Être clown, quelle liberté ! Rone et Gigi, un duo multi-récompensé
Art Divertissement Personnages- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Toujours en quête du rire
En duo depuis 34 ans, Rone et Gigi sont en parfaite harmonie, sur scène, comme dans la vie, ces deux Japonaises sont au même diapason. La plus grande satisfaction de leur métier est de « voir notre public rire et sourire », explique Gigi.
« Nous savons que certains d’entre eux traversent peut-être des moments difficiles, mais quand ils rient, ils ont l’air heureux, tous leurs soucis s’envolent », renchérit Rone.
« Sauf quand il nous arrive de jouer un spectacle entier dans un théâtre, les lieux où nous nous produisons ne sont en général pas très grands. Au début, les spectateurs ne se connaissent pas et l’ambiance peut être un peu tendue, explique Gigi. Mais à la fin de la représentation, l’atmosphère a complètement changé et c’est comme si nous étions en famille. Voilà pour moi, ce qu’il y a de mieux dans ce métier. »
Aujourd’hui, les rires commencent avant même que le rideau ne se lève. Armée d’un plumeau, Gigi s’affaire, elle porte un tablier et un bonnet de soubrette. Derrière le verres épais de ses lunettes, elle scrute tout autour d’elle, époussette le pied du micro, la scène et la boîte à accessoires stratégiquement placée là pour les numéros à venir.

Gigi mime avec énergie le nettoyage des vitres, pour la plus grande joie du public.
Elle enchaîne avec brio sur une saynète humoristique représentant un tendre moment avec un porte-manteau en smoking et chapeau melon. Puis nouveau changement de costume, elle enfile un gilet rayé rouge et blanc, met un canotier, avant d’être rejointe par son acolyte, Rone, qui entre en scène.

En début de spectacle, Gigi flirte avec un porte-manteau débonnaire.
Les numéros qui s’enchaînent sont parfaitement chorégraphiés, elles jonglent avec des massues et jouent avec une casserole. L’outrance de la gestuelle et des grimaces sont la marque de fabrique de générations de clowns. Le public est bien sûr mis à contribution, des spectateurs choisis au hasard sont conviés sur scène, on se déhanche, attrape des balles de jonglage ou essaye juste d’éviter de recevoir des coups de casserole.
Le spectacle est joyeux, plein de gags, de coups de pied au derrière et de chaos, de simples foulards en soie se transforment en bouquet de couleur grâce à d’habiles tours de passe-passe et les spectateurs sont récompensés pour leur participation par des couronnes en ballons.
La complicité des deux artistes est évidente. Ce spectacle est le fruit de décennies de pratique, l’aboutissement d’un très beau travail d’équipe et de la volonté de se mettre mutuellement en valeur.

Le duo montre ses talents de jongleur.
Un duo de renommée internationale
Rone et Gigi se sont associées en 1990, elles sortaient toutes les deux de la formation du Ringling Bros. and Barnum & Bailey Clown College Japan. Difficile d’entrer dans ce qui est considéré comme l’une des meilleures écoles de cirque au monde, les places sont chères et les auditions ardues, chaque promotion ne compte que 10 élèves. La maison mère aux États-Unis a formé 1 400 clowns au « style Ringling » entre sa création en 1968 et sa fermeture en 1997.
Elles ont une grande expérience de la scène. Le père de Rone était un acteur de kabuki formé au style shingeki (Nouveau théâtre), elles avouent avoir envisagé de retourner au théâtre une fois terminée leur formation de clown. Mais quand elles ont compris à quel point elles étaient complémentaires, elles ont opté pour cette carrière, séduites par ce un métier si divertissant, qui laisse tant de liberté et prend si bien soin des autres. Elles ont alors créé la Japan Theater Clown Company Open Sesame, Gigi assurant la direction artistique et Rone la direction commerciale.

Les balles bougent presque trop vite pour être suivies des yeux. Beau travail d’équipe, le duo fait preuve d’une aisance déconcertante.
Afin de parfaire leur formation, Rone et Gigi partent à Moscou en 1991 pour apprendre l’art du clown russe. L’époque est politiquement difficile et elles ne parlaient pas un mot de russe, mais elles gardent un excellent souvenir de ce voyage, même si elles se souviennent avoir dû faire la queue pour acheter ne serait-ce que du pain. Inspirées par Mimicrech, une troupe ukrainienne de six artistes, elles décident de partir l’année suivante à Kiev, où elles suivent des cours dans l’actuel Cirque national d’Ukraine. Elles résident ensuite quelque temps en Grande-Bretagne, où elles se perfectionnent sous l’œil attentif de la célèbre clown et mime Nola Rae, et donnent des spectacles pour financer leur formation.
En 1997, elles partent étudier l’art du clown à l’université du Wisconsin, puis restent y travailler comme instructrices pendant 13 ans. Rone et Gigi ont également participé à des programmes de Clown Camp aux États-Unis, en Angleterre, en Écosse, en Corée du Sud, en Malaisie et à Singapour, où elles ont participé au festival Clown Around the World en 2004. Elles ont même pu jouer devant S. R. Nathan, le président de Singapour et étaient en tête d’affiche du Festival mondial du clown de Nagoya en 2005.
Leurs prestations sont saluées de longue date par la communauté des clowns. Le duo a été couronné « Meilleurs clowns » au Clowns International de 2002, elles sont arrivées deuxième au Festival international des clowns de Monte-Carlo en 2003 et ont remporté les prix « Meilleurs clowns » et « Choix du public » au Comedifest d’Angel Ocasio de 2004.

Leur spectacle se termine en général par un petit vaudeville comique.
Une source de créativité
L’esprit creatif de Gigi a donné jour à toute une série de personnages. Au cours du spectacle on rencontre un vieil obèse appelé Zsa Zsa (ce qui signifie « grand-père » en russe), deux lutins chauves à grandes oreilles, mais aussi des enfants, qu’elles incarnent en jouant à genoux dans petites chaussures et en arpentant la scène. Gigi fabrique elle-même ses costumes qu’elle rembourre pour paraître énorme.

Leur numéro « Grandes Zoreilles » est particulièrement apprécié du jeune public. (© JTCC Open Sesame, Rone & Gigi)
Être clown, quelle liberté !
Pourquoi ont-elles eu envie de devenir clowns, c’est justement parce qu’au Japon, cet art n’existe pas. En japonais on peut parler de piero, ce terme sert à désigner le personnage du « pierrot » de la commedia dell’ arte italienne de la fin du XVIIe siècle. On utilise aussi daidôgei pour parler d’« artiste de rue », mais Rone et Gigi soulignent que ni l’un ni l’autre ne conviennent réellement.
« Au Japon, il n’y a pas de clown, cette tradition n’existe pas. Chaque fois que nous voyageons aux États-Unis, en Europe ou même ailleurs en Asie, les gens sont surpris d’apprendre ça, explique Rone. Pourquoi vouloir devenir clown ? Justement parce qu’il n’y en a pas ici. J’adore Charlie Chaplin. Pour les Japonais, son jeu est très facile à comprendre. Quand je pense à un clown, je pense à Chaplin.

Il y a également des tours de magie dans leur spectacle.
Rone dit « être à l’aise » dans son costume de clown, car elle est plus libre que dans d’autres arts japonais ou techniques plus académiques. Les clowns mettent en lumière le côté positif de situations négatives et les transforment en rires. Contrairement à d’autres arts, pas de sanction chez les clowns. Et à la différence des arts martiaux japonais, de la musique, de l’art floral ou du théâtre traditionnel qui obéissent à des règles strictes et des codes précis, « les clowns sont libres ».
Mais, la vie d’un clown n’est pas toujours faite de rires et de sourires, la profession est peu rémunératrice et la concurrence est rude avec d’autres formes de divertissement. Comme les clowns sont relativement peu connus au Japon, les opportunités restent limitées. Rone se souvient qu’au début de leur duo, le bouche-à-oreille leur à permis de se produire régulièrement dans des centres commerciaux et pour des festivals, mais elles préféraient la scène, même si elles ont de moins en moins l’occasion de se produire dans des théâtres.
Gigi est le cerveau créatif des spectacles. Elle dit que tout ce qu’elle voit peut l’inspirer. « Je peux être émue par un livre ou par un article et ressentir le besoin de faire passer un message par un spectacle, explique-t-elle. Quand des images et des idées envahissent mon esprit, je ne pense plus qu’à créer. »
Que l’art du clown infuse au Japon et rayonne !
Après plus de 30 ans passés à divertir des spectateurs, Rone et Gigi souhaitent aujourd’hui se faire les passeurs de leur art et former les nouvelles générations. Il y a 30 ans, elles ont ouvert au Japon une école appelée Open Sesame Clown School. Les élèves se réunissent une fois par semaine pour s’entraîner, et l’un d’entre eux, aujourd’hui âgé de 79 ans, est présent depuis la création de l’école.
« Jeunes et moins jeunes, professionnels ou amateurs, nous enseignons notre art à tous ceux que ce métier intéresse en espérant susciter de nombreuses vocations. Ils sont l’avenir », soulignent Rone et Gigi.

Avec leur duo de clowns, Rone (à gauche) et Gigi font sourire le public depuis 34 ans.
(Photo de titre : le duo de clowns en action. © Rone et Gigi/Open Sesame. Toutes les photos : © Benjamin Parks, sauf mentions contraires)