Prochainement au studio Ghibli…

Miyazaki Hayao de retour après « Le Vent se lève » : requiem pour ses amis et ultime message aux jeunes

Anime

Miyazaki Hayao a soufflé ses quatre-vingts bougies en janvier 2021. Il y a neuf ans, après avoir achevé son film Le Vent se lève, le grand maître de l’animation avait annoncé se retirer de la production de longs-métrages. Il s’est néanmoins rétracté en 2017 et travaille actuellement sur une nouvelle œuvre. Ce retour est motivé par le souvenir de ses vieux amis partis avant lui.

Qui était le mentor de Miyazaki ?

En novembre 2016, Miyazaki Hayao revenait sur sa décision de prendre sa retraite, et déclarait qu’il travaillait sur un nouveau long-métrage. L’année suivante, il dévoilait que ce nouveau film s’appellerait « Et vous, comment vivrez-vous ? » (Kimi-tachi wa dô ikiru ka). Quatre ans se sont écoulés depuis. Aucune annonce à propos de l’avancement du projet, si ce n’est que le film doit sortir en 2023.

Son dernier film en date, Le Vent se lève, est sorti en juillet 2013. Au cours des huit années suivantes, Takahata Isao (Le tombeau des lucioles) et bon nombre de ses plus anciens collaborateurs et soutiens de son œuvre sont décédés.

En mars 2021, ce fut Ôtsuka Yasuo, animateur et directeur de l’animation, à l’âge de 89 ans. Ôtsuka avait été son mentor, quand le jeune Miyazaki avait fait ses débuts à Tôei Animation. Les deux hommes étaient devenus camarades au sein du syndicat professionnel et une longue amitié était née.

Miyazaki a dit un jour d’Ôtsuka : « Le plaisir du cinéma d’animation, et comment regarder les choses avec les yeux d’un animateur, c’est lui qui me l’a appris. »

En 1965, lorsque Ôtsuka s’est vu confier son premier projet en tant que directeur de l’animation, il avait fait appel à Takahata Isao, un jeune inconnu à l’époque, pour la mise en scène. Ses supérieurs avaient émis des réserves, mais il avait insisté. Il avait également accepté la nomination d’un encore plus jeune animateur au sein de l’équipe principale (conception des scènes et dessins originaux), un dénommé Miyazaki Hayao. Ôtsuka Yasuo fait donc le lien qui allait donner naissance à la collaboration entre Takahata et Miyazaki.

La production fut retardée par des conflits sociaux, mais trois ans plus tard sortait Horus, Prince du Soleil (1968).

Des années plus tard, Takahata déclarait : « Nous n’avons pas été de permanents compagnons de route, mais chaque fois que je me suis retrouvé à un tournant, Ôtsuka apparaissait et m’indiquait la nouvelle direction. Personne ne m’a été d’une aide plus précieuse que lui. »

Le style de Miyazaki s’est mis en place avec Conan, le garçon du futur

En 1977, lorsque Miyazaki commence à produire sa première série pour la télévision, Conan, le garçon du futur (qui sera diffusée en 1978), il émet comme condition d’avoir Ôtsuka comme directeur de l’animation. Sauf qu’il s’agissait d’une production Japan Animation, alors qu’à cette époque, Ôtsuka était passé cadre chez Shinei Dôga, qui fit des difficultés pour le mettre à disposition d’un studio rival. Mais Ôtsuka n’a pas fléchi, il tenait absolument à apporter son soutien à « Miya » (le surnom de Miyazaki) et a finalement obtenu gain de cause, signant la direction de l’animation pour la totalité des 26 épisodes. Comme pour Horus, le prince du soleil de Takahata, il n’y aurait pas eu de premier film de Miyazaki sans l’implication d’Ôtsuka.

C’est à partir de Conan que Miyazaki trouve un style de mise en scène qui deviendra sa signature : espace tridimensionnel avec forte présence de la profondeur, réalisme, et dynamisme de l’action et des effets (notamment lors des batailles aériennes ou des combats avec des créatures géantes). On peut y reconnaître une grammaire de l’animation qui était la marque de fabrique d’Ôtsuka sur tous les longs métrages qu’il dirigea chez Tôei Animation. Miyazaki Hayao a ensuite absorbé, affiné et fait évoluer cette grammaire tout au long de sa carrière pour construire son propre style.

Conan, le garçon du futur @ NIPPON ANIMATION CO.,LTD.
Conan, le garçon du futur @ NIPPON ANIMATION CO.,LTD.

Après Conan, Ôtsuka ne retourna pas chez Shinei Dôga, mais passa à Telecom Animation Film. Et cette fois, c’est lui qui fit appel à Miyazaki Hayao pour réaliser ce qui deviendra son premier long métrage : Lupin III : Le Château de Cagliostro (1979). Bien sûr, Ôtsuka assura également la direction de l’animation sur ce film.

Cette succession d’événements ont sans aucun doute préparé le terrain pour la création du Studio Ghibli en 1985, bien que Ôtsuka Yasuo ne rejoignit pas Ghibli. il effectua le reste de sa carrière chez Telecom, soutenant et formant de très nombreux jeunes talents.

Un passionné de modélisme nommé Miyazaki Hayao

Le Vent se lève, qui devait être le dernier long métrage de Miyazaki, est basé sur un manga du même titre qui parut entre 2009 et 2010 dans Model Graphix, un mensuel pour fans de modélisme.

Depuis les années 1970, Miyazaki contribue comme illustrateur au mensuel de modélisme Hobby Japan. En 1981, il a écrit et illustré un essai sur ses connaissances en matière d’armes et d’avions, pour le bulletin d’information des fans de Movie Shinsha (aujourd’hui TMS Entertainment). Puis dès le premier numéro de Model Graphix (novembre 1984), il commence une série d’essais intitulés « Le cahier d’idées de Miyazaki Hayao » (Miyazaki Hayao no zassô note), qui se transformera en manga en cours de route. Il y parlait de sa passion pour les machines et les armes, mais aussi pour les personnels et les unités qui les utilisent.

Ces collaborations sont mises en sommeil l’année suivante, en 1985, quand le studio Ghibli est fondé et que commence la production du film Le Château dans le ciel (1986). Elles reprirent jusqu’en 1990, avec des interruption chaque fois qu’un nouveau film devenait prioritaire : Mon Voisin Totoro (1988), Kiki la petite sorcière (1989). De fait, le film Porco Rosso (1992) est basé sur une série manga publié dans les numéros 14 à 16 du Zassô note.

Porco Rosso © 1992 Studio Ghibli, NN
Porco Rosso © 1992 Studio Ghibli, NN

En 2009, après 10 ans d’interruption, la dernière série manga du Zassô note, est reprise. Ce manga deviendra à son tour le synopsis du film Le Vent se lève, qui raconte les échanges entre un ingénieur japonais bien réel, Horikoshi Jirô et Gianni Caproni, un ingénieur italien (fictif). Or, il se trouve que c’était Ôtsuka Yasuo qui avait suggéré à Miyazaki de collaborer avec le magazine de modélisme.

Conseiller sur le design de la locomotive pour Le vent se lève

De son côté, Ôtsuka lui-même tenait sa propre chronique sur les chars et véhicules militaires dans Hobby Japan depuis 1971. Il faut dire qu’il était l’un des connaisseurs les plus respectés dans le domaine des véhicules militaires au Japon, et était même conseiller chez Tamiya Model (aujourd’hui Tamiya), pour la planification et la conception de produits. C’est donc tout naturellement qu’il avait présenté Miyazaki, qui partageait les mêmes goûts pour le modélisme, à la rédaction de Hobby Japan.

Quant à Nausicaä de la vallée du vent, le film est basé sur un manga du même titre sérialisé par Miyazaki lui-même dans la mensuel Animage à partir de 1982. Il semblerait que là aussi, c’est Ôtsuka qui avait encouragé Miyazaki à développer cette sérialisation. À l’époque, l’éditeur responsable du magazine était Suzuki Toshio, aujourd’hui directeur et producteur principal du Studio Ghibli, pour lequel Ôtsuka Yasuo publiait également une chronique de souvenirs personnels.

Nausicaä de la vallée du vent © 1984 Studio Ghibli•H
Nausicaä de la vallée du vent © 1984 Studio Ghibli•H

En 2012, Miyazaki Hayao, alors sur la production du Vent se lève, demande un jour à Ôtsuka Yasuo de passer au Studio Ghibli. Pour quoi faire ? Pour lui demander conseil sur le design de la locomotive à vapeur qui a tant d’importance dans le film ! « Miya n’est pas très doué pour les locomotives ! Lui, c’est les avions et les chars ! », se souvient-il en riant.

C’est durant ses années de collège (pendant la guerre), que Ôtsuka avait développé cette passion pour les locomotives. Il se rendait au dépôt des locomotives, où il réalisait quantité de croquis les plus précis possibles. Il y a gagné également l’opportunité de discuter avec les techniciens et d’observer tout ce qui se passait, des manœuvres de conduite au détail des systèmes de transmission. Cela développa ses prédispositions, car l’animation consiste à décomposer le mouvement sur la base du fonctionnement de chaque élément. Si Ôtsuka Yasuo a ensuite formé de nombreux animateurs sur la base d’une technique logique, analytique et claire, c’est qu’il avait dès son jeune âge appris le fonctionnement des locomotives.

La locomotive Classe 9 600 dans laquelle Jirô s’embarque pour Nagoya dans le film était le modèle préféré d’Ôtsuka. Le jour où il présenta ses dessins à l’équipe des Studios Ghibli, il l’accompagna d’une véritable conférence sur cette locomotive mythique, c’était pour lui presque un retour aux sources.

M. Otsuka Yasuo. La Fiat 500 dans Lupin III était la voiture de M. Ôtsuka (photo de Kanô Seiji, septembre 2018)
Ôtsuka Yasuo. La Fiat 500 dans Lupin III était la voiture de M. Ôtsuka (photo prise par l’auteur de l’article, septembre 2018)

Comment vivre maintenant, ou l’ultime message de Miyazaki

Dans la scène finale du Vent se lève, le personnage principal, Horikoshi Jirô, est confronté à la réalité de la défaite du Japon et aux épaves des avions de chasse qu’il a créés. Sa femme meurt en lui ordonnant : « Vis ! Vis ! » Le maître de Jirô, Caproni, lui dit : « Tu dois vivre. Commence déjà par venir chez moi, j’ai du bon vin. »

Le dessin original du plan final du film, où l’on voit les deux personnages disparaître dans les hautes herbes, est de la plume de Futaki Makiko, qui est elle aussi décédée deux ans après la sortie du film.

Le Vent se lève © 2013 Studio Ghibli•NDHDMTK
Le Vent se lève © 2013 Studio Ghibli•NDHDMTK

Puis, en octobre 2016, c’est Yasuda Michiyo, coloriste. Elle connaissait Miyazaki depuis la Tôei où elle travaillait à l’époque. Elle avait pris sa retraite après Ponyo sur la falaise (2008), mais avait néanmoins accepté de mettre la dernière main à la colorisation du Vent se lève, à la demande express de Miyazaki.

Le court métrage Boro la petite chenille (2018) était encore en production et les choses ne se passaient pas très bien, quand Miyazaki avait passé un coup de fil à Yasuda pour lui parler des difficultés qu’il éprouvait. Yasuda lui avait suggéré alors d’en faire un long métrage. « D’accord, on le fait ensemble ! » répliqua Miyazaki du tac au tac. « Je ne peux plus venir au studio, prenez plutôt quelqu’un de plus jeune ! » Le décès de Yasuda Michiyo survint cinq mois plus tard. Et un mois après, Miyazaki annonçait qu’il revenait à l’animation de long métrage.

Coïncidence ou non, avec le recul, cette dernière scène du Vent se lève semble préfigurer la création de Miyazaki au cours des années qui ont suivi. Si l’on considère que le personnage de Horikoshi Jirô dans cette scène est l’alter ego de Miyazaki, alors Caproni, qui disparaît avec lui, est une sorte de projection des différents mentors et anciens collaborateurs.

Le Vent se lève s’achève avec le message « il faut vivre », même si nos années les plus créatives sont derrière nous, même si notre pays est détruit, même si nous avons perdu ceux qui nous étaient les plus chers. Le titre du film est tiré d’un poème de Paul Valéry traduit par Hori Tatsuo : Le vent se lève… il faut tenter de vivre. Oui, mais maintenant, comment vivrons-nous ?

Le prochain film Et vous, comment vivrez-vous ? devrait se présenter comme la proposition de réponse de Miyazaki à cette question. Nul doute que ce film nous aidera à trouver notre propre réponse, après la série de catastrophes sanitaires et autres très concrètes et proprement inouïes que nous vivons. C’est dire que nous attendons sa réalisation complète.

(Photo de titre : Miyazaki Hayao [à gauche] et Ôtsuka Yasuo, vers 1971. Photo : Minami Masatoki)

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