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La naissance d’un prestigieux bâtiment franco-japonais : la filature de soie de Tomioka, inscrite au patrimoine mondial

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La filature de soie de Tomioka est née pour ainsi dire grâce aux esprits français et japonais. Elle a été la première grande fabrique de soie du Japon à adopter les méthodes de fabrication et le style occidental. Ainsi, de sa conceptualisation initiale en 1870 à son exploitation et à sa conservation, elle offre une perspective fascinante sur l’histoire de la modernisation du Japon et un hommage au courageux labeur des femmes de l’époque. La filature est inscrite au patrimoine mondial de l’humanité depuis 2014.

Conception française et matériaux locaux

À première vue, la filature de soie de Tomioka semble constituer un groupe de bâtisses en briques rouges de style européen. Et pourtant, les toits sont recouverts de tuiles japonaises traditionnelles et les briques ont été posées avec du plâtre japonais shikkui, et non avec du mortier. Les bâtiments ont été conçus par un architecte français mais construits par des ouvriers et des charpentiers japonais, utilisant des matériaux et des technologies locales.

Le toit de tuiles de l'entrepôt des cocons Est, vu du deuxième étage du dortoir pour les instructeurs français.
Le toit de tuiles de l’entrepôt des cocons Est, vu du deuxième étage du dortoir pour les instructeurs français.

Le sommet du toit de l'usine de dévidage de soie est orné d'une décoration en tuiles représentant le soleil se levant au-dessus des vagues.
Le sommet du toit de l’usine de dévidage de soie est orné d’une décoration en tuile représentant le soleil se levant au-dessus des vagues.

Un projet national prioritaire

Lorsque le Japon a ouvert ses portes au reste du monde, à la fin de l’époque d’Edo (fin du XIXe siècle), la soie brute était son principal produit d’exportation. La demande a grimpé en flèche, mais la mauvaise qualité d’une grande partie de ce matériau a déclenché de nombreuses plaintes de la part des pays importateurs. Désireux de se constituer des réserves de devises étrangères, le nouveau gouvernement de Meiji fit de l’amélioration des processus de production et de la qualité de la soie japonaise un projet national prioritaire. Dans cette optique, en février 1870, il fut décidé de construire une usine modèle, appartenant au gouvernement, et équipée de machines de dévidage de soie à l’occidentale.

Le projet était supervisé par Shibusawa Eiichi, à l’époque bureaucrate au ministère des Finances. Shibusawa est issu d’un milieu aisé dans un endroit aujourd’hui associé à la ville de Fukaya, dans la préfecture de Saitama. Sa famille était engagée dans la sériciculture, et sa connaissance de l’industrie de la fabrication de la soie brute, ainsi que son expérience de voyage en Europe, ont fait de lui la personne idéale pour diriger le projet gouvernemental.

Le Français Paul Brunat, inspecteur dans une entreprise de négoce de soie à Yokohama, est embauché pour se charger de la direction technique, et Odaka Junchû, cousin de Shibusawa et bureaucrate au ministère des Affaires civiles, s’est joint à Brunat pour sélectionner un site de fabrication. Odaka deviendra plus tard le premier directeur de l’usine.

Paul Brunat portant une veste blanche, au dernier rang, en deuxième position à droite. (Photo avec l’aimable autorisation de la filature de soie de Tomioka)
Paul Brunat portant une veste blanche, au dernier rang, en deuxième position à droite. (Photo avec l’aimable autorisation de la filature de soie de Tomioka)

La résidence du directeur, construite pour Brunat, est aussi connue sous le nom de Maison Brunat.
La résidence du directeur, construite pour Brunat, est aussi connue sous le nom de Maison Brunat.

Shibusawa a commencé à participer aux affaires de famille dès la fin de son adolescence, voyageant de la préfecture de Saitama jusqu’à Gunma, et même à Nagano, afin d’acheter des boules d’indigo pour la teinture. Odaka accompagnait souvent Shibusawa lors de ces voyages, et sa familiarité avec la région s’est révélée utile plus tard afin de choisir un site de fabrication pour l’usine du gouvernement. La sériciculture était déjà une industrie importante à Tomioka, et la proximité des mines de charbon de Takasaki constituait une source de combustible idéale pour la filature.

Monument du patrimoine mondial dans la cour arrière de la maison Brunat. Au-delà de la clôture se trouve la rivière Kabura, la source d'eau nécessaire au fonctionnement du moulin.
Monument du patrimoine mondial dans la cour arrière de la maison Brunat. Au-delà de la clôture se trouve la rivière Kabura, la source d’eau nécessaire au fonctionnement de l’usine.

Une construction qui a une grande influence

Le nouvelle filature de soie a été conçue par Edmond Auguste Bastien, qui venait tout juste de travailler à la construction de la forge de Yokosuka. Il a appliqué la même méthode de construction que celle utilisée pour les forges, avec une charpente en bois sur laquelle sont posées des briques. Cela lui aurait permis de terminer ses plans pour la construction du bâtiment en seulement 50 jours.

Il s’est révélé difficile d’obtenir les matériaux de construction nécessaires. Les vitres et les charnières étaient importées de France, mais les briques et le plâtre ont dû être achetés localement.

Odaka a confié à Nirazuka Naojirô, un fabricant local de tuiles, la tâche de se procurer des matériaux de construction. Il en a finalement rapporté de Fukaya et de la région autour de Tomioka pour fabriquer ces nouvelles briques, encore inconnues au Japon, sous la direction de Brunat et Bastien.

Les briques sont posées entre les poteaux et les poutres, soutenues par une charpente en bois.
Les briques sont posées entre les poteaux et les poutres, soutenues par une charpente en bois.

Les briques étaient assemblées dans un style de maçonnerie appelé style français ou style flamand. La construction commença en mars 1871.
Les briques étaient assemblées en alternance dans la longueur et dans la largeur. C’est une maçonnerie dite de « style français ». 

La construction a commencé en mars 1871. En juillet de l’année suivante, les principaux bâtiments étaient achevés : deux entrepôts de cocons de 100 mètres de long et une grande usine de dévidage de soie équipée de 300 bobineuses françaises. Le plus grand moulin du monde à l’époque a ainsi été achevé en seulement deux ans et demi à partir du moment où le gouvernement japonais a décidé de lancer le projet - et seulement 16 mois après la construction du terrain - grâce au leadership de Shibusawa et à l’aide de ses camarades de Fukaya ainsi que de ses collaborateurs français.

L’expérience de la filature de soie de Tomioka se révélera extrêmement utile. Dans la seconde moitié des années 1880, le gouvernement de Meiji a lancé un nouveau projet : créer une série de bâtiments gouvernementaux dans le quartier de Hibiya, à Tokyo. Pour répondre à la demande en matériau de construction, Shibusawa créé la Nippon Renga Seizô Kaisha (la Japan Brick Company) à Fukaya, tandis que Nirazuka cherche à obtenir le soutien de la population locale pour la nouvelle industrie. La brique de Fukaya a été utilisée pour construire un certain nombre de bâtiments gouvernementaux et publics de style occidental moderne, parmi lesquels les constructions qui sont aujourd’hui l’ancien bâtiment du ministère de la Justice, la gare de Tokyo et le palais d’Akasaka (la maison des hôtes d’État).

Shibusawa et Nirazuka ont fait bon usage de leur expérience dans la construction de la filature de soie de Tomioka pour introduire une nouvelle industrie dans leur ville natale de Fukaya, qui est rapidement devenue connue sous le nom de « ville des briques ».

À l'entrée du musée commémoratif Shibusawa Eiichi à Fukaya se trouvent des portraits en relief des trois « fils natifs » qui ont joué un rôle majeur dans l'établissement de la filature à soie de Tomioka et pour la prospérité de la ville. De gauche à droite: Shibusawa, Odaka et Nirazuka. (Avec l’aimable autorisation du musée mémorial Shibusawa Eiichi)
À l’entrée du Musée commémoratif Shibusawa Eiichi à Fukaya se trouvent des portraits en relief des trois « fils natifs » qui ont joué un rôle majeur dans l’établissement de la filature de soie de Tomioka et pour la prospérité de la ville. De gauche à droite: Shibusawa, Odaka et Nirazuka. (Avec l’aimable autorisation du Musée commémoratif Shibusawa Eiichi)

Une carte postale de la fabrique de soie vers 1908, alors qu'elle appartenait à la société Hara. (Avec l’aimable autorisation de la filature de soie de Tomioka.)
Une carte postale de la fabrique de soie vers 1908, alors qu’elle appartenait à la société Hara. (Avec l’aimable autorisation de la filature de soie de Tomioka.)

Des femmes retroussent leurs manches

Les bâtiments ont fini par être achevés, mais faute d’un nombre de travailleurs suffisant, l’exploitation de cette nouvelle usine n’a commencé qu’en octobre 1872.

En fait, après des siècles d’isolement, le peuple japonais craignait les étrangers, et leur imagination s’est complétement déchaînée. Ainsi, en regardant Brunat et ses compagnons boire du vin rouge, ils se chuchotaient que les occidentaux étaient en train de boire du sang frais... C’est la fille d’Odaka Junchû, Yû, qui a sauvé la situation en se portant volontaire pour devenir la première ouvrière de l’usine. Et cela a contribué à dissiper ces rumeurs sans queue ni tête : si la fille du directeur de la filature pouvait travailler avec les étrangers, les autres le pouvaient également. Le nombre de candidats a soudainement grimpé.

La littérature de l’ère Taishô (1912-1926) avait tendance à dépeindre la vie d’un ouvrier d’usine comme s’apparentant au travail forcé. Mais la mission de la filature de soie de Tomioka, propriété et exploitation du gouvernement, était de présenter les dernières technologies occidentales et de former les travailleurs qui deviendraient plus tard des enseignants dans d’autres usines du pays. Cet aspect éducatif a attiré des travailleuses issues de lignées de samouraïs et d’autres familles prestigieuses à travers le pays. Certaines, dit-on, venaient même de la noblesse. Pour ces raisons, les ouvrières étaient appelées les « princesses de la soie » par la population locale.

La filature de soie de Tomioka a été la première usine du Japon à introduire le concept de la semaine de travail, le dimanche étant chômé. Le travail de nuit était interdit et l’accent était mis sur la création d’un environnement propice à la formation. Le bien-être des employés était aussi un des nouveaux concepts introduits à l’usine, qui disposait d’une clinique médicale gratuite sur place. L’une des apprenties, employée peu de temps après l’ouverture de la filature, écrira plus tard son expérience dans « Le journal de Tomioka », un récit vivant de l’apprentissage des nouvelles technologies occidentales, et d’une interaction agréable avec les instructeurs français. Loin de l’image dramatique d’un site de travail forcé, la filature de soie de Tomioka était en réalité un lieu de labeur très attractif pour les jeunes japonaises de l’époque.

Une carte postale montrant des travailleuses de la fabrique, pendant la période où cette dernière était détenue et gérée par la société Hara. (Avec l’aimable autorisation de la filature de soie de Tomioka)
Une carte postale montrant des travailleuses de la fabrique, pendant la période où cette dernière était détenue et gérée par la société Hara. (Avec l’aimable autorisation de la filature de soie de Tomioka)

Une préservation intacte pour devenir un site du patrimoine mondial

Brunat et les autres étrangers qui avaient été impliqués dans la filature de soie de Tomioka depuis sa création ont quitté les lieux en 1876, lors de sa quatrième année de fonctionnement. Par la suite, l’usine gouvernementale a été exploitée uniquement par du personnel japonais. La qualité des produits était valorisée avant tout, et durant quelques années, la fabrique ne faisait pas de bénéfices, mais la filature a rapidement réussi dans son objectif initial : améliorer la réputation mondiale de la soie brute japonaise. Des moulins à bobines similaires ont vu le jour dans d’autres parties du pays, et les jeunes femmes issues de ces régions ont ainsi pu travailler dans leur ville natale après avoir été formées à Tomioka.

Après avoir atteint cet objectif, la filature a été vendue par le gouvernement à la famille Mitsui en 1893, avant d’être acquise par la société Hara en 1902. En 1939, elle fusionne avec la Katakura Silk Spinning Co. (aujourd’hui Katakura Industries), plus grand fabricant de soie brute japonais de l’époque. Pendant plus d’un siècle, la filature de soie de Tomioka est resté à la pointe de l’industrie, introduisant de nouvelles machines et continuant ses opérations jusqu’en 1987.

Avant de faire don de la fabrique en 2005, Katakura Industries a dépensé des sommes importantes pour préserver ce précieux endroit en tant que symbole de la modernisation du Japon, promettant de ne jamais vendre, prêter ou détruire les bâtiments historiques. En juin 2014, le filature de soie de Tomioka et les sites associés ont été classés au patrimoine mondial de l’Unesco.

(Voir les 23 sites japonais inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco)

Les machines automatiques de dévidage de la soie que l'on peut voir dans l'usine ont été fabriquées par Nissan Motor et installées vers 1966, lorsqu’elle était exploité par Katakura Industries.
Les machines automatiques de dévidage de la soie que l’on peut voir dans l’usine ont été fabriquées par Nissan Motor et installées vers 1966, lorsqu’elle était exploité par Katakura Industries.

La clé de voûte de l'entrepôt des cocons présente une gravure des caractères de l’an « Meiji 5 » (1872), année de l’achèvement de la construction du bâtiment.
La clef de voûte de l’entrepôt des cocons présente une gravure des caractères de l’an 5 de Meiji 5, correspondant à 1872, année de l’achèvement de la construction du bâtiment.

La filature de soie de Tomioka

  • Adresse : 1-1 Tomioka, Tomioka-shi, Gunma-ken
  • Heures d’ouverture : de 9 h à 17 h (dernière entrée à 16 h 30). Fermé du 29 au 31 décembre.
  • Tarifs : adultes, 1 000 yens, lycéens et étudiants universitaires, 250 yens, élèves du primaire et collégiens, 150 yens.
  • Frais de location de l’audioguide : 200 yens. Disponible en français.

(Photos de Nippon.com, sauf mentions contraires. Photo de titre : l’entrepôt à cocons Est de la filature de soie de Tomioka)

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