Kobe, berceau du jazz japonais : un siècle de musique en 2023

Musique

Laughing Stars, le premier groupe de jazz du Japon, s’est lancé en avril 1923, quand le « père du jazz japonais », le violoniste Ida Ichirô, a joué pour la première fois avec son groupe dans un hôtel de Kobe. Aujourd’hui, cette cité portuaire de l’ouest se revendique comme le berceau du jazz dans le pays.

[Article du Kobe Shimbun] Kobe, en tant qu’une des premières villes dans lesquelles les ports se sont ouverts au commerce international à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868), a connu un important apport de culture étrangère. Dès 1919, un groupe de jazz philippin se produisait régulièrement au Kobe Oriental Hotel.

Ida Ichirô, violoniste considéré comme le « père du jazz japonais », a commencé sa carrière en tant que membre de l’orchestre Takarazuka Revue, mais il a rapidement été mis à l’écart par ses camarades qui ne partagaient pas ses aspirations à jouer le jazz. Après avoir quitté la parade, il a fini par trouver sa terre promise à Kobe.

Wajima Yûsuke, professeur de musicologie à l’université d’Osaka, voit cela comme le point tournant de l’histoire de la musique au Japon : la naissance du jazz à part entière, un genre musical plus proche du divertissement grand public américain, bien différent de la musique classique « artistique » européenne.

Le jazz prend racine à la fin du XIXe siècle à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, où le blues et le ragtime de l’Amérique noire fusionnent avec les styles de musique blancs. Les membres d’orchestre ayant joué sur les bateaux naviguant entre l’Amérique du Nord et le Japon sont considérés comme le « pont » ayant importé ce nouveau style de musique. Ida avait également joué dans l’un de ces ensembles parcourant les voies maritimes vers l’étranger.

La naissance des Laughing Stars a coïncidé avec le Grand tremblement de terre du Kantô, qui a frappé en septembre 1923, poussant de nombreux musiciens à fuir de la capitale vers la région du Kansai. De nombreuses salles de danse animées se trouvaient à Osaka, mais leurs activités ont été interdites au début de l’ère Shôwa (1926-1989), ce qui a entraîné un déplacement du centre de la culture musicale de l’époque à Kobe. Certains musiciens sont retournés à Tokyo suite à la reconstruction d’après le séisme, mais à partir de 1940, les salles de danse de tout le Japon ont été fermées dans le cadre de la prohibition des influences culturelles étrangères, considérées comme « corrompues ».

Ironiquement, ce sont les forces alliées d’occupation qui ont relancé le jazz lors des années d’après-guerre (par exemple, la radio NHK du Japon a même diffusé des musiques de jazz jouées par des groupes de militaires américains). Radio Kobe (aujourd’hui radio Kansai) a commencé à émettre en 1952, lançant la première émission de diffusion de musique à la demande par téléphone au Japon.

Kusaka Yûsuke, président de la branche du Kansai de l’association pour l’enseignement du jazz au Japon, raconte comment les émissions de ces deux stations ont suscité son intérêt pour le genre. « Le jazz enrichi nos rencontres avec les gens. C’est une musique tellement merveilleuse. »

Après la fin de l’occupation dans les années 1950, les représentations se sont déplacées vers les boîtes de nuit et les cabarets, qui étaient les nouveaux lieux de loisir pour les adultes. La ville de Kobe avait de nombreux établissements de ce genre, dont le très animé Benibasha.

Kusaka enseignait alors dans un lycée privée, mais il a été véritablement enchanté par la musique émanant du club, et a rejoint un groupe de cabaret en tant que saxophoniste afin d’apprendre à jouer du jazz. Il a pu se produire sur scène au côté de la « reine du blues » japonaise, la chanteuse Awaya Noriko (1907-1999). « De célèbres musiciens fréquentaient Kobe, et la ville s’animait la nuit », se remémore ce musicien aujourd’hui âgé de 81 ans.

Un café jazz, le Java, a ouvert dans le quartier de Sannomiya à Kobe en 1953, et un club de spectacles, le Sone, a été établi en 1969. Rapidement, ces deux établissements sont devenus les centres de la culture du jazz de Kobe, aidant au lancement de festivals de musique populaires dans les années 80.

Selon Wajima, bien que Tokyo soit le centre de l’industrie musicale du Japon, le jazz japonais est pour sa part né au cœur de Kobe. L’appropriation de ce genre musical par les musiciens du Kansai ainsi que le plébiscite des auditeurs symbolisent l’acceptation des goûts culturels étrangers importés dans cette cité portuaire.

(Photo de titre : Kusaka Yûsuke, président de la branche du Kansai de l’association pour l’enseignement du jazz au Japon, et saxophoniste)

[© The Kobe Shimbun]

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