfecture de Miyagi.
Un voyage à travers les célèbres cerisiers en fleurs sur les rives du fleuve Shiroishi, dans la préfecture de Miyagi.

En 2010, Sun est sorti diplômé de l’Université de Huazhoung et a commencé à étudier en master à l’Université de Tokyo. « Mon majeur était en ingénierie mécanique, une suite naturelle de mon étude de l’ingénierie des matériaux. Je faisais alors des recherches sur les piles à combustible dans le but de travailler dans l’énergie, puisqu’il s’agit d’un problème global. J’étais également passionné par la langue japonaise. »

Il s’est vu rapidement changer de domaine de recherche. « Pendant mon master, j’ai commencé à utiliser une prothèse de jambe que j’avais fabriquée en utilisant un programme de subvention pour les personnes en situation de handicap. » Bien qu’il était heureux de pouvoir se séparer de ses béquilles, et donc de pouvoir utiliser ses deux bras, il trouvait les prothèses passives classiques difficiles à utiliser. « J’ai décidé que je voulais créer une prothèse qui serait plus pratique pour l’utilisateur. »

Après Twitter ou Airbnb, la reconnaissance de BionicM au SXSW

Après avoir réussi son master en ingénierie, Sun a accepté une position chez Sony, où il a été assigné à la division de développement des enceintes audio, qui impliquait l’acquisition, l’assemblage et l’augmentation de la qualité sonore. Un travail que Sun a apprécié, même s’il n’était pas lié à son souhait de développer des piles à combustible.

Mais à cette époque, un problème le préoccupait : avec sa nouvelle jambe, il avait tendance à chuter, ce qui renforçait davantage son désir de développer une prothèse résistante aux chutes.

Décidant donc d'œuvrer à la création de prothèses de jambe, Sun a quitté Sony après seulement deux ans en 2015 avant de s’inscrire en doctorat à l’Université de Tokyo. Le laboratoire d’ingénierie des systèmes d’information, qui menait des recherches sur les robots humanoïdes, est devenu son nouveau terrain d’expérimentation.

Sun au laboratoire de l’Université de Tokyo
Sun au laboratoire de l’Université de Tokyo

« Une fois que j’ai acquis les compétences nécessaires pour développer des jambes bioniques, j’ai immédiatement voulu travailler pour un fabricant de prothèses. J’ai déposé une candidature pour un stage chez un manufacturier allemand, mais je n’ai pas reçu de réponse. J’ai réalisé, après la fin se mon doctorat, qu’il n’y avait nulle garantie pour moi de trouver un emploi quelque part qui puisse me laisser développer les prothèses qui m’intéressent. C’est pourquoi j’ai décidé de fonder ma propre compagnie », déclare Sun.

Un tournant de sa vie a été l’entrée de l’équipe de Sun à l’un des plus importants évènements de l’industrie au monde, le SXSW d’Austin, au Texas, lors duquel elle a remporté le prix de l’innovation interactive. Parmi les gagnants de ce prix aux expositions passées, on retrouve des compagnies comme Twitter et Airbnb. Soudain, cet équipement, qui deviendrait plus tard BionicM, était sous le feu des projecteurs.

L’équipe de Sun remporte le prix de l’innovation interactive au SXSW.
L’équipe de Sun remporte le prix de l’innovation interactive au SXSW.

Sun explique : « Intégrer la robotique au corps humain est un projet particulièrement difficile sur le plan technique. Je pense que les juges ont aimé notre concept d’une prothèse innovante qui puisse améliorer la mobilité des utilisateurs. Notre jambe bionique n’était qu’au stade de développement, mais nous avons fait une démonstration convaincante qui a permis aux gens de se faire une idée des possibilités d’une telle technologie. »

Si la reconnaissance du SXSW lui a permis de faire connaître son invention par beaucoup de monde, dont notamment des investisseurs, la prothèse n’était « toujours pas assez avancée pour être utilisable dans la vie quotidienne », note-t-il.

Créer des prothèses « tendance »

L’un des principaux obstacles au développement du projet a été la nécessité de rendre la prothèse plus légère, plus sûre, et plus durable. Sun est conscient de ces défis :

« Une prothèse doit être suffisamment puissante pour supporter le poids de l’utilisateur en utilisant seulement une petite zone de la section transversale du membre. Une jambe bionique étant un objet que l’on porte, elle doit impérativement être la plus légère possible. Et puisqu’elle est utilisée tous les jours, elle doit également être durable. Les prothèses peuvent aussi être dangereuses si elle n’effectuent pas les bonnes actions en fonction de la posture et des mouvements de l’usager. Prédire les pas de l’utilisateur et contrôler la jambe afin qu’elle complète ses mouvements de manière appropriée est une tâche difficile. »

Mais l’aspect extérieur est également important. « De nombreux utilisateurs de prothèses dissimulent leurs membres artificiels. J’aimerais changer cela. Personne ne désire perdre une jambe, mais pour ceux qui n’ont pas eu le choix, j’essaye de créer une prothèse “tendance”, qui soit comme une part de votre corps que vous êtes heureux de montrer en public, comme une partie de votre style. »

Sun a souhaité créer une prothèse à la mode.
Sun a souhaité créer une prothèse à la mode.

Tout ce qui aide à faire connaître sa start-up

En décembre 2018, Sun a fondé BionicM. L’année suivante, University of Tokyo Edge Capital Partners (UTEC), une société de capital de risque qui soutient les jeunes compagnies de l’Université de Tokyo, a investi dans BionicM. Le bureau de la compagnie est situé dans un incubateur pour start-up situé sur le campus universitaire.

BionicM est situé dans l’incubateur de l’Université de Tokyo.
BionicM est situé dans l’incubateur de l’Université de Tokyo.

« Avec une start-up, vous partez de rien, vous n’êtes qu’une entité inconnue, et il est difficile de soulever des fonds. Notre approbation en tant que projet de recherche et développement issu de l’Université de Tokyo nous a permis d’obtenir la reconnaissance du monde de l’entreprise », déclare Sun. Ce dernier ajoute que c’est seulement parce qu’il a pu se servir de la réputation de l’Université pendant ses trois premières années, ainsi que grâce à l’apprentissage de la robotique au laboratoire, aux différents bâtiments et outils à sa disposition, et aux réalisations des autres chercheurs qu’il a réussi à mettre sa jambe sur le marché deux ans seulement après avoir fondé sa compagnie.

En 2020, Sun a soulevé un total de 550 millions de yens (4,24 millions d’euros) grâce à une attribution d’actions gérée par un tiers. Au même moment, il décide d’établir une filiale à Shenzhen afin de gérer les opérations de l’entreprise en Chine. Il dit vouloir mettre son invention sur le marché pour les utilisateurs de prothèses du monde entier, en commençant par le Japon et la Chine.

Bientôt, un monde de mouvements libres pour tous

BionicM comprend actuellement 17 employés qui amènent avec eux une variété de connaissances et de compétences dans de nombreux domaines, dont notamment l’électronique, le développement de logiciels, la physiothérapie, et l’ « installation de prothèses » (une qualification reconnue par l’État pour les fabricants de prothèses). Conjuguant leurs atouts respectifs, ces employés ont travaillé en équipe pour développer une jambe bionique.

Sun joue au football avec une prothèse qu’il a lui même conçue.
Sun joue au football avec une prothèse qu’il a lui même conçue.

Bien que la plupart des enjeux techniques aient été résolus, un grand défi subsiste : celui de réduire les coûts.

Les membres artificiels sont en général des objets particulièrement coûteux, avec un prix qui peut varier de plusieurs dizaines de milliers de yens à près de un million. Les seules prothèses motorisées actuellement disponibles sont fabriquées par une compagnie islandaise, et coûtent chacune plus de 10 millions de yens (77 000 euros).

« Nous réfléchissons toujours au prix. Il sera difficile de lancer une jambe bionique qui soit peu coûteuse. Nous souhaitons toutefois toucher le plus d’utilisateurs possibles, et par conséquent, nous aimerions réduire au maximum les frais et le prix final. Nous devons être innovants, non seulement en terme de technologie, mais également pour notre business. Nous allons étudier les arrangements possibles pour que nos clients puissent acheter des prothèses plus facilement, notamment les options de financement ou de location. »

Si l’inventeur se concentre actuellement sur le fait d’avoir un ancrage sur le marché des prothèses, dans le futur, il pense offrir une vaste variété de service ainsi que de nouveaux produits.

« Notre membre bionique est truffé de capteurs qui collectent les données de la démarche de l’utilisateur sur une base journalière. En analysant ces données, on peut visualiser la manière de marcher, par exemple, comment le poids est réparti entre la jambe gauche et droite, si les articulations du genou se plient correctement, et si les mouvements de l’usager sont similaires à ceux d’une personne valide. » En renvoyant l’information aux utilisateurs, on peut leur conseiller de meilleures manières de marcher. Il y a de nombreuses possibilités d’utiliser ces données. »

Sun déclare également qu’en plus des prothèses, il souhaite développer des appareils de mobilité et des combinaisons motorisées qui pourraient aider les personnes fragiles et âgées à marcher.

« Il est tout à fait possible d’utiliser la technologie robotique pour développer un outil qui puisse compléter les articulations des joints pour les patients âgés afin de les aider à marcher. Je pense qu’il est également possible de créer un costume motorisé que vous pourriez porter comme un pantalon, contrairement aux combinaisons actuelles utilisées dans les centres de réhabilitation qui doivent se porter sur tout le corps. Un tel outil serait rigoureusement employé pour aider les gens dans leur vie quotidienne. »

Sun conclue : « Je pense avoir une mission claire, celle de créer un monde dans lequel les personnes en situation de handicap ou âgées pourront marcher librement et être indépendantes. »

(Texte et interview de Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre de Nippon.com. Toutes les autres images sont avec l’aimable autorisation de BionicM.)

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