Réfléchir à la guerre

Les Palaos : des îles paradisiaques en paix avec le Japon, malgré les cicatrices de la guerre

Société Histoire

La république des Palaos a été le théâtre d’une terrible bataille entre les forces américaines et japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale. Une visite dans ces îles montre que les habitants sont tournés vers l’avenir, maintenant de forts liens linguistiques, culturels et personnels avec le Japon.

Un passé violent pour des îles si paisibles

Ayant vécu l’une des batailles les plus violentes et destructrices de la Seconde Guerre mondiale, on pourrait légitimement penser que les habitants de Palaos nourrissent une certaine rancune envers le Japon et les Japonais. En 1944, les habitants de ce petit archipel ont été témoins de bombardements aériens et navals qui ont détruit les infrastructures, coulé des navires et, parfois, coûté la vie à des civils. L’île de Peleliu, à l’extrême sud des Palaos, a été entièrement ravagée lors des combats acharnés entre les troupes japonaises et américaines.

Les restes endommagés du centre de communication militaire japonais des Palaos, avec un canon antiaérien.
Les restes endommagés du centre de communication militaire japonais des Palaos, avec un canon antiaérien.

Tandis que d’autres nations de la région Asie-Pacifique ne manquent jamais une occasion d’évoquer les humiliations subies pendant les années de domination coloniale japonaise, il y a un siècle ou plus, le président Surangel S.Whipps Jr. fait non de la tête. Malgré les destructions de la guerre, affirme-t-il, la relation entre le Japon et Palaos n’est en rien entachée par les cicatrices du passé.

Le président Surangel S.Whipps Jr. dans son bureau à Koror
Le président Surangel S.Whipps Jr. dans son bureau à Koror

« Il faut vous rappeler que nous n’avons pas été envahis par le Japon, puisque nous étions un territoire japonais », nous dit Whipps.

Koror était alors appelé le « petit Tokyo » et près de 30 000 Japonais vivaient ici, dont 17 000 okinawaïens.

« Environ 20 % de nos ancêtres sont Japonais, et nous avons de nombreux points communs » explique-t-il. « Plus de 1 000 mots de notre dictionnaire sont issus du japonais. »

Et quand on lui demande son préféré, Whipps répond sans hésiter tokubetsu (« spécial »).

Le Japon est un généreux donateur pour les Palaos. Cette stèle à Koror commémore la complétion d’un projet de route dans la capitale, complété grâce à l’aide japonaise
Le Japon est un généreux donateur pour les Palaos. Cette stèle à Koror commémore la complétion d’un projet de route dans la capitale, complété grâce à l’aide japonaise

Occupées à l’origine par des navigateurs venus des Philippines ou d’Indonésie il y a entre 4 000 et 5 000 ans, les îles ont été mentionnées pour la première fois par des explorateurs venus d’Espagne en 1522. Ce n’est toutefois qu’en novembre 1710 qu’une expédition espagnole a débarqué sur ce territoire situé à environ 900 kilomètres à l’est de l’île philippine de Mindanao.

L’archipel est resté sous contrôle espagnol jusqu’à sa vente à l’Allemagne en 1885. Puis, à la suite de la défaite de Berlin lors de la Première Guerre mondiale, les Palaos (ainsi que plusieurs autres possessions allemandes dans le Pacifique) ont été attribués au Japon par la Société des Nations (SDN).

Un air de Japon dans le Pacifique occidental

Des images aux teintes sépia exposées au Musée national de Palaos retracent la vie dans la ville principale de ce qui était autrefois le territoire le plus important du Mandat japonais des mers du Sud. L’artère principale, large et bordée d’arbres offrant de l’ombre, était encadrée de bâtiments en bois de style typiquement japonais. On y trouvait des magasins de vélos, des restaurants, des boutiques de vêtements, ainsi qu’un grand magasin plus imposant.

À l’extrémité sud de cette avenue se dressait le siège de l’administration japonaise. Le bâtiment est toujours debout aujourd’hui (bien qu’en cours de rénovation), et il abrite désormais le tribunal national.

Les entreprises nippones y prospéraient, exportant noix de coco séchée, phosphate extrait des mines locales et du poisson. Inévitablement, des relations interculturelles se sont nouées, comme en témoigne Haruo Remeliik, premier président de la République de Palaos indépendante en 1981, d’origine nippo-palaosienne. De même, Kuniwo Nakamura, président durant huit années à partir de 1992, portait un nom japonais. Ces patronymes sont largement visibles aujourd’hui encore sur de nombreuses enseignes et commerces des Palaos.

Chloe Yano, dont les grands-parents étaient japonais des deux côtés, affirme se sentir plus proche de sa part palaosienne, tout en soulignant les nombreuses similitudes entre les deux cultures.

« D’après ce que j’ai observé en grandissant, le Japon a exercé une grande influence sur la société palaosienne », confie Yano, 28 ans, employée de l’Office du tourisme de Palaos à Koror. « Nous partageons de nombreuses valeurs et attitudes : le respect des autres, quelle que soit leur origine, l’hospitalité et l’attention portée à l’environnement. »

« Les Palaosiens sont aussi des gens humbles, travailleurs, avec des liens familiaux très forts. Ce sont des traits que nous avons en commun avec les Japonais », ajoute-t-elle. « Et chaque jour, nous utilisons encore des mots empruntés au japonais. Par exemple, on dit toujours bîru pour désigner la bière. »

Palaos est devenu une destination de choix pour les voyageurs japonais, poursuit Yano. Ces derniers sont autant attirés par les liens historiques entre les deux pays que par la réputation mondiale des sites de plongée.

« Avant la pandémie, les Japonais figuraient régulièrement dans le top 3 des visiteurs étrangers, explique-t-elle, mais la reprise n’a pas été à la hauteur de nos espérances ». Le faible cours du yen face au dollar et l’absence de vols directs restent donc des obstacles majeurs à surmonter.

Les épaves de navires de guerre et d’avions gisant au fond des eaux témoignent de l’intensité des combats qui ont ravagé Palaos en 1944.
Les épaves de navires de guerre et d’avions gisant au fond des eaux témoignent de l’intensité des combats qui ont ravagé Palaos en 1944.

Avant la pandémie, Swing Aguon, entrepreneur dans le domaine du tourisme à Koror, estime que 60 % de sa clientèle était composée de visiteurs japonais, une part qui a nettement diminué ces dernières années. Il garde toutefois espoir de les voir revenir dans son entreprise de location de bateaux, où il organise chaque jour des sorties de plongée, des expéditions de pêche en haute mer, ainsi que des excursions vers les Rock Islands, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco, et jusqu’à l’île de Peleliu, au sud.

« Il y a peut-être des Palaosiens qui ont vécu des moments difficiles sous l’administration japonaise, mais très peu, voire aucun, de cette génération ne sont encore en vie aujourd’hui », dit-il. « L’état d’esprit ici, c’est que tout ça fait partie du passé. Il faut s’en souvenir, mais on ne peut pas rester bloqués là-dessus. Il faut aller de l’avant. »

« Les Japonais qui viennent aujourd’hui sont des touristes, et ils dépensent de l’argent qui soutient l’économie. Alors, on les accueille à bras ouverts ! »

Les Rock Islands des Palaos, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. (© Pixta)
Les Rock Islands des Palaos, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. (© Pixta)

Des liens qui restent forts

Il est également manifeste que le Japon a déployé des efforts considérables pour contribuer au développement des Palaos dans les décennies qui ont suivi la fin de la guerre. Un monument en pierre, érigé le long de la rue principale de Koror, commémore l’achèvement d’un nouveau réseau d’approvisionnement en eau pour la capitale, construit grâce à l’assistance financière japonaise. Le nouveau quai de l’attraction mondialement connue du lac aux méduses arbore une banderole indiquant qu’il a été financé par une aide japonaise. Des bus scolaires Nissan jaune vif, ornés d’une image symbolisant une poignée de main et les drapeaux des deux nations, circulent régulièrement. Un élégant patrouilleur côtier, amarré dans le port de Koror, porte l’inscription précisant qu’il a été offert à Palaos par la Nippon Foundation.

Des fonds de la Nippon Foundation ont également permis de financer des vedettes de la police qui opèrent autour de Palaos.
Des fonds de la Nippon Foundation ont également permis de financer des vedettes de la police qui opèrent autour de Palaos.

Les bus scolaires fabriqués au Japon sont un élément familier dans tout l’archipel des Palaos. De nombreux bus à Koror ont été offerts par le Japon en signe d’amitié.
Les bus scolaires fabriqués au Japon sont un élément familier dans tout l’archipel des Palaos. De nombreux bus à Koror ont été offerts par le Japon en signe d’amitié.

Timothy Rull, un ancien garde forestier d’État de 68 ans (en 2024), aujourd’hui à la retraite et ayant vécu toute sa vie sur l’île méridionale de Peleliu, explique que son père gardait un souvenir affectueux des Japonais pour lesquels il travaillait.

« Il me disait toujours que les Japonais qu’il avait rencontrés étaient des gens aimables et qui ne nuisaient en rien aux populations locales, » se souvient-il. « Tout ce qu’ils voulaient, c’était créer des entreprises et gagner leur vie comme tout le monde. »

Il note que le mode de vie paisible de l’île avait été bouleversé lorsque la guerre est arrivée à Peleliu il y a environ 80 ans (en septembre 1944). Les Japonais avaient tout de même pris la précaution d’embarquer par bateau tous les civils vers le nord afin de les mettre à l’abri.

Les habitants de Palaos éprouvent une profonde gratitude envers le Japon pour l’aide apportée, notamment pour le financement de l’amélioration du système d’approvisionnement en eau de Koror.
Les habitants de Palaos éprouvent une profonde gratitude envers le Japon pour l’aide apportée, notamment pour le financement de l’amélioration du système d’approvisionnement en eau de Koror.

« Si la guerre n’avait pas eu lieu, je suppose que cette île ferait encore partie du Japon », dit Rull. « Mais suite aux combats, il ne restait que dévastation. Lorsque les insulaires sont revenus en 1946, ils ont dû repartir de zéro, et partout où ils creusaient, ils découvraient des couches de cendres noires d’environ 60 centimètres sous la surface, rendant la culture des plantations traditionnelles difficile : elles avaient toutes un goût amer… »

« Mais la guerre est terminée, et le gouvernement japonais a été fort généreux en nous octroyant des subventions et une aide pour nous aider à reconstruire. De surcroît, les touristes japonais apportent de l’argent à nos entreprises. C’est exactement ce dont nous avons besoin pour nous tourner vers l’avenir. »

Une aide cathartique

En avril 2015, l’empereur Akihito et l’impératrice Michiko (aujourd’hui retirés) ont commémoré le soixante-dixième anniversaire de la fin du conflit mondial en déposant des fleurs et en adressant des prières devant un mémorial sur l’île de Peleliu. Plus de 10 000 soldats japonais y avaient trouvé la mort en tentant de repousser l’invasion américaine. Une poignée d’entre eux avaient été faits prisonniers, tandis que 34 hommes s’étaient cachés dans la jungle dense jusqu’en avril 1947, ignorant que le Japon s’était rendu 20 mois plus tôt.

L’empereur Akihito et l’impératrice Michiko déposent des fleurs devant un cénotaphe à Peleliu, le 9 avril 2015, en hommage aux victimes des combats entre forces japonaises et américaines. (© Jiji)
L’empereur Akihito et l’impératrice Michiko déposent des fleurs devant un cénotaphe à Peleliu, le 9 avril 2015, en hommage aux victimes des combats entre forces japonaises et américaines. (© Jiji)

Quelques jours seulement après l’anniversaire du 15 septembre marquant le début de l’opération Stalemate II (nom donné à l’invasion de Peleliu en septembre 1944), Sunao Ichihara est de retour sur place comme bénévole afin de fouiller la jungle et les mangroves à la recherche des restes des soldats japonais tombés au combat.

Sunao Ichihara, colonel à la retraite de la Force aérienne d’autodéfense japonaise, était présent à Peleliu en septembre 2024 pour participer aux recherches des corps de soldats japonais tués lors des combats de 1944.
Sunao Ichihara, colonel à la retraite de la Force aérienne d’autodéfense japonaise, était présent à Peleliu en septembre 2024 pour participer aux recherches des corps de soldats japonais tués lors des combats de 1944.

Colonel retraité ayant servi pendant 38 ans dans la Force aérienne d’autodéfense, Ichihara, 76 ans (en 2024), explique avoir été inspiré à se lancer dans cette mission à la suite de la lecture d’un ouvrage écrit par un soldat japonais grièvement blessé lors des combats sur l’île voisine d’Angaur, et secouru par un soldat américain.

Les fouilles commencent dans une clairière de la jungle. On suppose qu’il s’y trouve une fosse commune avec les dépouilles de plus de 1 000 soldats japonais.
Les fouilles commencent dans une clairière de la jungle. On suppose qu’il s’y trouve une fosse commune avec les dépouilles de plus de 1 000 soldats japonais.

« Environ 10 000 soldats japonais sont morts à Peleliu. Chacun d’eux avait une famille qui s’est toujours demandée ce qu’il était advenu de leur fils, leur frère, leur mari », confie-t-il. « Je veux les aider à ramener leurs proches chez eux. »

Ichihara fait partie d’une équipe de l’Association japonaise pour la récupération et le rapatriement des victimes de guerre (JARRWC) mandatée par le ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales et ayant pour objectif de retrouver autant de dépouilles que possible des 1,12 million de soldats, marins et aviateurs encore portés disparus depuis la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs centaines d’entre eux reposeraient à Peleliu.

Dans une clairière située à l’est de la crête surnommée Bloody Nose Ridge, l’équipe de la JARRWC a creusé une série de tranchées. À moins d’un mètre sous la surface, les premiers restes apparaissent : un crâne, une colonne vertébrale et un bassin, rapidement suivis par des bras et des jambes.

Chaque élément est soigneusement répertorié et photographié avant que le travail d’extraction délicate des os dans la terre sableuse ne débute. Les restes seront rapatriés au Japon et, espérons-le, identifiés grâce à des techniques avancées d’analyse ADN, croisées avec les échantillons fournis par des membres de famille encore en vie.

Les archives américaines indiquent que 1 086 corps ont été inhumés dans une fosse commune sur l’île par les troupes américaines, alors même que les combats se poursuivaient à Peleliu. Malgré plusieurs années de recherche, son emplacement probable n’a été identifié qu’en 2023. Le squelette découvert lors de cette mission est le tout premier à être exhumé. Peu après, deux autres corps émergent du sol, et l’on pense que des dizaines d’autres reposent juste sous les pieds de l’équipe.

Obus datant des combats ayant eu lieu il y a près de 80 ans.
Obus datant des combats ayant eu lieu il y a près de 80 ans.

« Le frère de ma mère a été tué aux Philippines et ses restes n’ont jamais été rapatriés », raconte Ichihara. « Avant de mourir, ma mère nous disait toujours qu’elle aurait voulu se rendre là-bas pour voir l’endroit où il était tombé, mais elle n’a jamais pu le faire… Et je me dis que si j’étais né quelques années plus tôt, j’aurais presque certainement été pilote pendant cette guerre.

Les offrandes laissées en hommage aux soldats tombés au combat, sur le site présumé de la fosse commune.
Les offrandes laissées en hommage aux soldats tombés au combat, sur le site présumé de la fosse commune.

(Photo de titre : l’épave rouillée d’un char amphibie japonais de la Seconde Guerre mondiale, sur l’île principale des Palaos. Toutes les photos : © Julian Ryall, sauf mentions contraires)

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