La diversité ethnique méconnue du Japon

Société

Le sociologue Shimoji Lawrence Yoshitaka évoque la diversité souvent négligée au sein de la population japonaise, incluant les personnes ayant des racines à l’étranger et les groupes autochtones tels que les Aïnous et les Okinawaïens natifs.

Shimoji Lawrence Yoshitaka SHIMOJI Lawrence Yoshitaka

Né en 1987. Il obtient un doctorat de la faculté de sciences sociales de l’Université Hitotsubashi. Sa spécialité est la sociologie et les études sociales internationales. Il travaille actuellement en tant que coordinateur au Centre pour l'égalité hommes-femmes de l'arrondissement de Minato (Tokyo). Parmi ses ouvrages publiés : Konketsu to Nihonjin : hâfu, daburu, mikkusu no shakaishi (« Métis et Japonais – Histoire sociale des hâfu, daburu et mikkusu », Seidosha, 2018). Il gère le site Internet de partage d'informations « HAFU TALK » pour les Japonais métis et personnes d’origines étrangères.

Le mythe de l’homogénéité ethnique

Shimoji Lawrence Yoshitaka se souvient très bien de la première fois où il a pris conscience d’appartenir peut-être à une « minorité » au sein de la société japonaise. Il était alors étudiant à l’université et assistait à un cours sur la diversité et le multiculturalisme.

« L’un des intervenants avait un père japonais et une mère philippine. La conférence portait sur les différents groupes minoritaires vivant au Japon, avec des statuts de résidence variés et des origines diverses, comme les Japonais-brésiliens et d’autres communautés venues d’Amérique du Sud, ainsi que les Coréens (appelés Zainichi). L’orateur a aussi évoqué les enfants amérasiens nés de mères japonaises et de pères appartenant aux forces armées américaines, soulignant qu’ils étaient particulièrement nombreux à Okinawa. »

La mère de Shimoji faisait partie de ces enfants amérasiens : elle était née en 1950 d’une mère locale et d’un soldat des forces armées américaines stationné à Okinawa. Son grand-père américain avait été affecté à une autre unité et retourna aux États-Unis pendant la grossesse de sa grand-mère. Il a plus tard épousé une Américaine avant de mourir en 1995. La mère de Shimoji n’a jamais rencontré son père.

« Jusqu’alors, même si je me décrivais comme “un quart américain”, ou que je disais que ma mère était “à moitié japonaise”, je ne m’étais jamais vraiment perçu comme appartenant à une minorité. Mais le mot amérasien m’a soudain donné le sentiment d’avoir été placé dans une catégorie distincte des autres “Japonais”. Cela a provoqué une sorte de crise d’identité. »

Cette expérience a conduit Shimoji à centrer ses recherches sur la vie et l’expérience de ceux qu’on appelle les hâfu (de l’anglais « halfs ») et d’autres personnes métisses au Japon, à mesure qu’il en venait lui-même à ressentir un sentiment d’appartenance à une minorité. Il a été surpris de découvrir qu’il existait très peu d’études sur le sujet.

« Une part importante de la raison, je pense, tient à la perception largement répandue du Japon comme un État-nation mono-ethnique. En réalité, les citoyens japonais comprennent des personnes ayant des racines en Corée, en Chine et dans d’autres pays, ainsi que des groupes autochtones tels que les Aïnous et les Okinawaïens. Mais comme l’identité ethnique n’est pas enregistrée dans les statistiques officielles, elle tend à demeurer invisible. Cela rend difficile la recherche sur la vie des Japonais dits hâfu ou métis. »

Au printemps 2024, Shimoji a collaboré avec Viveka Ichikawa, doctorante à l’Université de Toronto, à une enquête portant sur la discrimination et les problèmes de santé mentale parmi les personnes d’origine mixte au Japon. Sur environ 450 répondants, 98 % ont déclaré avoir subi des micro-agressions (préjugés et comportements discriminatoires inconscients) dans la vie quotidienne, tandis que 68 % avaient été victimes d’intimidation ou de discrimination à l’école ou ailleurs.

En utilisant le même questionnaire que celui du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales sur la santé mentale, ils ont constaté que la proportion de personnes nécessitant une prise en charge ou une surveillance médicale était plus de cinq fois supérieure à la moyenne nationale. L’enquête a mis en lumière l’insuffisance des dispositifs de soutien pour les minorités du Japon.

Des promesses qui sonnent creux

Bien que le gouvernement se soit publiquement engagé ces dernières années à promouvoir la diversité et les relations interculturelles positives, Shimoji reste sceptique quant à la sincérité de ces efforts, qu’il juge dépourvus de substance.

Shimoji Lawrence Yoshitaka parle des Japonais métis lors d’une interview en ligne.
Shimoji Lawrence Yoshitaka parle des Japonais métis lors d’une interview en ligne.

« Le gouvernement n’utilise les personnes hâfu ou métisses que lorsqu’elles servent ses intérêts. Les Jeux olympiques de Tokyo en 2021 en ont été un exemple parfait. Ils ont mis en avant des athlètes internationalement connus comme la joueuse de tennis Ôsaka Naomi, qui a allumé la vasque olympique, et le basketteur Hachimura Rui, l’un des porte-drapeaux à la cérémonie d’ouverture. Ils voulaient afficher leur engagement envers la diversité et l’inclusion.

Mais en même temps, le gouvernement ne fait rien pour étudier la situation réelle des personnes aux origines multiples, et ne montre aucune prise de conscience du problème de la discrimination. Même si le Japon est signataire de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, il n’a pris aucune mesure pour créer une autorité des droits humains ni pour adopter une législation globale interdisant la discrimination raciale. Les écoles n’enseignent presque rien sur les droits humains. En conséquence, les jeunes sont facilement influencés par des messages simplistes et vulnérables au populisme. »

Shimoji souligne que la vie est devenue encore plus difficile pour les personnes ayant des racines internationales depuis les élections de juillet à la Chambre des conseillers, au cours desquelles le parti Sanseitô a réalisé des scores importants en menant une campagne promettant de placer « les Japonais d’abord ».

« Remarquez que le slogan n’est pas “Japan First”, mais “Japanese First”. C’est une formule d’exclusion, raciste, fondée sur l’idée d’un peuple japonais pur, distinct des étrangers. C’est une mentalité du « nous contre eux », enracinée dans le racisme.

Ce qui m’inquiète, c’est de voir comment le slogan “Japanese First” s’infiltre dans la vie quotidienne comme une simple expression à la mode. J’ai entendu dire que des enfants le répétaient déjà. Plus que jamais, nous avons besoin d’un langage qui rende visible la diversité du Japon et incite les gens à la valoriser davantage. »

Les Okinawaïens comme groupe ethnique autochtone

Après avoir longtemps vécu à Tokyo et étudié trois ans aux États-Unis à partir de 2021, Shimoji s’est installé à Okinawa en août 2024 pour explorer plus en profondeur ses racines. Il consacre désormais beaucoup de temps à réfléchir aux Okinawaïens en tant que groupe autochtone distinct. En 2019, le gouvernement a enfin reconnu le statut autochtone des Aïnous, mais n’a pas encore étendu cette reconnaissance aux îles du Sud.

« Ishihara Mai, professeure associée à l’Université de Hokkaidô, dont les recherches portent sur le peuple aïnou et sa culture, se décrit elle-même comme un mélange d’ethnicités aïnoue et wajin (japonaise). J’ai toujours pensé être un quart caucasien. Mais après un test ADN, j’ai découvert qu’environ 20 % de mon ascendance était “blanche”, tandis que le Japon et les “îles japonaises du Sud”, c’est-à-dire Okinawa, comptaient chacun pour environ 40 %. Je me vois désormais comme une personne d’ascendance mixte, avec des racines dans un groupe ethnique autochtone. »

Résultats du test ADN de Shimoji Lawrence Yoshitaka effectué par le site Ancestry.
Résultats du test ADN de Shimoji Lawrence Yoshitaka effectué par le site Ancestry.

Selon Shimoji, bien que les habitants d’Okinawa s’identifient fortement comme Uchinanchu (Okinawaïens), les discussions autour d’une identité ethnique autochtone restent limitées. « J’ai le sentiment que la vision du gouvernement sur Okinawa a été largement intériorisée par la société locale. »

Il a récemment été choqué par une information concernant le lycée Okinawa Shôgaku, vainqueur du prestigieux tournoi de baseball d’été de Kôshien 2025. Lors de la demi-finale, des supporters vêtus de costumes de Chondara et maquillés comme les personnages comiques du théâtre traditionnel d’Okinawa étaient venus apporter une note colorée dans les tribunes. La Fédération japonaise de baseball lycéen aurait alors demandé aux supporters de s’abstenir de porter des « costumes ethniques », et lors de la finale, ces démonstrations d’enthousiasme typiquement okinawaïennes avaient disparu.

« Pensez au rugby, où les All Blacks exécutent le haka, une danse de guerre maorie d’origine autochtone. Si la Fédération japonaise de rugby tentait d’interdire le haka, ce serait un scandale international. Mais au Japon, où les Okinawaïens ne bénéficient d’aucune reconnaissance officielle en tant que peuple autochtone, l’incident est passé presque inaperçu, malgré la couverture médiatique massive du tournoi tout l’été.

Cet épisode m’a rappelé la volonté persistante d’effacer l’identité autochtone d’Okinawa. Le royaume des Ryûkyû était autrefois un État indépendant. Aujourd’hui, Okinawa abrite une proportion disproportionnée de bases américaines, et les préoccupations liées à la sécurité nationale rendent le gouvernement extrêmement méfiant envers toute revendication d’indépendance. C’est comme si une forme d’assimilation coloniale se poursuivait encore aujourd’hui. »

Une nouvelle génération d’écrivains et d’artistes

L’objectif de Shimoji est de briser la vision étroite qui associe la « japonité » à une personne à l’apparence « typiquement japonaise », née de parents ethniquement japonais et se comportant de manière conventionnellement « japonaise ». Tout en poursuivant sa mission, il dit trouver de l’espoir dans la capacité croissante d’une jeune génération de minorités à faire entendre leur voix.

« Dans les années 1990 et 2000, de nombreux métis sont devenus célèbres comme athlètes, personnalités médiatiques ou mannequins, souvent mis en avant pour leur apparence qualifiée d’exotique ou pour leurs aptitudes physiques. Aujourd’hui, on voit de plus en plus de jeunes issus de milieux divers s’affirmer dans des domaines variés. »

Une génération montante de créateurs ayant des racines hors du Japon commence à se faire remarquer. Des écrivains comme Andô Jose, qui a débuté avec Jackson Alone et remporté le prix Akutagawa pour Dtopia, et Fujimi Yoiko, dont le manga Hanbun kyôdai (« Half is More ») dépeint le quotidien des métis au Japon, attirent l’attention et les éloges.

Andô Jose (à gauche) après avoir remporté le prix Akutagawa en janvier 2025 (Jiji), et le premier volume du manga de Fujimi Yoiko, Hanbun kyôdai. (© Fujimi Yoiko/Torch Web)
Andô Jose (à gauche) après avoir remporté le prix Akutagawa en janvier 2025 (Jiji), et le premier volume du manga de Fujimi Yoiko, Hanbun kyôdai. (© Fujimi Yoiko/Torch Web)

« De jeunes créateurs issus d’horizons divers prennent l’initiative de s’exprimer dans leurs propres genres, en s’appuyant sur leurs expériences vécues », explique Shimoji. « C’est encourageant de les voir tisser des liens à travers des dialogues et des collaborations. À mesure que davantage de personnes s’intéressent à leurs œuvres, une meilleure prise de conscience de la diversité cachée de notre société pourrait bien se faire. »

(Texte et interview de Shimoji Lawrence par Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : Pixta)

société diversité