Exploration de l’histoire japonaise

Sauvé par le « kamikaze » ? Le Japon face aux invasions mongoles

Histoire

À la fin du XIIIe siècle, l’empire mongol, sous le règne de Kubilaï Khan, a à deux reprises, et sans succès, tenté d’envahir le Japon. Analysons les différentes raisons de cet échec, sans manquer de parler de l’hypothèse du kamikaze. Et après la sortie du jeu à succès Ghost of Tsushima, qui traite de cette période de l’histoire japonaise, les invasions mongoles sont devenues un sujet d’intérêt pour de nombreuses personnes dans le monde.

Des émissaires mongols ignorés par le Japon

En novembre 1274, une flotte avec à son bord quelque 30 000 soldats s’est approchée de la baie de Hakata, au large de l’île japonaise de Kyûshû…

Gengis Khan avait établi son empire au début du XIIIe siècle en soudant entre eux les peuples nomades du Plateau mongol. Sa domination s’est étendue jusqu’à l’Asie centrale, soumettant de même Goryeo (la Corée) en 1259. Ainsi, à l’époque de l’invasion, l’empire mongol couvrait l’Asie orientale et la Russie jusqu’au nord de la Chine et la péninsule coréenne.

Recherchant une base dans le sud, en 1264, Kubilaï Khan, cinquième empereur mongol et petit-fils de Gengis Khan, a déplacé la capitale de Karakorum à Cambaluc (qui fait maintenant partie de la ville de Pékin), puis il a fondé sept ans plus tard la dynastie chinoise de Yuan (bien que d’origine mongole). À peu près à cette époque, Kubilaï était en guerre contre la dynastie des Song du Sud, dont la capitale se trouvait à Lin’an (actuellement Hangzhou). C’est dans ce contexte qu’il a envoyé des émissaires au Japon, dans l’espoir de rompre leurs liens commerciaux étroits avec les Song du Sud et de mettre à mal la puissance économique de ces derniers.

Dans sa lettre au Japon, Kubilaï regrettait que l’Archipel avait arrêté d’envoyer des émissaires en Chine depuis sa prise de pouvoir, et il aimerait donc que le pays recommence à le faire afin de nouer des relations bilatérales amicales. Il n’avait, semble-t-il, tout du moins dans un premier temps, aucune intention d’envoyer des soldats pour assiéger le Japon. Sa missive pouvait toutefois être prise comme une menace d’invasion si le Japon n’acceptait pas de se soumettre en tant que vassal.

Lorsque le shogunat a remis la lettre à la cour impériale, qui était à l’époque en charge de la diplomatie internationale, celle-ci a decidé de ne pas y répondre. Le shogunat en a informé les émissaires Yuan (camp mongol) stationnés dans la ville de Dazaifu sur l’île du Kyûshû, en finissant par les renvoyer chez eux. Kubilaï persistait néanmoins dans ses demandes envers le Japon, que le shogunat continuait d’ignorer. Pourquoi ce rejet obstiné des relations diplomatiques ?

L’historien Arai Takashige écrit : « L’administration de cette époque n’était absolument pas au fait de la situation internationale et n’avait quasiment aucun contact avec d’autres États. En raison de ce manque d’expérience et de connaissances, lorsqu’ils ont lu la lettre, ils n’en ont probablement pas cru leurs yeux. Avec leur manque d’expérience, ils n’étaient pas initiés aux rouages diplomatiques. »

À n’en pas douter, si le gouvernement avait su à quel point le territoire mongol était immense et combien il était plus puissant que l’empire du Japon, il n’aurait pu ignorer la lettre de Kubilaï. Toutefois, il faut noter que le shogunat obtenait des informations de moines zen et de disciples des Song du Sud, et il n’est pas à exclure que ces derniers aient volontairement minimisé l’envergure de l’empire mongol pour protéger leurs propres intérêts, influençant par conséquent le jugement des dirigeants japonais.

Samouraïs contre soldats mongols : un déséquilibre

Impatient de recevoir une réponse, Kubilaï a déployé une flotte d’invasion forte de 30 000 soldats (20 000 soldats mongols et 10 000 de Goryeo), et ont pénétré dans la baie de Hakata à l’aube le 26 novembre 1274. Du côté du shogunat, notamment en raison de préparatifs inadéquats, les effectifs étaient mal organisés, ce qui a facilité l’accostage des forces de Yuan. Dans la bataille qui s’est ensuivie, le shogunat était clairement en position de désavantage, principalement parce qu’il utilisait des tactiques différentes : si les samouraïs montaient à cheval et se battaient en duel, les troupes Yuan, elles, agissaient en groupes.

Ainsi, lorsque les samouraïs s’approchaient un par un de l’ennemi, ils se retrouvaient systématiquement encerclés puis abattus. Cette forme de combat ne convenait non seulement pas aux troupes nippones, mais la portée des arcs courts des soldats mongols était plus importante que celle des combattants du shogounat, sans compter que leurs flèches étaient empoisonnées. Si bien qu’un simple contact avec la peau était fatal. Et les samouraïs comme les chevaux étaient attaqués.

Par ailleurs, à cette époque-là, le Japon ignorait encore l’existence de la poudre à canon. Et l’armée mongole ne lésinait pas à leur lancer des projectiles explosifs, au son des gongs sur lesquels ils tambourinaient avec verve. Les guerriers japonais étaient tellement médusés et les chevaux tellement terrifiés qu’ils ne pouvaient se battre. Dans de telles conditions, seul choix pour le shogunat, battre en retraite. Les soldats Yuan, eux, ont regagné leurs bateaux pour y passer la nuit.

Môko shûrai ekotoba (« Histoire illustrée des invasions mongoles ») est un rouleau commandé par le samouraï de Kyûshû Takezaki Suenaga, sur le front lors des deux batailles. Lorsque l'original (qui appartient aujourd’hui à l'Agence de la maison impériale) est découvert à la fin du XVIIIe siècle, il suscite l'intérêt des grands seigneurs et de différents écrivains. Pas moins de 40 copies sont réalisées à partir des originaux (image avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Môko shûrai ekotoba (« Histoire illustrée des invasions mongoles ») est un rouleau commandé par le samouraï de Kyûshû Takezaki Suenaga, sur le front lors des deux batailles. Lorsque l’original (qui appartient aujourd’hui à l’Agence de la maison impériale) est découvert à la fin du XVIIIe siècle, il suscite l’intérêt des grands seigneurs et de différents écrivains. Pas moins de 40 copies sont réalisées à partir des originaux (image avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

L’énigme des navires disparus : est-ce le fameux kamikaze ?

Le lendemain matin pourtant, stupeur : les navires ennemis avaient disparu. Cela marquera la fin de la première invasion mongole, connue sous le nom de bataille de Bun’ei.

Au Japon, de nombreux étudiants apprennent en cours d’histoire que lors des batailles de Bun’ei et de Kôan sept ans plus tard, les flottes mongoles ont été la proie de fortes pluies et de vents violents. C’est à ce moment que l’on parle du kamikaze, ou « vent divin ». À cette époque en effet, on croyait que lorsque le Japon traversait une période de crise, un vent divin soufflait pour sauver le pays de sa malheureuse destinée. Et plus tard, cette croyance conduira à d’autres événements, impliquant notamment les fameux pilotes « kamikazes » pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les manuels scolaires actuels présentent néanmoins la bataille de Bun’ei de façon totalement différente. Prenons l’exemple de cette publication de l’éditeur Yamakawa Shuppansha.

« L’armée mongole, au nombre de 30 000, qui comptait parmi elle des soldats de Goryeo, ont attaqué Tsushima et Iki avant d’accoster dans le nord du Kyûshû dans la baie de Hakata. […] Les guerriers japonais était habitués aux duels mais pas aux batailles. L’armée ennemie, elle aussi, a subi de lourdes pertes, et il faut noter qu’elle connaissait d’importantes dissensions internes, avant de battre en retraite. Plus tard, en 1281, lors de la seconde tentative d’invasion, une énorme armée de 140 000 hommes s’est approchée du nord du Kyûshû. Alors qu’elle se heurtait à des troupes hostiles à son débarquement dans la baie de Hakata, un vent violent et une forte pluie se sont abattues sur les soldats mongols. De nombreux y ont perdu la vie. Là encore, les Yuan n’ont eu d’autre choix que de battre en retraite. »

Ici, ce sont des querelles au sein même du camp ennemi qui sont données comme raison du retrait des Mongols en 1274, pour leur première invasion. Mais qu’en est-il des autres manuels scolaires ? « Le moral était au plus bas au sein de l’armée mongole, composée de soldats Yuan et de Goryeo. Elle avait essuyé de lourdes pertes dans des conditions de combat inconnues avant de battre en retraite », peut-on lire dans une publication de l’éditeur Jikkyô Shuppan.

Le manuel de l’éditeur Tokyo Shoseki, quant à lui, explique : « Si les samouraïs ont affronté l’armée Yuan et leurs tactiques de groupe avec d’énormes difficultés, les importantes pertes dans l’armée Yuan l’a poussée à battre en retraite. »

C’est ainsi que les mauvaises conditions atmosphériques à l’origine de l’arrêt de l’invasion mongole a totalement disparu des livres d’histoire japonais. Il est intéressant de noter que si l’éditeur Yamakawa justifie le retrait de l’armée par des conflits internes, l’éditeur Jikkyô, lui, donne comme raison un moral au plus bas et des tactiques de combat inconnues. En revanche, pour l’éditeur Tokyo Shoseki, c’est la persévérance de l’armée japonaise qui a eu raison de l’armée Yuan. La version est donc différente d’un livre à un autre. Ce n’est que dans le manuel de l’éditeur Shimizu Shoin que l’on peut lire : « À ce moment-là, les vents étaient si violents et la pluie si abondante que l’armée ennemie a rapidement reculé. » Cependant là encore, rien ne décrit de façon directe les phénomènes climatiques comme un facteur décisif dans le dénouement de la situation.

Où est la vérité ? Aucun historien n’est unanime sur la raison pour laquelle les invasions mongoles ont échoué. Pour Kakehi Masahiro, professeur à l’université Ferris, les choses se sont passées encore d’une autre manière. « Pour le camp mongol, il s’agissait de reconnaissance militaire, donc ils se sont contentés de rester où ils étaient, et n’avaient ainsi aucune intention de poursuivre le combat. »

D’autres pensent qu’il y a bel et bien eu un kamikaze. Hattori Hideo, professeur émérite à l’Université de Kyûshû, écrit dans un de ses ouvrages qu’en dépit de vents violents et de fortes pluies, les Yuan ne se sont pas retirées en l’espace d’un jour.

En prenant pour référence un certain nombre de documents, dont le journal d’un aristocrate de Kyoto, Fujiwara no Kanenaka, le professeur Hattori affirme c’est un typhon qui a balayé l’armée mongole après sept jours sur le sol nippon. Selon lui, ce typhon serait mentionné dans les archives de Goryeo. En cas d’acceptation de cette théorie, les manuels scolaires japonais pourraient une nouvelle fois justifier le retrait de l’armée mongole par de fortes intempéries.

Échec de la seconde invasion mongole : remercier les divinités

Après la bataille de Bun’ei en 1274, les Mongols ont envoyé d’autres émissaires au Japon, demandant allégeance. Peine perdue puisque le chef de facto du shogunat, Hôjô Tokimune, les a fait exécuter un par un.

En 1281, Kubilaï Khan a envoyé une armée de 140 000 hommes au Japon. Plus précisément, 30 000 soldats Yuan de l’est, principalement de Goryeo, et 100 000 autres du sud de la Chine, dont d’anciennes troupes Song. Cependant, la partie japonaise n’était plus aussi ignorante et a appris à déjouer les tactiques des Yuan. Ses fortifications, qui s’étendaient sur une vingtaine de kilomètres, se sont montrées d’une efficacité remarquable pour l’armée du shogunat, afin d’empêcher le débarquement de l’imposante armée mongole.

Pendant deux mois, les forces japonaises ne semblaient pas plier, jusqu’au 23 août, lorsqu’un violent typhon s’est abattu sur Kyûshû. Le bilan a été catastrophique ; l’armée du shogunat a perdu un grand nombre de ses hommes et toute la flotte de navires des Yuan a été coulée, emportant de même les soldats qui se trouvaient à son bord.

Pour ce qui est de la bataille de Kôan en 1281, les spécialistes s’accordent sur une même version des faits ; un puissant typhon a eu raison de l’armée des Yuan. Heureux de ce dénouement, la cour et le shogunat se sont mis à effectuer des prières pour remercier les divinités.

Le courtisan et poète Nijô Tameuji a par exemple été envoyé par la cour impériale au sanctuaire d’Ise, où il s’est rendu également dans un site dédié à un divinité du vent dans l’enceinte du sanctuaire intérieur. On pense que ce dieu a fait souffler ces puissantes rafales de vents pour venir en aide au Japon face à l’armée mongole. En 1293, la cour élève le statut du sanctuaire et le rebaptise Kazahinomi no miya (« le sanctuaire où l’on prie le vent »).

Et ce sanctuaire n’est pas le seul. D’autres voient également leur statut élevé par la cour en raison de leur utilité en période de crise. C’est notamment le cas des sanctuaires Hakozaki Hachimangû, Suwa Taisha et Fuu. Le Japon étant à cette époque-là largement considéré comme une terre de kami (divinités), une croyance s’est peu à peu répandue selon laquelle les kamikaze étaient là pour protéger le pays en cas de besoin.

Si Kubilaï projetait d’envahir à nouveau le Japon, les forces mongoles peinaient à gagner du terrain dans les campagnes au Vietnam. Elles se heurtaient à plusieurs reprises à des rebellions en Chine et en Asie du Sud-Est et ont été chassées de Java alors qu’elles tentaient en vain de faire une incursion. Kubilaï n’aura donc aucune occasion pour mettre son plan à exécution.

Un shogunat affaibli par les conflits

Si le shogunat de Kamakura a pu maintenir les envahisseurs à distance, il a été considérablement affaibli par les attaques mongoles. À cette époque-là, les gains de terres permettaient de financer les récompenses des samouraïs qui partaient au conflit. Sans nouvelles terres, les récompenses versées par le shogunat étaient insuffisantes, d’autant plus que les guerriers s’acquittaient eux-mêmes des dépenses lors des batailles. Par ailleurs, un grand nombre d’entre eux sont morts au front ou devenus invalides.

C’est dans ce contexte que les serviteurs sous l’autorité directe du shogunat se sont appauvris à tel point qu’ils devaient se procurer de l’argent en vendant leurs terres. À ce moment-là, la loyauté envers le shogunat de Kamakura s’est rompue, entraînant en partie sa chute en 1333.

Ghost of Tsushima est un jeu d’action dont l’intrigue se déroule à l’époque des invasions mongoles. Sa sortie a suscité chez les fans du jeu un grand intérêt pour cette période de l’histoire du Japon.

(Photo de titre : une illustration de Môko shûrai ekotoba [Histoire illustrée des invasions mongoles] montrant un combat acharné. Takezaki Suenaga affronte les soldats ennemis. Si les samouraïs étaient harnachés d’une armure, les soldats Yuan portaient des vêtements en tissu ou en cuir. Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

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