
Est-il temps que les sanctuaires shintô célèbrent les unions homosexuelles ?
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Ce couple homosexuel est aux anges. Matsuura Keita, 37 ans, et Sakurai Hidenari (nom modifié), 38 ans, ont pu célébrer leur mariage dans un sanctuaire shintô de la ville d’Amagasaki, près d’Osaka.
Au Japon, la plupart des sanctuaires shintoïstes refusent de marier les couples de même sexe, arguant qu’une cérémonie qui n’est pas entre un homme et une femme ne saurait être considérée comme un véritable rituel shintô, et que cela irait à l’encontre des traditions de cette religion. Il se trouve que les rites de mariage comprennent des lectures du Kojiki (Chronique des faits anciens), qui est un recueil compilé au VIIIe siècle par l’État japonais concernant le mythe de la « naissance du Japon », où interviennent une divinité mâle, Izanagi, et une divinité femelle, Izanami.
Face à cette « polémique », le Jinja Honchô (l’association des sanctuaires shintô du Japon) a déclaré ne pas vouloir émettre de communiqué officiel, ajoutant néanmoins que le shintô n’avait pas de doctrines ou d’écrits adressant la question du mariage entre personnes de même sexe que ce soit en bien ou en mal, et qu’il relevait de la responsabilité individuelle de chaque sanctuaire de déterminer s’il fallait les accepter et développer de nouvelles procédures à cet effet.
« Nous nous sommes sentis trahis »
Keita et Hidenari ont fait part de leur soulagement quand ils se sont exprimés en conférence de presse après la cérémonie : « Nous n’avions jamais rêvé qu’une telle chose puisse se produire de notre vivant. Nous sommes plus que ravis. »
Bien que le mariage de même sexe ne soit actuellement pas reconnu au niveau national selon la loi japonaise, depuis 2020, un système de partenariat civil est établi à Amagasaki (comme de nombreuses autres municipalités du pays), qui le considère comme un « équivalent du mariage ». Celui-ci permet aux personnes d’au moins 18 ans d’officialiser leur relation en l’inscrivant sur le registre d’état civil, leur donnant ainsi accès à certains des privilèges dont jouissent les couples mariés.
Deux ans plus tard toutefois, en juin 2022, il a été révélé que le Shintô Seiji Renmei (l’association shintô des dirigeants spirituels), une organisation politique sous la direction du Jinja Honchô, avait distribué aux législateurs du Parti libéral-démocrate (le parti au pouvoir) un texte discriminatoire à l’égard des personnes homosexuelles.
Cette publication décrivait l’homosexualité comme étant « un désordre psychologique acquis ou une addiction ». Keita se remémore à quel point le contenu du texte l’avait blessé : il s’était senti trahi par les sanctuaires shintô, pour lesquels il avait pourtant une certaine affinité. Le couple a par la suite cherché un sanctuaire qui pourrait autoriser leur union, dans un effort conscient de mettre en lumière cette problématique.
Après de nombreux rejets, ils ont fini par trouver un lieu qui a bien voulu accepter leur demande.
« Mon cœur a fait un bond »
L’union du couple a été saluée par une journée ensoleillée, contrastant avec la grisaille de la veille. La cérémonie s’est déroulée sans encombre, et les invités n’ont pas hésité à exprimer leur joie et leur émotion d’être présent pour cet évènement.
Keita déclare que son « cœur a fait un bond » quand il a vu Hidenari habillé dans un hakama formel (pantalon ample à plis). Bien que très peu de sanctuaires autorisent actuellement les mariages de même sexe, il a exprimé son espoir de « voir tous les couples s’épanouir et vivre de manière positive ».
À la fin de la cérémonie, Keita a lu un message adressé à l’adolescent qu’il a été, celui qui, alors jeune collégien, venait de réaliser qu’il était gay.
« À cette époque, je pensais que je ne pourrais jamais avoir un époux ou une famille, et que je passerais ma vie tout seul. J’avais l’impression que personne au monde ne m’accepterait. Et bien, sache que ton futur toi vient de se marier, et qu’il a un partenaire formidable avec qui il forme désormais une famille. Il a été reconnu par ses parents, ses amis, sa communauté locale, et même béni par les dieux. J’aimerais que le petit Keita de 13 ans puisse me voir aujourd’hui. »
Sans précédent
Avant leur union, Keita et Hidenari avaient contacté une dizaine de sanctuaires autour du Japon afin de leur demander leur avis sur les cérémonies de mariage entre personnes de même sexe au sein des lieux shintô. La plupart ont répondu qu’ils ne souhaitaient pas les tenir, en ajoutant souvent quelque chose comme « puisque nous n’avons pas de précédent dans ce domaine, nous n’y avons jamais pensé ».
Même si certains sanctuaires ont reconnu la sympathie croissante envers les couples de sexualité diverse au Japon, beaucoup préfèrent éviter de faire des déclarations publiques sur la possibilité de la tenue d’une telle cérémonie. Un sanctuaire note qu’avec les changements liés à notre époque, il s’agit d’une problématique que l’intégralité des sanctuaires shintô devrait considérer.
Le célèbre sanctuaire Meiji de Tokyo a répondu souhaiter « travailler avec les parties concernées afin de considérer cette question selon l’opinion du Jinja Honchô ». À suivre...
(Photo de titre : main dans la main, Keita et Hidenari se présentent au banquet de leur mariage à Amagasaki, dans la préfecture de Hyôgo, le 3 juin 2023. Texte : Ôta Toshiyuki et Nagura Akari. Photos : Ôta Toshiyuki.)
(© The Kobe Shimbun)