La colère de 50 000 parents contre les abus sexuels des enseignants dans les écoles japonaises
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Si la loi japonaise permet à un membre du personnel scolaire condamné pour abus sexuel sur des enfants de reprendre le travail après trois ans de mise à l’écart, le ministre de l’Éducation Hagiuda Kôichi souhaite rapidement réviser la législation afin de prolonger légèrement la durée de révocation.
Mais un grand nombre de parents demandent encore plus de sévérité, et souhaitent des démarches visant à empêcher définitivement que l’enseignant puisse à nouveau exercer.
Plus de 60 ans d’abus sexuels dans les établissements scolaires
« Certains faits remontent à 1959. Nous sommes en 2020 ; cela fait donc plus de 60 ans. Mettons fin à ce système ! »
C’est ce qu’a martelé Ôtake Hiromi, représentante du Comité des victimes de harcèlement scolaire du pays (nommé ci-après Comité). Elle a lancé une pétition à partir du 4 septembre contre l’autorisation envers tout membre du personnel scolaire ayant été condamné pour abus sexuel d’exercer à nouveau sa profession.
Le 28 septembre, après avoir obtenu plus de 54 000 signatures, le Comité a appelé les dirigeants du ministère de l’Éducation à écouter leur demande. Une conférence de presse a eu lieu ensuite.
(De gauche à droite) Ôtake Hiromi (représentante du Comité des victimes de harcèlement scolaire au Japon), Gunji Masako (également représentante du Comité et membre du Bureau de l’association des parents d’élèves contre la déscolarisation ) et Takeda Sachiko (critique spécialisée dans l’éducation).
L’organe central du Comité, l’Association pour la protection des droits de l’enfance, est le fruit de la rencontre de deux mères en janvier 2020 lors de la « manifestation des fleurs » (événement ayant lieu depuis avril 2019 chaque mois dans tout le pays pour mettre fin aux violences sexuelles et où les participants manifestent une fleur à la main).
Mais lorsqu’il a été relayé par certains médias que le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie étudiait une possible prolongation de 3 à 5 ans de la période de suspension, elles ont formé le Comité. Elles ont commencé à rédiger des pétitions et à recueillir des signatures.
Installer des caméras de surveillance presque partout dans l’école
Ôtake Hiromi explique : « Les termes “farces à caractère sexuel” ont été employés mais ce n’en sont pas... Lorsque j’ai entendu qu’il était question de prolonger la période de suspension d’un enseignant ayant été condamné pour des comportements déplacés et de la faire passer de 3 à 5 ans, je me suis demandé si après cette durée, il pouvait réellement y avoir la garantie que ce genre d’acte ne se reproduit pas. J’ai donc sans tarder commencé à faire circuler des pétitions. »
Lors de cette conférence de presse, elle a formulé un certain nombre de revendications. Parmi elles, l’installation de caméra de surveillance partout dans les écoles publiques, hormis dans les toilettes et les vestiaires.
Gunji Masako, l’une des représentantes du Comité et membre du Bureau de l’association des parents d’élèves contre la déscolarisation, ajoute : « Beaucoup de parents d’élèves concernés par l’absentéisme de leur(s) enfant(s) nous confient que l’une des raisons est la violence sexuelle présente dans l’établissement. Même s’il y a des comportements obscènes au sein de l’école, ils sont ignorés faute de preuve. On rétorque à l’enfant qu’il a inventé cette histoire de toutes pièces, ce qui le blesse davantage encore. »
Ces adultes qui nous aident dans le train mais qui nous ignorent à l’école
En l’espace de moins d’un mois, la pétition a recueilli plus de 50 000 signatures de personnes de tous horizons : parents et représentants légaux d’élèves, personnes du milieu scolaire et même d’anciennes victimes de violences sexuelles.
« Ces dernières années, le fossé entre le gouvernement, la justice et la population se fait de plus en plus sentir dans les décisions judiciaires » a déclaré Takeda Sachiko, critique spécialisée dans l’éducation, qui a participé à la conférence de presse. « Il est très difficile de changer les mentalités d’un gouvernement ou d’un système judiciaire, mais par cette pétition, j’aimerais attirer l’attention sur l’existence manifeste de ce fossé » a-t-elle poursuivi.
« L’école ne reconnaîtra pas les faits si l’enseignant nie les dires de l’enfant. Plus encore, celui-ci se verra accuser d’avoir menti et ne voudra plus fréquenter cette école. Il finira par ne plus vouloir se confier. En cas d’attouchements (chikan) dans le train, les adultes n’hésitent pas à intervenir mais à l’école, c’est différent ; ils font comme si de rien n’était. J’en appelle au ministère de l’Éducation pour la création d’un système où plus aucun enfant ne sera victime de ce type de comportement » a-t-elle encore déploré.
Pourquoi un enseignant condamné ne devrait plus exercer
Selon le ministère de la Justice, après une période de cinq ans suivant la sentence, le taux de récidive le plus élevé se trouve chez les personnes condamnées pour attouchements dans le train (chikan), avec 40 %. Viennent ensuite les personnes qui prennent des photos à la dérobée (tôsatsu, sous les jupes de collégiennes et lycéennes par exemple), avec 30 %, et enfin les abus sexuels sur enfants (shôni waisetsu), avec près de 10 %. Concernant cette dernière catégorie cependant, chez les personnes qui ont été condamnées au moins deux fois pour de tels comportements, le taux de récidive est supérieur à 80 % !
« L’Organisation mondiale de la santé et l’Association américaine de psychiatrie considèrent le fait pour un adulte d’éprouver les désirs de nature sexuelle pour un enfant comme de la pédophilie, reconnue en tant que maladie mentale », explique Harada Takayuki, professeur à l’Université de Tsukuba, spécialisé depuis plus de 10 ans dans le traitement médical d’actes criminels à caractère sexuel.
Harada Takayuki, professeur à l’université de Tsukuba, spécialisé depuis plus de 10 ans dans le traitement médical d’actes criminels à caractère sexuel
« D’un point de vue de psychiatrie criminelle, je ne pense pas qu’un enseignant devrait être autorisé à enseigner à nouveau, et ce pour deux raisons. D’une part, le risque de récidive chez les criminels à caractère sexuel est élevé et d’autre part, il n’est tout simplement pas souhaitable du point de vue du traitement médical utilisé pour ce type de personnes », poursuit-il.
Selon le professeur Harada, pour traiter ce type de personnes, il faut les éloigner de ce qui agira comme un déclencheur d’un tel acte. Tant que cette personne n’est pas apte à se raisonner en la présence d’un enfant et qu’il demeure la possibilité qu’elle soit tentée de passer à nouveau à l’acte, autoriser cet enseignant à exercer à nouveau expose à un risque de récidive.
L’addiction sexuelle, traitée comme une maladie
Interrogé sur la possibilité d’un passage de 3 à 5 ans de la période de suspension de l’enseignant, le professeur Harada est catégorique : « Ce n’est pas un problème qui se résout en l’espace de 5 ans ».
« Autrefois, seuls l’alcoolisme et la toxicomanie étaient reconnus comme addictions mais depuis quelques années, la dépendance aux jeux de hasard et aux jeux vidéo est également reconnue comme une pathologie addictive. Pour l’heure, les recherches ne suffisent pas à reconnaître officiellement l’addiction sexuelle comme une maladie. Mais une équipe de chercheurs dont je fais partie effectue des recherches partant de l’hypothèse qu’il existe bel et bien une addiction sexuelle », ajoute le professeur Harada Takayuki.
Depuis une dizaine d’années, le professeur Harada participe à la mise en place d’un programme de prévention de récidive des criminels sexuels dans les prisons. Un traitement visant à empêcher une récidive y est à l’étude.
Concrètement, ce traitement s’inspire des thérapies comportementales et cognitives ou TCC, utilisé dans le cas d’autres addictions.
« L’idée centrale de ce traitement est d’éviter à tout prix des éléments déclencheurs qui pourraient mener à une récidive. S’il s’agit de pédophilie, la personne doit se rendre à son travail en évitant les écoles ou les parcs, et au besoin modifier son itinéraire, ou encore prendre le train en évitant les heures où les enfants vont et rentrent de l’école », explique Harada Takayuki.
Dans le cas d’abus sexuels répétés de la part d’un enseignant, il est possible qu’il soit atteint de graves troubles pédophiles. Il est donc nécessaire qu’il suive un traitement en continu. Pour éviter tout risque de récidive, il ne faut pas que cet enseignant se retrouve en présence d’enfants.
« Cette pétition où nous exigeons que tout enseignant ayant perpetré des abus sexuels sur des élèves ne soit plus autorisé à exercer est un premier pas », a déclaré Gunji Masako.
Il est urgent que le ministère de l’Éducation mette en place un système basé sur des connaissances médicales et adopte des lois ad hoc. Il en va de la protection de nos enfants.
(Reportage et texte de Suzuki Kan, de Fuji News Network. D’après la diffusion sur Prime Online du 28 septembre 2020)
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