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Hommage à Matsumoto Leiji, le papa d’Albator : le sens de l’histoire derrière l’œuvre d’un géant du manga

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Albator, le corsaire de l’espace (Captain Harlock en japonais) et Galaxy Express 999 sont certainement les deux séries de Matsumoto Leiji les plus connues dans le monde entier. Mais il a rencontré son premier grand succès au Japon avec Otoko oidon (« Je suis un garçon »), une chronique de vie d’extrême pauvreté durant l’ère Shôwa (1926-1989). L’apparente disparité de genre entre la SF et la chronique de vie cache en fait une cohérence extrême de la vision du monde de leur auteur. Cet article examine la convergence fondamentale des différentes œuvres d’un mangaka exceptionnel.

Entre une chambre de moins de 10 m2 et l’espace intersidéral

Le mangaka et créateur d’animes Matsumoto Leiji est décédé d’une insuffisance cardiaque le 13 février 2023. Il avait 85 ans.

L’univers de son œuvre possède deux visages. D’une part, les séries de science-fiction grandiose, qui se déroulent dans l’espace intergalactique, et d’autre part des récits de vie dans une chambre de « 4 tatamis et demi » (moins de 10m2), où des champignons poussent sous les sous-vêtements entassés par terre.

Les « 4 tatamis et demi » sont une expression courante pour désigner un type de chambre de toute petite taille. À l’origine, c’est exactement la surface de la chambre, dont le sol est couvert de 4 tatami + 1 demi-tatami. Dans la période de l’après-guerre, des années 1950 au années 1970, et même après, nombreux sont les jeunes provinciaux qui montaient à la capitale avec de grands rêves et peu de moyens, qui louaient une chambre de ce type pour se loger.

La vastitude de l’espace et la petitesse de la chambre sont deux extrêmes, disons. Mais observons les personnages qui évoluent chacun dans l’un ou l’autre de ces environnements : on ne peut s’empêcher de leur trouver une étrange complémentarité. Il y a l’adulte qui veille sur le jeune encore immature, et le jeune qui admire l’adulte qu’il rêve de devenir un jour.

Le site officiel de Matsumoto Leiji (https://leijisha.jp/) offre divers contenus souvent étonnants, comme ces dessins qu’il a produits à sa sortie de l’hôpital en novembre 2019, lors d’une invitation en Italie. © Matsumoto Leiji / Leiji-sha.
Le site officiel de Matsumoto Leiji (https://leijisha.jp/) offre divers contenus souvent étonnants, comme ces dessins qu’il a produits à sa sortie de l’hôpital en novembre 2019, lors d’une invitation en Italie. © Matsumoto Leiji / Leiji-sha.

L’enseignement de son père, officier supérieur

Matsumoto Leiji est né en 1938 dans une famille d’ascendance samouraï, 4e enfant d’une fratrie de 7. Sa mère avait été institutrice, son père était militaire et termina sa carrière avec le grade de commandant.

Le personnage du capitaine Okita Jûzô, dans Space Battleship Yamato (1974) est construit sur le modèle de son père. L’odyssée du Yamato prend la forme d’une épopée du genre humain. C’est un voyage d’espoir, au cours duquel l’humanité, menacée d’extinction par l’attaque de la planète Gamilas, tente de rallier la planète Iskandar, à l’autre bout de la galaxie, afin d’acquérir une machine permettant de décontaminer la Terre. Le capitaine Okita est l’un des personnages principaux de la série, un brillant stratège doté d’une volonté de fer, mais également respectueux des ennemis qu’il rencontre sur le champ de bataille.

Le personnage ressemble tellement à son père que des proches de Matsumoto se sont exclamés que c’était son portrait. Par exemple, la phrase que répète souvent le capitaine Okita : « L’homme naît pour vivre, pas pour mourir » est l’une des maximes que Matsumoto a souvent entendu dire par son père.

Space Battleship Yamato a fait l’objet de suites et de remakes pour la télévision et le cinéma. Le dernier en date Space Battleship Yamato 2205, un nouveau voyage, est sorti en 2021. Des dessins préparatoires pour un nouvel opus Yamato yo, eien ni REBEL 3199 (« Yamato 3199, le rebelle éternel ») ont été également dévoilés. ©Nishizaki Yoshinobu/ Space Battleship Yamato 2025 Production Committee
Space Battleship Yamato a fait l’objet de suites et de remakes pour la télévision et le cinéma. Le dernier en date Space Battleship Yamato 2205, un nouveau voyage, est sorti en 2021. Des dessins préparatoires pour un nouvel opus Yamato yo, eien ni REBEL 3199 (« Yamato 3199, le rebelle éternel ») ont été également dévoilés. ©Nishizaki Yoshinobu/ Space Battleship Yamato 2025 Production Committee

Le capitaine Okita se présente comme la figure paternelle de son grand équipage. De même, Albator (1977) appelle son vaisseau Arcadia « la maison ».

L’action de la série Albator se déroule en l’an 2977. L’humanité a perdu toute énergie vitale et attend simplement d’être détruite. Quand une mystérieuse forme de vie, les Mazones, approchent de la Terre pour l’envahir, le gouvernement ne considère même pas cela comme une situation de crise. Le capitaine Albator, le corsaire de l’espace, est le seul à se lever pour résister et rassembler un équipage sous sa bannière.

Albator est un solitaire, il ne se soumet ni ne recule jamais. Son visage taciturne cache une passion féroce, mais il est également capable de gentillesse pour son jeune équipage, qui l’admire en retour en le considérant comme « un homme parmi les hommes ». Libre et solitaire à la fois, Albator est l’un des personnages auxquels Matsumoto était le plus attaché.

La série animée Albator a été diffusée entre 1978 et 1979. Waga seishun no Arcadia (« Arcadia, ma jeunesse »), diffusée en 1982, dépeint la jeunesse du héros et sa rencontre avec Ôyama Tochirô. © Leiji Matsumoto/Tokyu Agency, Tokyu © Leiji Matsumoto, Toei Animation
La série animée Albator a été diffusée entre 1978 et 1979. Waga seishun no Arcadia (« Arcadia, ma jeunesse »), diffusée en 1982, dépeint la jeunesse du héros et sa rencontre avec Ôyama Tochirô. © Leiji Matsumoto/Tokyu Agency, Tokyu © Leiji Matsumoto, Toei Animation

Un voyage solitaire

D’autre part, le personnage principal de Galaxy Express 999 (1977) est un garçon appelé Hoshino Tetsurô. Dans le futur, sur Terre, les riches peuvent vivre 1 000 ans en remplaçant leur corps par des machines. Les pauvres, eux, ont une vie biologique limitée et peuvent être tués par les hommes mécanisés pour le simple plaisir.

Hoshino Tetsurô se retrouve seul après l’assassinat de sa mère. Cependant, il rencontre une femme mystérieuse, Maetel, qui le guide dans un voyage vers la lointaine Andromède afin d’obtenir un corps mécanique. Pour cela, ils montent tous les deux à bord du super-express galactique 999 (Three Nine), qui circule en orbite autour de la galaxie.

Symboliquement, 999 est le nombre auquel il manque juste 1 pour faire 1 000. En d’autres termes, c’est un symbole d’incomplétude qui représente la fin de la jeunesse. Au cours de son voyage, Tetsurô grandit et devient rapidement un homme capable de soutenir et de protéger Maetel.

Matsumoto lui-même a gagné un prix de manga à l’âge de 15 ans, puis, à l’âge de 18 ans, a quitté sa famille et est monté seul en train à Tokyo. Il a reconnu que ce voyage solitaire était devenu le point de départ de Galaxy Express 999.

Une rame du train Seibu Tetsudô décoré avec le personnage de Maetel et d’autres personnages du Galaxy Express 999 (Tokorozawa, Saitama, 30 avril 2009). Jiji Press
Une rame du train Seibu Tetsudô décoré avec le personnage de Maetel et d’autres personnages du Galaxy Express 999 (Tokorozawa, Saitama, 30 avril 2009). Jiji Press

« Je suis un garçon », un roman d’apprentissage

À l’époque jeune espoir du manga, Matsumoto a été hébérgé dans une chambre d’hôte. Ce type de logement est devenu rare de nos jours. Il s’agit d’un logement dans une famille, incluant le gîte et le couvert. Plusieurs colocataires sont généralement présents, c’est donc une forme de vie communautaire. C’est sur cette expérience que s’est basé Matsumoto pour son premier succès en 1971 : Otoko oidon (« Je suis un garçon »).

Cette fois, pas d’espace intersidéral ni de galaxies immenses, l’univers du personnage principal de Otoko oidon, Ôyama Nobotta, se limite à une chambre de 4 tatamis et demi. Il est lui-même un petit gabarit, jambes arquées, vêtu de vêtements minables et trop courts. Mais il est venu à Tokyo porteur d’un rêve immense : un jour, il sera un grand artiste. Et sa chambre minuscule est son « palais ».

Pour subvenir à ses besoins, il travaille en usine, mais est rapidement licencié. Il quitte également le lycée de nuit qu’il fréquentait. Il parvient à reprendre des études, mais les jobs qu’il trouve ne durent jamais très longtemps. Il tombe parfois amoureux, mais quand il offre un cadeau, les femmes le jettent sans même l’ouvrir. Sa vie est très solitaire, même si la famille de ses propriétaires et tout particulièrement la grand-mère sont très bienveillants à son égard.

Otoko Oidon n’est pas seulement un succès, c’est aussi le premier manga de Matsumoto dans lequel l’objectif est de parler de lui. La jeunesse, toutes les jeunesses, sont positives par elles-mêmes.

Dans Otoko oidon, le personnage souffre d’une maladie de peau typique des garçons. À l’époque, de nombreux jeunes hommes en souffraient sans en parler à personne, car les démangeaisons portent sur une zone sensible… Mais le manga de Matsumoto, en en parlant ouvertement, a aider de nombreux lecteurs à vaincre leur angoisse. Et même de lectrices ! En effet, Matsumoto a reçu de nombreuses lettres témoignant que leur petit ami était devenu moins maussade après avoir lu son manga.

Otoko Oidon est paru dans le Weekly Shônen Magazine (Kôdansha) entre 1971 et 1973, puis en neuf volumes. (Kyôdô)
Otoko Oidon est paru dans le Weekly Shônen Magazine (Kôdansha) entre 1971 et 1973, puis en neuf volumes. (Kyôdô)

La philosophie de Matsumoto Leiji

Or, en fait, les « 4 tatamis et demi » de Otoko oidon sont étroitement liés à l’univers du capitaine Albator. Son meilleur ami, Ôyama Toshirô, est un lointain descendant d’Ôyama Nobotta, le personnage de Otoko oidon.

Dans Galaxy Express 999, les mondes d’Albator et de Queen Emeraldas se croisent et des personnages d’autres œuvres apparaissent. Ces développements étaient pensés dès l’origine dans l’esprit de l’auteur.

De même que personne n’a d’enfants pour qu’ils meurent, Matsumoto a créé ses personnages pour les garder en vie. Dès le début, il a créé ses personnages avec l’intention de créer une grande famille qui transcende les générations.

Lui aussi a hérité de son père et de sa mère quelque chose d’important. À la fin de l’éternel cercle du temps, le passé et l’avenir perdent leur sens, tous les destins se croisent, comme toutes les lignes de chemin de fer se rejoignent en un seul point, la gare terminale. Telle était la philosophie de Matsumoto.

En janvier 2018, une exposition des œuvres de Matsumoto Leiji s'est tenue dans le grand magasin Isetan Shinjuku. L'exposition, qui couvrait une variété d'œuvres, a ensuite circulé dans différentes régions. © Matsumoto Leiji
En janvier 2018, une exposition des œuvres de Matsumoto Leiji s’est tenue dans le grand magasin Isetan Shinjuku. L’exposition, qui couvrait une variété d'œuvres, a ensuite circulé dans différentes régions. © Matsumoto Leiji

« Tous les êtres humains partagent des valeurs communes, du simple fait que nous sommes vivants. » Cette conviction fait des créations de Matsumoto des œuvres universelles, et explique que ses fans couvrent le monde entier.

La rencontre avec Daft Punk

Le succès de la série animée Albator en France, avec des parts d’audience qui ont atteint près de 70 %, est bien connu. Et Otoko oidon a été traduit en anglais sous le titre I am a man. Space Battleship Yamato aussi a été diffusé aux États-Unis et dans d’autres pays, comme l’histoire d’un voyage au cours duquel les humains décident de « partir pour revenir ». Très vite, des jeunes du monde entier ont cherché à rencontrer Matsumoto.

Un jour, deux musiciens viennent le voir : « On regarde vos œuvres depuis qu’on a 5 ans. » C’est Daft Punk, qui lui demandent de travailler ensemble à un projet. Le projet aboutit et devient Interstella 5555 (2003). Le film d’animation a pris le monde d’assaut et Newsweek parlera de « chef-d’œuvre qui combine les genres artistiques différents de la musique et de l’animation ».

L’univers de Matsumoto est aimé des fans au-delà de l’espace et du temps. Il continuera à briller, même si son auteur est parti au-delà des étoiles.

(Photo de titre : Matsumoto Leiji invité au Festival international de la BD d’Angoulême en février 2013. La casquette avec la tête de mort est sa marque de fabrique. Jiji Press)

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