30 ans depuis l’effondrement de l’URSS : la fin du régime vécu par un étudiant japonais sur place

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Le 25 décembre 1991, la démission de Gorbatchev marque l’effondrement de l’URSS. Que s’est-il passé ? Un Japonais, analyste en relations internationales qui vivait à Moscou à l’époque, a été témoin de ce tournant historique.

Moscou juste avant la fin de l’URSS

Depuis septembre 1990, j’étais le premier Japonais à étudier à l’École des relations internationales de Moscou, affiliée au ministère des Affaires étrangères de l’Union soviétique. C’était un an et trois mois avant l’effondrement de l’URSS. La première chose qui frappait en Union soviétique à cette époque, c’était la pauvreté matérielle. Il y avait très peu de voitures dans les rues de Moscou, uniquement des voitures de fabrication soviétique. Aux yeux des Japonais, pays de voitures toujours de dernière génération, les voitures soviétiques semblaient terriblement dépassées.

J’avais une chambre dans une résidence universitaire à côté du campus. La télévision était en noir et blanc, une grande surprise pour moi. Plus tard, j’ai visité plusieurs familles du pays, dont certaines ne possédaient ni machine à laver ni aspirateur. Il n’y avait pas de maisons équipées de magnétoscopes ou de télécopieurs, qui étaient déjà monnaie courante au Japon à cette époque.

L’aspect le plus ennuyeux était les longues files d’attente devant les magasins d’alimentation. Il fallait généralement faire la queue pendant une heure ou deux avant de pouvoir entrer. Les étagères étaient vides et les seules choses que l’on pouvait acheter étaient du pain, des pommes de terre, des carottes, des oignons, des pâtes et du jambon.

Des citoyens prennent un commerçant à partie dans une poissonnerie vide. Moscou, le 22 novembre 1990 (AFP=Jiji)
Des citoyens prennent un commerçant à partie dans une poissonnerie vide. Moscou, le 22 novembre 1990. (AFP/Jiji)

Heureusement, l’université a été très prévenante et n’a pas voulu laisser un jeune homme du Japon mourir de faim. Une fois par semaine donc, j’avais le privilège de pouvoir acheter de la nourriture à la cantine universitaire, ce qui m’a beaucoup aidé. C’était un enfer pour un Japonais de faire la queue à Moscou, où il faisait très froid.

Frénésie et confusion après l’effondrement

Le 25 décembre 1991, la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie quittent l’Union pour créer une nouvelle Communauté d’États indépendants (CEI). Les autres républiques les rejoignent. Le 25 décembre, Gorbatchev démissionne de son poste de président de l’Union soviétique, et l’URSS cesse d’exister. J’ai suivi l’annonce de sa démission à la télévision à la résidence universitaire.

Deux soldats déménagent un buste de Lénine de la cellule du parti communiste intégrée à l’académie militaire soviétique. Moscou, le 25 août 1991. (Reuters/Kyodo)
Deux soldats déménagent un buste de Lénine de la cellule du parti communiste intégrée à l’académie militaire soviétique. Moscou, le 25 août 1991. (Reuters/Kyodo)

Comment le peuple russe a-t-il perçu la dissolution de l’Union soviétique ? Il y a eu peu de résistance. Eltsine, le président de la République russe, était très populaire à l’époque et le peuple pensait qu’il allait apporter la démocratie et la liberté. Tout allait bien.

Qu’est-ce qui a changé avec la disparition de l’Union soviétique ? En apparence, la situation est restée étonnamment la même. Les cours à l’université ont continué normalement, j’ai préparé mes examens. Ce n’est que l’année suivante, en 1992, que des changements visibles se sont opérés. Le commerce est devenu libre, et une large gamme de produits a commencé à affluer de l’étranger. La pénurie de biens, chronique à l’époque soviétique, a été rapidement résorbée.

Le contrecoup, c’est que l’inflation a atteint 2 600 % en 1992... Autrement dit, les prix ont été multipliés par 26 en l’espace d’un an. Et la valeur de l’argent dans les banques a été divisée par 26. La plupart des citoyens russes se sont retrouvés sans le sou.

En 1993, la population avait déjà perdu ses illusions sur la démocratie. L’introduction de la démocratie n’avait rien à voir avec l’effondrement de l’économie, mais le peuple a pensé que c’était la démocratie qui l’avait ruiné.

En 1993, des mouvements cherchent à mettre au pouvoir un dictateur qui puisse restaurer la puissance de la Russie. Aux élections parlementaires, le parti libéral-démocrate d’extrême-droite de Jirinovski arrive en tête ; aux élections présidentielles de 1996, le général Lebed, héros de l’armée, arrive en troisième position.

Avec mes camarades de classe à l'Université d'État des relations internationales de Moscou, 1996. (Photo avec l'aimable autorisation de l'auteur)
Avec mes camarades de classe à l’Université d’État des relations internationales de Moscou, 1996. (Photo avec l’aimable autorisation de l’auteur)

Puis, en 2000, Poutine, un ancien membre du KGB (Comité de sécurité d’État de l’Union soviétique), devient président. Déjà à cette époque, le peuple russe ne voulait plus de la démocratie.

La chance de Poutine a été que le prix du pétrole, principale exportation de la Russie, a commencé à augmenter au moment où il est devenu président.

Alors que le baril de brut coûtait 19 US$ en 1998, il a augmenté presque régulièrement pour atteindre 140 US$ à l’été 2008. Cela a considérablement enrichi la Russie.

Au cours du premier et du second mandats de Poutine (2000-2008), le produit intérieur brut (PIB) de la Russie a augmenté à un taux annuel moyen de 7 %. Il n’est pas surprenant que le peuple russe, qui avait souffert de la grande récession pendant les années Eltsine, soit un partisan enthousiaste de Poutine.

Ce que la Russie d’aujourd’hui partage avec l’Union soviétique d’antan

Quelle est la situation en Russie aujourd’hui ? Je dois dire que c’est une situation très difficile. Tout d’abord parce que la croissance économique s’est arrêtée. Il y a deux raisons principales à cela.

Les sanctions économiques viennent en premier lieu. Depuis l’annexion de la Crimée prise à l’Ukraine en mars 2014, l’Occident et le Japon ont imposé des sanctions économiques à la Russie, qui durent depuis sept ans à ce jour.

L’autre raison est la « révolution du pétrole de schiste », qui a commencé dans les années 2010. Le prix du brut n’atteint plus les sommets des années 2008. Actuellement, le prix du baril tourne autour de 80 US$.

Avec la nouvelle offre provoquée par la révolution du schiste, il n’est plus possible de voir le pétrole retrouver des tarifs de 140 US$ comme il y a une quinzaine d’années. Pour ces deux raisons, l’économie russe continue de stagner.

Pendant les sept années qui ont suivi l’annexion de la Crimée en 2014, le PIB a crû en moyenne de 0,38 %. Objectivement, la Russie est en crise. Comment Poutine maintient-il la stabilité intérieure ? Il fait jouer de nombreuses cartes, mais le facteur le plus important est le contrôle de l’information.

Poutine a établi sa domination de la télévision dès les années 2000. En revanche, le Kremlin a laissé Internet relativement libre. Ce n’est qu’avec l’influence croissante de YouTube qu’il lui est devenu impossible de l’ignorer.

La chaîne YouTube d’Alexeï Navalny, le fondateur de la Fondation anti-corruption compte 6,44 millions d’abonnés. Arrêté en janvier 2021, il est toujours en prison.

Le Kremlin maintient un strict contrôle de la liberté de parole et communique sur le thème que l’Occident est hostile à la Russie et veut la briser. Selon cette rhétorique, les mouvements opposés à Poutine comme celui de Navalny sont des agents de l’Occident.

L’Occident est divisé de l’intérieur et a de sérieux problèmes, bref, les citoyens russes ont bien de la chance de vivre heureux… Ce contrôle de l’information a tout d’une nouvelle « soviétisation ».

Né en 1952, Poutine a toujours eu pour ambition, dès son enfance, de devenir officier de renseignement. Après avoir obtenu son diplôme universitaire, il a immédiatement rejoint le KGB. Après l’effondrement de l’Union soviétique, il est devenu directeur du FSB (Service fédéral de sécurité), l’agence qui a succédé au KGB.

Dans un certain sens, il est naturel qu’il soit revenu à la « voie soviétique » en période de crise. Mais, comme le montre clairement la fin de l’Union soviétique, il y a peu de chances que ce soit à la manière soviétique que la Russie se développe.

(Voir également un autre article de l’auteur : Récit d’un Japonais qui a « fui » Moscou avec sa femme russe et ses enfants malgré une vie agréable)

(Photo de titre : des citoyens célèbrent l’échec d’un coup d’État des partisans de la ligne dure du Parti communiste soviétique sur la place du Manège, à Moscou, le 21 août 1991. Reuters/Kyodo)

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