Les enfants japonais devenus dépendants du masque : un problème plus grave que la pandémie

Société Éducation

Malgré l’assouplissement des règles sur le port du masque au Japon, 99 % des gens l’utilisent encore, et ce même en plein été. Est-on devenu dépendant du masque ? Certains spécialistes nippons sonnent l’alarme, particulièrement lorsque cette question concerne les jeunes et les enfants. Exposons les problèmes et les éventuelles solutions.

Le masque : un article de mode et une « culotte faciale »...

Cela fait déjà un moment que les journaux se demandent si les Japonais arrêteront un jour de porter des masques. En mai 2022, le gouvernement a annoncé que le masque ne serait plus obligatoire en extérieur, pour essayer de diminuer les risques de coups de chaleur, tant qu’une distance de plus de deux mètres était maintenue.

Au final, si cet été a été le deuxième plus chaud jamais enregistré, la majorité des Japonais ont continué à porter le masque...

Un sondage datant du mois d’août a révélé qu’environ 70 % des personnes interrogées continuaient à porter le masque à l’extérieur. Curieusement, certains ont indiqué que leur choix n’était pas fondé sur l’argument sanitaire, mais plutôt sur l’apparence : c’était pratique de ne plus avoir à se maquiller ou se raser ! Plus de 37 % ont répondu qu’ils voulaient continuer à porter le masque après la fin de la pandémie, dont plus de 50 % des jeunes filles âgées de 16 à 19 ans.

Avec l’arrivée d’une nouvelle vague de Covid-19 en même temps que la saison des rhumes et grippes, le port du masque risque de rester généralisé.

De nombreux Japonais parlent même de « masques de mode ». L’expression « culotte faciale » (kao-pantsu) s’est même répandue au Japon, ce qui suggère que l’idée d’enlever son masque serait aussi embarrassante que d’enlever sa culotte ou son caleçon en public.

Ce phénomène de dépendance au masque, de se sentir mal à l’aise sans lui, existait même avant la pandémie. Ce phénomène est assez courant parmi ceux qui souffrent d’angoisse liée aux relations interpersonnelles, et il est donc fort possible que suite à trois ans de pandémie, cette habitude ait pris de l’ampleur. Certains spécialistes s’inquiètent de son impact éventuel sur le développement des enfants.

Habitués à ne pas voir le sourire de leurs camarades de classe

Le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (MEXT) et le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales ont publié un guide sur le port du masque dans les établissements scolaires. Il est entre autres écrit que le port du masque n’est pas obligatoire pour le sport, mais qu’il l’est pour le chant. À l’heure du déjeuner, les enfants ne doivent pas s’asseoir face à face pour éviter une contamination par les gouttelettes respiratoires. On leur demande de ne pas parler fort, et de porter le masque pour discuter après le déjeuner.

À quel point les enfants acceptent-ils ces consignes ?

J’ai demandé à une amie qui enseigne dans un établissement public à Kyoto de faire un sondage parmi ses élèves (mené de mi-septembre à mi-octobre). Sur les 54 élèves (allant du CE2 à la troisième), un tiers ont indiqué qu’ils continueraient à porter le masque même s’il n’était plus obligatoire après la fin de la pandémie.

Parmi les raisons évoquées, l’habitude, la colère éventuelle des parents s’ils ne le mettent pas, la peur de contaminer les autres, ou même la honte de son apparence. Ceux qui ont répondu qu’ils n’aimaient pas porter le masque expliquaient qu’il était difficile de respirer dedans, qu’ils avaient chaud, et qu’il était bizarre d’avoir parmi leurs camarades de classe des personnes dont il n’avait jamais vu le sourire.

L’enseignante explique qu’à cause du conditionnement à porter le masque à l’école — parfois même à la maison —, les enfants ont peur d’être punis s’ils l’enlèvent. « Ils ont tellement pris l’habitude de porter le masque qu’ils sont prêts à supporter la gêne respiratoire, ou avoir mal aux oreilles. Pour eux, c’est devenu normal. » Elle s’inquiète également du fait que les enfants sont de moins en moins aptes à déceler l’expression des autres.

« Bien que certaines filles collégiennes indiquent vouloir continuer à utiliser le masque même après leur passage au lycée, beaucoup d’élèves plus âgés trouvent normal de ne plus le porter. Ce qui m’inquiète par contre, c’est le manque de retour des plus jeunes élèves du primaire qui n’étaient pas inclus dans ce sondage mais ont passé trois ans sans voir les visages de leurs camarades. »

Donner aux enfants le choix

Selon la pédopsychiatre Yamaguchi Arisa, certains enfants à qui elle parle craignent tout simplement qu’on ne les trouve pas beaux, ou de décevoir les gens une fois le masque enlevé. Dans quelques cas, ces jeunes sont tellement angoissés qu’ils refusent même de déjeuner à l’école.

Yamaguchi pense que forcer les enfants à enlever le masque par peur qu’ils n’en deviennent dépendants n’est pas forcément la bonne solution au niveau psychologique. « Prenons conscience du fait que le masque apporte un sentiment de sécurité en classe à certains enfants. Si on leur demande soudainement de l’enlever, cela risque de les angoisser, et dans le pire des cas, de les rendre réticents à venir en classe. »

« L’effet psychologique qui en résulterait serait tout aussi nocif pour certains que quand l’obligation de le porter a été mise en place il y a trois ans. »

La pédopsychiatre Yamachuchi Arisa est chercheuse clinique en santé mentale au Centre national pour la santé et le développement des enfants. Elle fait aussi partie du Bureau préparatoire des services aux enfants et familles du Bureau du Cabinet. Elle est rattachée au Centre de prévention de la maltraitance des enfants, conseillère à temps partiel à son bureau local d’orientation des enfants et à un centre d’hébergement temporaire.
La pédopsychiatre Yamachuchi Arisa est chercheuse clinique en santé mentale au Centre national pour la santé et le développement des enfants. Elle fait aussi partie du Bureau préparatoire des services aux enfants et familles du Bureau du Cabinet. Elle est rattachée au Centre de prévention de la maltraitance des enfants, conseillère à temps partiel à son bureau local d’orientation des enfants et à un centre d’hébergement temporaire.

Selon la spécialiste, il est capital de préparer les enfants émotionnellement à ce changement plutôt que de mettre l’accent sur le côté « anormal » de porter un masque quand on n’en a plus besoin, en répétant qu’on vivait parfaitement bien sans masque avant la pandémie.

« Il faut expliquer clairement aux enfants, de façon à ce qu’ils comprennent bien, dans quelles situations il n’est plus nécessaire de porter de masque pour éviter la contamination, et puis leur demander leur avis et en discuter avec eux. Si on oblige tous les enfants à enlever le masque, ceux qui se sentaient bien avec pourraient se retrouver en situation de conflit et en souffrir. Je pense qu’il est bien plus important pour leur santé psychologique de respecter les sentiments des enfants que de prévenir la dépendance. Cette fois-ci, la société se doit de leur proposer un choix. »

Yamaguchi souligne qu’Il ne faut pas non plus oublier de soutenir les enseignants dans le cadre de la promotion par le gouvernement d’enlever les masques dans les établissements scolaires.

« Si certains élèves seront contents de se débarrasser du masque, d’autres ne voudront plus aller à l’école. Nous verrons des jeunes perturbés. Et qui nous dit que ceux qui choisissent de continuer à porter le masque ne feront pas l’objet de discrimination ou de harcèlement ? Comment les enseignants pourront-ils gérer ces problèmes ? Il faudra les former et le soutenir en situation de stress. »

L’inégalité des conséquences sur chacun reste inquiétante

Quels pourraient être les conséquences du port du masque prolongé chez les enfants au niveau de la santé ? Selon Yamaguchi, pour le moment, les experts occidentaux pensent qu’il n’y aura pas d’effets indésirables majeurs, tels que des difficultés à respirer ou même des répercussions au niveau social or psychologique.

Pour elle, le problème principal serait plutôt l’inégalité des conséquences sur chacun.

« Par exemple, même quand il est nécessaire de porter le masque en dehors de la maison, les enfants ayant des familles qui communiquent bien bénéficient de relations ordinaires chez eux. Par contre, dans des situations familiales difficiles, où les membres d’une famille ne communiquent pas de façon adéquate, l’impact de porter un masque pourrait être bien plus grave. Si la famille a des problèmes financiers, le niveau de stress des parents pourrait être plus élevé. Si les heures de travail des parents sont longues et qu’ils rentrent chez eux tard et fatigués, les enfants auraient moins la possibilité de communiquer sans masque. »

Le problème s’étend au delà de la famille immédiate. Le degré de l’impact serait aussi lié aux relations que les enfants entretiennent avec leurs amis et enseignants à l’école ou dans leur communauté. « Je suis convaincue qu’il nous faut réfléchir à tout ça de plus près. »

Tirer des leçons de la pandémie

Entre avril 2020 et décembre 2021, Yamaguchi et ses collègues du Centre national pour la santé et le développement des enfants ont mené sept sondages en ligne parmi des enfants du CP au lycée.

« Nous avons toujours cru que plus les enfants grandissent, plus ils ressentent de l’angoisse, et plus le risque d’automutilation s’aggrave. Notre enquête a confirmé cette tendance, mais nous nous sommes aussi rendus compte que beaucoup d’enfants plus jeunes pouvaient souffrir d’anxiété et qu’un bon nombre cherchaient à se faire violence. »

Yamaguchi remarque que de nombreux sondages menés pendant la pandémie ont mis à jour le niveau élevé de stress des enfants. « Je suis convaincue que pour ceux à l’approche de l’adolescence, il faut absolument adopter des démarches préventives aussitôt que ce genre de problème se manifeste, bien avant que cela n’évolue en pathologie sérieuse. »

Un sondage à échelle nationale mené par le MEXT a démontré que le nombre d’élèves en cycle élémentaire refusant d’aller à l’école pendant plus de 30 jours en 2021 a battu un nouveau record, avec 244 940 enfants. Cela indique que l’isolement des personnes a pris de l’ampleur avec la pandémie qui a trainé en longueur, et que certains enfants se trouvent confrontés à des doutes et problèmes sans aucun soutien. Le harcèlement dans les écoles a aussi battu un nouveau record à tous les âges.

Malgré les répercussions négatives, Yamaguchi pense qu’il est nécessaire de réfléchir aux enseignements tirés de la pandémie.

« Nous avons réussi à mettre en place des programmes d’étude pour les enfants, et même augmenté les possibilités par le biais de mesures comme des cours en ligne, des horaires de classe échelonnés, et des classes plus petites. Par exemple, même les élèves qui ne viennent pas à l’école peuvent suivre des cours en ligne et participer à la vie scolaire. Les horaires échelonnés proposent une solution alternative pour les enfants qui n’arrivent pas ou plus à se lever tôt.

Yamaguchi pense qu’il n’est pas nécessaire de tout refaire comme avant. « J’espère que nous pourrons tirer les leçons de la pandémie et appliquer certains de ces changements pour le bien des enfants. Nous avons là une occasion de revoir l’environnement scolaire en écoutant attentivement ce que nous confient les enfants au sujet des masques et autres problèmes, et en respectant leur liberté de choisir.

(Texte d’Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : Pixta)

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