« La levure de riz rouge n’est pas coupable » : chercher la cause du scandale sanitaire

Société Santé

Le scandale sanitaire enfle de jour en jour au Japon. Cinq personnes sont déjà décédées d’une maladie rénale après avoir consommé un complément alimentaire à base de levure de riz rouge (beni kôji) fabriqué par l’entreprise Kobayashi Pharmaceutical, et plus de 160 patients ont été hospitalisés après avoir pris le produit en question. Si l’anxiété croît démesurément dans l’opinion publique, un spécialiste des aliments fermentés tient à rassurer que la levure de riz rouge n’est pas à incriminer.

Maehashi Kenji MAEHASHI Kenji

Professeur au département de génie brassicole à la faculté de biologie appliquée de l’Université d’agriculture de Tokyo depuis 2016. Après son doctorat en agrochimie, il est assistant, maître de conférences puis professeur associé à la faculté de biologie appliquée. En 2003, alors maître de conférences, il fait partie d’une équipe de recherche travaillant sur la génétique du goût au Monell Institute for Chemical Senses basé aux États-Unis. Ses travaux de recherche portent sur le goût et les condiments fermentés.

L’innocuité des aliments à base de kôji est avérée

L’affaire du complément alimentaire à base de levure de riz rouge, ou beni kôji, suscite une vive inquiétude chez les consommateurs. En effet, le terme de kôji peut prêter à confusion puisqu’il désigne par ailleurs une levure entrant dans la composition d’autres produits élaborés par fermentation. Une méprise vient de ce que les termes de kôji et surtout beni kôji (« kôji rouge ») sont mal connus du grand public.

Pour le chercheur que je suis, qui travaille sur les aliments produits par fermentation, il est inquiétant que des rumeurs problématiques circulent et sèment la panique. Pour aller droit au but, les levures de riz rouge ne sont pas en tort, d’autant qu’au Japon elles sont purifiées. Elles ne sont pas toxiques et ne présentent aucun risque pour la santé. Ce point devait tout d’abord être précisé.

Sans kôji, pas de cuisine japonaise. Cet aspergillus oryzae ou « ferment jaune » est une moisissure noble proche du penicillum. En revanche, pour préparer du kôji rouge on utilise la moisissure appelée monascus qui biologiquement est complètement différente du kôji si prisé au Japon.

La préparation du kôji japonais est vraiment particulière. Des fabricants de kôji (moyashi-ya) exerçaient déjà aux périodes Kamakura (1185–1333) et Muromachi (1336-1573). On produisait déjà en ce temps-là des préparations de kôji de grande qualité qui étaient vendues aux brasseries pour ensemencer le saké. L’expérience aidant, ces fabricants ont appris à éliminer les mauvaises moisissures, ils ont acquis la maîtrise des moisissures nobles et réussi à assurer leur innocuité. Leur préparation purifiée était très différente du kôji naturel et l’innocuité s’est améliorée avec le temps. Aujourd’hui, il ne reste qu’une dizaine de ces producteurs de kôji sur l’Archipel, mais l’industrie brassicole japonaise n’existerait pas aujourd’hui sans le secteur de la levure.

La levure de riz rouge (beni kôji) est, elle, principalement utilisée en Chine et à Taïwan pour élaborer des sakés rouges ou des vins de céréales. À Okinawa, il entre dans la composition d’un plat appelé « Tofu yô ». L’innocuité des boissons et mets élaborés grâce au beni kôji est avérée depuis longtemps, c’est le fruit d’une longue tradition artisanale. La cuisine à la levure de riz rouge n’aurait pas pu se perpétuer aussi longtemps sinon.

« Tofu yô », une spécialité d’Okinawa préparée par fermentation grâce à la levure de riz rouge. (Pixta)
« Tofu yô », une spécialité d’Okinawa préparée par fermentation grâce à la levure de riz rouge. (Pixta)

Des éléments non-désirés dans le produit final  ?

Cette fois-ci, les compléments alimentaires fautifs auraient été fabriqués sur une durée limitée et dans quelques usines seulement. Il est donc peu probable qu’il y ait eu un problème avec les ingrédients normalement utilisés dans le processus de fabrication. Le groupe Kobayashi Pharmaceutical a déclaré qu’« il était possible que les préparations aient contenu des éléments non désirés ». Mais la mention d’éléments non-désirés a pu donner un tour effrayant à l’annonce.

Mais si j’osais, je dirais qu’il est plutôt naturel que des éléments inconnus se retrouvent dans les produits issus de la fermentation... En effet, comme il est fonction de la nature des moisissures et de l’environnement, le monde des micro-organismes peut réserver des surprises. Beaucoup de choses échappent encore à la connaissance humaine et de nouvelles découvertes restent à faire. Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre mais quand la santé des consommateurs est en jeu, il ne devrait pas y avoir la place pour des éléments inconnus. L’humanité a justement au cours de son histoire affûté les savoirs-faire, la science et les technologies pour sélectionner des micro-organismes qui ne présentent aucun risque pour les consommateurs. Jusqu’à très récemment, les suppléments alimentaires proposés par Kobayashi Pharmaceutical étaient très contrôlés, la gestion était très stricte.

Comme le rapport d’enquête mentionne que de nombreuses victimes souffrent de troubles rénaux, on a soupçonné la citrinine métabolisée par la levure de riz rouge d’être à l’origine du problème. En effet, la citrinine est une mycotoxine produite par certaines souches de levure rouge qui provoque des dysfonctionnements rénaux. C’est pourquoi les compléments alimentaires dérivés de la levure de riz rouge sont strictement réglementés dans l’Union européenne. Certains pays ont même interdit l’achat et la vente de produits contenant des dérivés de levure de riz rouge.

Mais Kobayashi Pharmaceutical garantit l’innocuité du beni kôji produit sur ses sites et l’analyse du génome a confirmé que la souche suspecte ne contenait pas de gène produisant de citrinine. En fait, aucune trace de citrinine n’a pu être relevée lors de l’analyse des produits incriminés réalisée au moment du scandale sanitaire. Cela signifie-t-il que même avec des matières premières si contrôlées, un élément imprévu puisse faire surface ou qu’il y ait contamination  ?

Quoi qu’il en soit, tant que l’agent causal n’est pas trouvé, les consommateurs resteront méfiants. Plus d’une semaine a déjà passé depuis le début de l’affaire, différentes thèses se sont fait jour, on a supposé que des substances étrangères se seraient introduites dans la préparation au cours de la production, on a pu lire aussi que le beni kôji aurait muté. Quelle substance toxique a été produite et par quel processus  ? Nous espérons des éclaircissements dans les plus brefs délais.

(Photo de titre : levure de riz rouge mise en vente par Kobayashi Pharmaceutical en tant qu’ingrédient de base. Photo avec l’aimable autorisation de Kobayashi Pharmaceutical / Jiji Press)

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