Les écoles de langue japonaise : une réforme urgente pour améliorer leur qualité
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Le nouveau système d’homologation des écoles de JLE
Si en mars 2023, le gouvernement s’était fixé le but d’accueillir dans les dix prochaines années 400 000 étudiants étrangers au Japon, il se trouve qu’à la fin de l’année dernière, ce nombre avait déjà été atteint. Celui-ci comprend les étudiants étrangers inscrits dans des universités et instituts de formation supérieure, ainsi que les inscrits dans des écoles de JLE qui souhaitent ensuite trouver du travail au Japon. Selon les plus récents chiffres disponibles qui datent de mai 2023, ils seraient plus de 90 000, un record, et le pays compte 870 écoles de JLE agréées par le ministère de la Justice, deux fois plus que dix ans auparavant.
On a souvent affirmé qu’il y a parmi les élèves de ces écoles de nombreux « faux étudiants » venus au Japon pour travailler avec des statuts précaires. Il est indéniable que de nombreuses établissements laissent à désirer tant pour le contrôle de la présence effective des inscrits tant que pour la manière inadéquate dont ils les sélectionnent. Selon un rapport du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (MEXT), certaines de ces écoles emploient du « personnel insuffisamment qualifié pour enseigner le japonais, ne possédant ni les connaissances nécessaires ni les techniques pédagogiques », ou encore « elles acceptent un grand nombre d’étudiants étrangers dans des locaux inappropriés et mal équipés ».
C’est sur le fond de cette prise de conscience du problème qu’est entrée en vigueur en avril 2024 la loi d’homologation des instituts d’enseignement du JLE. La supervision de cet enseignement est passée de l’Agence pour les affaires culturelles au MEXT, et l’examen des demandes d’agrément, jusque-là confié au ministère de la Justice, lui a aussi été transféré. Cet examen porte sur des conditions détaillées : organisation de cursus appropriés aux objectifs des apprenants, qu’ils veuillent trouver ou faire des études universitaires, nombre d’élèves par enseignants et qualifications requises de ceux-ci, locaux et équipements, bases financières de gestion des écoles, pertinence du montant de la commission payée à l’intermédiaire intervenant dans le recrutement des élèves, compréhension du JLE, et connaissances en gestion et statut social des dirigeant des écoles.
Les écoles agréées suivant le système antérieur ne pourront pas continuer à accepter d’élèves si elles n’obtiennent pas la nouvelle homologation d’ici à mars 2029. À la fin de mars 2025, 41 des 120 écoles (nouvelles créations incluses) qui se sont lancées dans la procédure d’homologation l’avaient obtenue.
Enfin, les personnes enseignant le JLE dans les écoles homologuées doivent désormais avoir obtenu la qualification d’ « enseignants certifiés en JLE », un nouveau diplôme d’État. Jusqu’à présent, il s’agissait d’une qualification privée, accordée aux personnes ayant étudié quatre ans dans une université et ayant suivi un cours de formation à l’enseignement du JLE, ou à celles ayant réussi « l’examen de compétence en enseignement du japonais », et aussi à celles ayant suivi une formation à l’enseignement du JLE dans un cadre universitaire. Quelques 11 000 des 18 000 candidats qui se sont présentés au premier examen, en novembre 2024, de ce diplôme d’État l’ont obtenu.
Une augmentation du nombre d’apprenants étrangers recherchée par le gouvernement
Les premières mesures en faveur des étudiants étrangers remontent à 1983, lorsque Nakasone Yasuhiro, alors Premier ministre, a lancé le « plan accueillir 100 000 étudiants étrangers ». Environ 10 000 étrangers étudiaient alors dans le pays. Ce plan visait à renforcer la présence japonaise sur la scène internationale en augmentant le nombre de spécialistes du Japon et en contribuant à la formation de ressortissants de pays en voie de développement.
Dans ce but, le gouvernement a simplifié les démarches pour obtenir un visa, et a levé certaines restrictions concernant la possibilité de travailler pour les étudiants afin de leur permettre de gagner leur vie, afin d’attirer des étudiants finançant leurs études. Il a aussi œuvré à promouvoir l’enseignement du JLE. Cela a abouti au foisonnement incontrôlé d’écoles de JLE à but lucratif qui acceptaient des élèves qui avaient pour but de travailler au Japon. Le pays connaissait une bulle économique et cherchait à remédier à la pénurie de main d'œuvre qui l’accompagnait. C’est à partir de cette période que le nombre de faux étudiants étrangers a commencé à augmenter.
Au début des années 1990, le gouvernement a pris diverses mesures : il a introduit un système d’agrément des écoles de JLE et a mis en place des dispositifs pour rendre plus rigoureux l’examen des demandes de visa d’étudiant. Le nombre d’étudiants étrangers baissa considérablement, et des écoles de JLE furent contraintes de fermer leurs portes. En 2003, soit vingt ans après le début du « plan 100 000 étudiants », l’objectif était atteint. 70 000 d’entre eux étaient de nationalité chinoise. Aujourd’hui encore, c’est la première nationalité parmi les étudiants étrangers.
Avec le projet « Accueillir 300 000 étudiants étrangers » adopté par le gouvernement en 2008, dans le cadre de sa stratégie destinée à attirer des ressources humaines de qualité dans un Japon frappé par le déclin démographique, il y eut une nouvelle augmentation du nombre d’écoles de JLE . Les critères pour accorder les visas d’étudiant furent assouplis, et l’on recommença à percevoir comme un problème les faux étudiants qui venaient au Japon dans le but d’y travailler.
L’entrée des capitaux chinois
Afin de garantir un environnement d’apprentissage stable et ininterrompu, depuis les années 1990, les écoles de JLE ne peuvent obtenir en principe l’agrément que si elles sont propriétaires et non locataires de leurs locaux.
Ce critère a pu conduire des dirigeants d’écoles de JLE à les vendre. Un ancien cadre d’un de ces établissements, qui a bien connu la situation de cette période, explique que c’est le contexte dans lequel des investisseurs chinois ont acheté des écoles. Le critère de propriété des locaux alourdissait en effet le fardeau financier des dirigeants d’écoles de JLE. La même source ajoute cependant qu’il se peut que cet état de fait soit au contraire devenu une opportunité commerciale pour les investisseurs chinois qui maîtrisent l’investissement immobilier.
Notre enquête nous a fait comprendre que les écoles de JLE appartiennent souvent à des investisseurs étrangers, notamment chinois ou coréens. Il semble que des ressortissants de ces deux pays venus au Japon sous les auspices du plan « accueillir 100 000 étudiants étrangers » se sont ensuite lancés dans la gestion d’écoles de JLE. Si les investisseurs chinois sont particulièrement nombreux dans ce secteur, c’est probablement aussi parce que les étudiants chinois sont les plus nombreux parmi les apprenants.
Enfin, un nombre croissant d’écoles de JLE sont incapables de répondre aux changements de tendance de ces dernières années, comme la plus grande diversité de la nationalité des étudiants étrangers, ou encore le besoin d’accès à l’enseignement supérieur des étudiants chinois. Selon certains, cela crée une situation favorable aux nouvelles acquisitions par des capitaux chinois. Étant donné que le ministère de la Justice ignore le nombre d’écoles contrôlées par des capitaux étrangers, on ne sait pas combien appartiennent à des investisseurs chinois. L’ex-cadre d’une école de JLE que nous avons déjà cité estime que près d’un tiers des écoles ayant obtenu l’agrément sous l’ancien système est sans doute contrôlé aujourd’hui par des capitaux chinois, tout en soulignant que ce n’est qu’une conjecture.
Les commissions payées aux intermédiaires chargés de recruter des élèves constituent un autre obstacle pour les dirigeants d’écoles de JLE. Un consultant en ressources humaines étrangères explique que recruter des étudiants chinois est devenu difficile depuis le Grand tremblement de terre de l’est du Japon en 2011, et les manifestations anti-japonaises de l’année suivante autour de la nationalisation de l’archipel des Senkaku. La commission des intermédiaires locaux dépasse aujourd’hui 20 % du coût de la formation en JLE.
Le recrutement des étudiants des écoles de JLE se fait habituellement grâce à des coopérations avec des établissement locaux d’enseignement ou des intermédiaires dans les divers pays étrangers. Dans le second cas, la commission à payer à l’intermédiaire pèse sur la gestion des écoles et les affaiblit. Les écoles qui veulent recruter des étudiants brillants doivent effectuer des visites sur place ou même envoyer des employés s’installer dans le pays.
À propos des difficultés à recruter des étudiants étrangers, Tanaka Hiroshi, professeur honoraire à l’université Daitô Bunka, qui a beaucoup travaillé dans le domaine de l’enseignement du JLE, estime qu’un certain nombre d’universités japonaises, dont la sienne, avaient créé des bases dans de grandes villes étrangères en y postant des employés japonais, afin d’attirer des étudiants étrangers, mais il n’en reste que très peu aujourd’hui, car cette pratique s’est avérée peu efficace.
Les écoles japonaises de JLE appartenant à des capitaux étrangers peuvent utiliser les réseaux qu’elles ont dans le pays d’origine, et elles n’ont pas besoin de poster des employés sur place. De plus, elles ne sont pas confrontées à la difficulté de ne pas parler la même langue que les intermédiaires. Leur situation économique est donc plus favorable en termes de recrutement d’étudiants.
Les enseignants de JLE fraîchement traités
Enseigner le JLE ne permet pas de vivre, se dit-il. Les enseignants d’une école de JLE de Tokyo, connue pour la qualité de son enseignement, que nous avons rencontrés dans le cadre de notre enquête, nous ont dit être surchargés de travail, par les heures de cours et leurs autres tâches d’enseignement. Ils veillent à l’amélioration de celui-ci tout en gérant les retards et les absences de leurs élèves, qu’ils suivent très attentivement. Ils s’assurent par exemple de leur bonne compréhension des cours par les devoirs qu’ils donnent. Leur travail est motivant mais ils ne sont pas satisfaits de leur salaire par heure de cours, et c’est pour eux un facteur d’inquiétude.
Un enseignant d’une autre école de JLE, située elle aussi à Tokyo, mais appartenant à des capitaux chinois, nous a confié qu’il gagnait davantage par cours que dans un établissement qui aurait un propriétaire japonais. Il a ajouté que sa charge de travail était moindre, étant donné que l’école n’attend pas de sa part des suggestions sur le contenu ou la forme de l’enseignement. Il n’est pas satisfait de la manière de traiter les étudiants ou de l’hygiène au sein de l’école mais il a reconnu qu’il fermait les yeux à ce sujet.
L’enquête que j’ai menée indique qu’à Tokyo, pour une heure de cours, un enseignant de JLE reçoit en moyenne 1 800 yens (11 euros), mais lorsque l’école de JLE appartient à des capitaux chinois, ce montant se situerait entre 2 000 et 3 000 mille yens.
« Plus une école de JLE est sérieuse et attentive aux détails, plus cela lui reviendra cher. Une partie des écoles à capitaux chinois réussissent à survivre dans ce secteur parce qu’elles peuvent réduire considérablement ces coûts » remarque un bon connaisseur des cultures d’entreprise japonaise et chinoise, qui a fait carrière dans une grande société chinoise de commerce et s’intéresse au secteur de l’enseignement du JLE.
Faire une priorité de l’efficacité ne résulterait-il pas en un enseignement et un suivi quotidien des apprenants peu attentifs à leurs besoins ? C’est un indéniable sujet de préoccupation.
Le gauchissement de l’enseignement du JLE
Le gouvernement a jusqu’à présent centré les mesures qu’il a prises pour attirer plus d’étudiants étrangers au Japon sur les écoles de JLE, tout en prenant un retard certain pour ce qui est de veiller à l’enseignement lui-même. Si l’on veut se débarrasser des faux étudiants et véritablement améliorer la qualité de l’enseignement, le vrai test sera le nombre d’écoles véreuses fermées en conséquence de l’application de la loi d’homologation des établissements d’enseignement du JLE.
Cela ne pourra pourtant pas tout résoudre. Le MEXT a relevé la norme en matière du nombre d’élèves par enseignant dans ce secteur, le faisant passer d’un enseignant pour 60 élèves, à un pour quarante. Si l’on veut se garantir un nombre suffisant d’enseignants dans un contexte où la demande dans le secteur du JLE augmente, une amélioration de leurs conditions de travail, avec des emplois et des salaires stables, est indispensable. La majorité des enseignants de JLE sont aujourd’hui un statut précaire. Même avec l’instauration d’un diplôme d’État d’enseignant de JLE, on ne parviendra pas à attirer des jeunes diplômés dans ce secteur si ces conditions ne changent pas.
Selon certains, ces enseignants sont mal payés parce que le coût du recrutement des étudiants étrangers, notamment à cause des commissions payées aux intermédiaires, est tel que les écoles réduisent autant qu’elles le peuvent leurs salaires. La loi relative à l’homologation des écoles de JLE demande que ces commissions ne soient pas excessives, sans pour autant fournir de critères précis à ce sujet.
Tout en affichant l’objectif d’augmenter le nombre d’étudiants étrangers au Japon, le gouvernement n’a pas décidé d’accorder des subventions aux écoles de JLE. Elles ont du mal à être rentable uniquement avec les frais de scolarité payés par les élèves, et elles sont affectées par le coût des commissions qu’elles doivent payer aux intermédiaires comme par des événements imprévisibles du type de la pandémie.
Le MEXT a pour objectif d’établir un mécanisme encourageant les entreprises privées, les collectivités locales, ou les universités, à investir dans ces écoles de JLE homologuées. Cette collaboration avec les entreprises privées et les collectivités locales permettra de renforcer les fondements économiques affaiblis des écoles de JLE et d’améliorer les salaires des enseignants spécialisés. Le secteur industriel se sert de mécanismes comme le programme Ikusei shûrô (emploi de développement professionnel), ou le Tokutei ginô (travailleur qualifié spécifié) pour répondre au problème d’insuffisance de main d'œuvre. N’est-ce pas en mettant en place cet environnement que l’on parviendra à former des spécialistes du Japon et des ressources humaines non-japonaises ?
(Photo de titre : Pixta)