Deux réfugiés ukrainiens employés dans une station thermale : remercier Kobe et penser à ceux restés au pays

Société International

[Article du journal Kobe Shimbun] Deux réfugiés ukrainiens travaillent dans une auberge traditionnelle des sources thermales d’Arima (Kobe) qui, depuis le printemps 2023, a retrouvé sa splendeur d’avant la période de la pandémie. Pourquoi rester travailler dans un pays étranger à plus de 65 ans ? Parce qu’ils aiment leurs proches restés en Ukraine et qu’ils veulent également remercier Kobe de les avoir acceptés.

Travailler au Japon plutôt que d’être un « poids inutile » dans son pays

À l’auberge Ginsuisô Chôraku, dans la ville de Kobe, Viktor Bahynskyi, 65 ans, ramasse les feuilles mortes du jardin, alors que Natalia Hryhorovych, 68 ans, se prépare à accueillir les clients de l’établissement. Celui-ci propose aux visiteurs de profiter des sources d’Arima, qui existent depuis 6 millions d’années et comptent parmi les plus célèbres de l’Archipel. (Voir notre article : À travers les meilleures sources thermales du Japon [20] : les eaux préhistoriques d’Arima, à Kobe)

Le Centre d’accueil des résidents étrangers de Kobe est une organisation à but non lucratif qui aide les réfugiés et collabore avec la municipalité de Kobe. Quand les responsables de l’auberge ont manifesté leur intention de « vouloir se rendre utiles », ils les ont mis en contact avec les deux demandeurs d’emploi.

Viktor a été embauché en mars dernier. Ancien charpentier, il s’occupe des travaux d’entretien en réparant notamment les rampes et il est aussi chargé des tâches de jardinerie. Il travaille environ quatre jours par semaine et communique avec le personnel japonais à l’aide d’un traducteur automatique.

Viktor vivait avec sa famille à Jytomyr, au centre de l’Ukraine, mais la ville a énormément souffert sous les bombardements. Son neveu qui s’était engagé a perdu la vie dans les combats, il avait 25 ans.

« J’aurais voulu m’engager moi aussi et protéger mon pays. », dit-il, mais l’homme de 65 ans a dû renoncer du fait de son âge et de sa surdité. Le Japon, c’est une amie de sa fille qui y résidait déjà qui lui en avait parlé. On lui avait dit que les paysages naturels y étaient de toute beauté, et il a décidé de s’y exiler plutôt que de rester en Ukraine où il aurait été un poids inutile. Il arrive au Japon en juin 2022 en passant par la Pologne.

Père de trois filles, son aînée et sa cadette se sont installées en Sibérie avant la guerre. Grâce à son smartphone, il garde le contact avec sa troisième fille (18 ans), qui est restée à Jytomyr, mais quand elle lui raconte que « des bombes volent », il s’inquiète pour sa sécurité.

« Je veux envoyer de l’argent à mes filles, même si c’est pas grand chose. Vous savez, ma troisième fille est enceinte de quatre mois. », dit-il en montrant fièrement une échographie du bébé.

Mais la perspective de la naissance de ses petits-enfants ne le rend pas complètement joyeux. Le père de l’enfant, le compagnon de sa fille, a été blessé au combat, il serait entre la vie et la mort. « Je ne sais pas ce qui va se passer. Je ne suis plus tout jeune, alors je veux gagner le plus d’argent possible pour aider ma fille tant que je le peux. »

« Je ne vais pas passer mon temps à pleurer »

Natalia, qui travaille également à l’auberge depuis mars 2023, s’occupe de la plonge et du nettoyage des chambres. Elle sourit : « Tous mes collègues sont si gentils, je voudrais pouvoir toujours travailler ici. »

Sa ville de Kherson dans le sud du pays, a été annexée par la Russie tout de suite après l’invasion. Natalia était professeur de piano. Elle se souvient : « Je me suis réveillée un matin et j’ai vu des chars d’assaut passer devant ma fenêtre. » Elle a fui, un de ses petits-enfants était étudiant à Kyiv, il l’a rejointe, vivotant et dormant dans un couloir d’une résidence partagée.

Le mari de son aînée est médecin, une profession indispensable en temps de guerre, ils ont décidé de rester en Ukraine. Avec sa cadette, Natalia part en Pologne, puis aux Émirats arabes unis, avant d’arriver au Japon en décembre 2022, pays avec lequel elles n’ont aucune attache.

Dans cette auberge, le hasard lui permet de travailler dans un endroit où la tradition de l’accueil est cruciale. « Je voulais me rendre utile au Japon, où nous avons été si chaleureusement accueillies et soutenues », explique Natalia. « Je ne vais pas passer mon temps à pleurer. Je veux être digne et indépendante. »

L’auberge leur a offert une nouvelle chance, s’efforçant de leur créer de bonnes conditions de travail, notamment grâce à des traducteurs automatiques. Tôtani Yûhei , le directeur de l’établissement d’ajouter : « Je suis heureux que des personnes si motivées soient venues travailler. Je voudrais que notre auberge trouve le moyen de continuer dans cette voie. »

(Reportage et photos d’Andô Mako. Photo de titre : Viktor Bahynskyi et Natalia Hryhorovych à l’auberge Ginsuisô Chôraku, à Kobe ©copyright kobeshinbun)

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