À chacun de décider qui il est : Riad Sattouf et sa BD « L’Arabe du futur » en version japonaise

Manga/BD

« L’Arabe du futur » est l’un des plus grands succès de la bande dessinée française de ces dernières années. Son succès s’est rapidement étendu au monde entier, jusqu’à atteindre le Japon où l’album a reçu le Prix d’Excellence du festival des Arts médiatiques de l’Agence des Affaires culturelles 2020 et des éloges dithyrambiques. Le tome 2 sort au Japon en avril 2020 et devrait connaître de nouveaux records de succès. Nous avons rencontré l’auteur, Riad Sattouf, lors de son passage au Japon l’automne dernier.

Riad Sattouf Riad SATTOUF

Auteur de bandes dessinées et cinéaste. Né à Paris en 1978, d’un père syrien et d’une mère française. Son enfance se passe en Libye, en Syrie et en France. Fauve d’Or du Meilleur Album du festival International de bande dessinée d’Angoulême en 2010 pour le tome 3 de Pascal Brutal. Il remporte de nouveau le même prix en 2015 pour son album L’Arabe du futur - Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984), César du Meilleur premier film 2010 pour son film Les beaux gosses, dont il signe le scénario et la réalisation. Au Japon, son premier album traduit, L’Arabe du futur tome 1 (traduction de Uno Takanori, éditions Kadensha) reçoit le 23e Prix d’Excellence du festival des Arts médiatiques de l’Agence des Affaires culturelles 2020, section manga.

Une bande dessinée au succès planétaire débarque au Japon

Le premier tome de L’Arabe du futur de Riad Sattouf est sorti en France en mai 2014 et a remporté le Fauve d’Or du Meilleur album au festival International de Bande Dessinée d’Angoulême 2015. Conçue pour se développer sur 6 tomes, la série compte 4 tomes sortis jusqu’à aujourd’hui, et le tome 5 doit sortir en octobre 2020. Traduite dans plus de 22 langues, c’est un best seller mondial avec plus de 2 millions d’exemplaires vendus. La version japonaise a été très bien accueillie, le tome 1 en juillet 2019, et le tome 2 le 20 avril 2020.

L’actualité du tome 2, qui vient de paraître, est l’occasion de sortir des placards une interview de Riad Sattouf que nous avions réalisée en octobre 2019, à l’occasion de sa visite au Japon, où l’Institut Français de Tokyo l’avait invité à participer à son festival littéraire « Feuilles d’automne » pour fêter la sortie japonaise de L’Arabe du futur.

« Je suis déjà venu deux fois au Japon, il y a déjà bien longtemps. Mais c’est la première fois que je viens pour raison professionnelle, c’est donc une émotion particulière, pour moi. L’Arabe du futur était déjà traduit en plusieurs langues, mais pas encore en japonais. Cinq ans plus tard, enfin, ce rêve se réalise ! »

Après le cinéma, retour à la BD

Né en 1978, Riad Sattouf a fait ses débuts de dessinateur en 2000. Au début, il travaillait avec un scénariste, puis, à partir de 2003, il signe à la fois les histoires et les dessins, confirmant régulièrement ses progrès dans la voie de jeune auteur de bande dessinée. Titulaire d’espaces réguliers dans des grands journaux ou magazines, et de nombreuses récompenses, il fait également preuve d’un énorme talent comme metteur en scène de cinéma avec Les beaux gosses en 2009. Le film est sélectionné à la Semaine des réalisateurs du Festival de Cannes, puis lui vaut un César du Meilleur premier film.

Les deux films écrits et réalisés par Riad Sattouf ont bénéficié d’une sortie limitée au Japon, à l’Institut français. Même si son second film Jacky au royaume des filles a été un échec commercial, il est considéré par certains comme un film culte. (© Pathé Distribution / © Kate Barry)
Les deux films écrits et réalisés par Riad Sattouf ont bénéficié d’une sortie limitée au Japon, à l’Institut français. Même si son second film Jacky au royaume des filles a été un échec commercial, il est considéré par certains comme un film culte. (© Pathé Distribution / © Kate Barry)

« Grâce au succès des Beaux gosses, j’ai pu faire un deuxième film, qui, lui, a été un échec terrible. Personne n’est allé le voir et tout d’un coup j’avais beaucoup moins d’amis (rires). En revanche, comme je suis resté longtemps sans aucune autre proposition, je me suis dit que puisque j’ai beaucoup de temps devant moi, autant me mettre à cette bande dessinée à laquelle je pense depuis si longtemps. Ça a donné L’Arabe du futur. À ce moment, un ami qui n’était pas encore dégoûté de moi a monté sa petite maison d’édition et l’album est sorti. Le succès a été immédiat. »

Riad Sattouf, né de père Syrien et de mère Française, a passé son enfance en Libye, en Syrie et en France. L’Arabe du futur est une autobiographie. Le tome 1 se déroule de sa naissance à ses 6 ans. Le tome 2 commence à son entrée à l’école primaire et couvre une période d’environ un an. Ses parents se sont connus à Paris où son père faisait ses études. Peu de temps après la naissance de Riad, toute la famille a déménagé en Libye, puis en Syrie. Riad ayant commencé l’école primaire en Syrie, il a d’abord appris à lire et écrire en arabe, ce n’est qu’à l’adolescence qu’il est revenu en France.

« En Libye et en Syrie, tous les enfants étaient fans de films tokusatsu (science-fiction à effets spéciaux analogiques) et de dessins animés japonais : Spectreman, ou Yamato, le cuirassé de l’espace, le dessin animé de Matsumoto Leiji qui ne passait pas en France. Ce n’est que peu après 10 ans, quand je suis rentré en France, que j’ai découvert la bande dessinée moderne et les mangas. J’ai appris à lire et à écrire en français avec Tintin. J’habitais à Rennes, mais je faisais spécialement le voyage à Paris pour aller dans une librairie de manga qui existait à l’époque, Tonkam. Uno Takanori, le traducteur de L’Arabe du futur en japonais, travaillait dans cette librairie. »

Une bande dessinée pour parler de soi

Riad Sattouf a lu énormément de mangas depuis qu’il est tout petit, mais une fois devenu adulte, ses préférés sont les récits autobiographiques de Mizuki Shigeru sur son enfance et la guerre, et Journal d’une disparition de Azuma Hideo (2005). L’histoire de cette disparition que Azuma racontera deux fois, a été traduite et publiée en France en 2007. Elle fut une influence décisive pour Sattouf.

« J’aime les livres qui racontent des faits sans jamais les juger, sans dire ce qu’il faut penser au lecteur. Le Journal d’une disparition de Azuma Hideo m’a débloqué pour faire L’Arabe du futur. Avec ce récit d’une époque de sa vie où il était vagabond, il m’a fait comprendre qu’on pouvait raconter une histoire triste en étant quand même un peu marrant. Alors moi aussi, je pouvais raconter ma vie dans le monde arabe en racontant les épisodes tels quels, en laissant les lecteurs se faire leur propre idée. »

Le titre, L’Arabe du futur, vient d’une parole du père qui investit ce rêve dans son fils. Le père de Riad était un homme complexe, un enseignant qui avait un doctorat de la Sorbonne, mais qui d’un autre côté était contre la démocratie, aimait les grands dictateurs. La figure de ce père est dépeinte avec beaucoup d’humour à travers les yeux du jeune Riad, sur la toile de fond des événements historiques qui se sont déroulés à l’époque en Libye et en Syrie.

Les pages 7 et 11 de la version japonaise de L’Arabe du futur. Chaque pays est associé à une couleur particulière : les épisodes libyens sont jaunes, la France gris bleu, la Syrie rose. (©Allary Éditions, Takanori Uno, Kadensha)
Les pages 7 et 11 de la version japonaise de L’Arabe du futur. Chaque pays est associé à une couleur particulière : les épisodes libyens sont jaunes, la France gris bleu, la Syrie rose. (©Allary Éditions, Takanori Uno, Kadensha)

« Moi, je soutiens la démocratie, bien sûr, j’ai horreur du populisme, et je pense que c’est parce qu’on vit dans une époque où les gens sont attirés par tout ce qui est simpliste qu’il est important de décrire les gens comme mon père. Mon père ne parlait que de politique, toute la journée, des politiciens qu’il adorait. Et c’est comme ça que j’ai grandi en me familiarisant avec les questions politiques dans lesquelles baigne le monde arabe. Je me disais même que peut-être, un jour, mon père pourrait devenir président. »

Si Riad a grandi dans la fascination pour ce père dans sa petite enfance, en grandissant ses idées politiques ne l’ont pas beaucoup influencé.

« Je crois que la chance que j’ai eue, c’est que j’ai tout de suite adoré faire des dessins et lire des livres, dès que j’ai commencé à prendre conscience des choses, et que je me suis choisi une identité personnelle au lieu de me demander si j’étais Français ou Syrien. Même pendant mon enfance je m’étais dit : “Tiens je vais faire des livres et ça va être mon peuple”. »

Une famille qui traverse les frontières

Le monde vu à hauteur d’enfant, dans une vision très décomplexée et sans pathos, tel est le style narratif de L’Arabe du futur. Les coutumes, les particularismes de chaque communauté, en Libye, en Syrie, en France, les cruautés enfantines, dans un trait simple, une tonalité vivante, une expression d’une grande fraîcheur.

« Vous pouvez dire énormément de choses à hauteur d’enfant, car les enfants disent tout ce qu’ils trouvent terrible. J’ai dessiné en creusant le plus loin possible mes souvenirs, et je me suis aperçu que la mémoire de la petite enfance était très animale. Elle est basée sur l’ouïe, la vue et l’odorat. Les odeurs des maisons et des rues. L’odeur des parents, des oncles et des tantes. Mes tantes syriennes avaient toutes une odeur de transpiration différentes, et moi, l’odeur que je préférais, c’était celle de la tante qui était la plus gentille. Avec les progrès, l’hygiène et les déodorants sont arrivés et petit à petit les odeurs ont disparu de la vie quotidienne. C’est pourquoi je voulais que les sensations animales soient présentes dans ma bande dessinée. »

Les pages 7 et 64 de la version japonaise de L’Arabe du futur tome 2. Apprendre à lire et à écrire l’arabe dans une école primaire en Syrie. (©Allary Éditions, Takanori Uno, Kadensha)
Les pages 7 et 64 de la version japonaise de L’Arabe du futur tome 2. Apprendre à lire et à écrire l’arabe dans une école primaire en Syrie. (©Allary Éditions, Takanori Uno, Kadensha)

Concernant les odeurs, nous avons parlé des différences dans les conceptions de l’hygiène entre le Japon et la France.

« Les Français font des blagues sur la propreté des toilettes japonaises. Les Français, quand ils inventent des toilettes, ils pensent à une cuvette avec un trou et ils s’arrêtent là, ils ne vont pas plus loin ! Les Japonais se demandent comment faire pour que ce soit encore mieux. Et c’est valable pour tout. Je crois qu’on devrait s’inspirer de cette façon de penser. Les Français sont insatisfaits et critiquent toujours tout (rires). En revanche, ils aiment lire plus que partout ailleurs. Ils s’intéressent au monde extérieur, ils accueillent facilement les gens de l’extérieur. Il y a beaucoup de mélange en France, c’est un pays très ouvert. Je n’aurais pas pu écrire cette bande dessinée dans un autre pays. La France, c’est le pays où je suis heureux. »

(à gauche) L’Arabe du futur - Une jeunesse au Moyen-Orient, tome 1 (1978-1984). (à droite) L’Arabe du futur - Une jeunesse au Moyen-Orient, tome 12(1984-1985) ©️Allary Éditions
Les couvertures des deux premiers tomes de L’Arabe du futur en japonais (©Allary Éditions, Takanori Uno, Kadensha)

L’Arabe du futur est le plus gros succès de la carrière de Riad Sattouf, et il a été accueilli par des lecteurs qui n’étaient pas particulièrement portés vers la bande dessinée jusque-là. L’auteur lui-même ne s’explique pas vraiment ce qui a fait que ce livre a touché tant de gens. Peut-être parce qu’ils se sont intéressés et ont été émus à cette histoire de famille à cheval entre deux cultures. Le fait est que chaque fois qu’il a l’occasion de parler de ce livre, on lui pose des questions sur sa propre identité.

« L’écrivain Salman Rushdie a dit : "L’homme n’a pas de racines, il a des pieds". Moi, c’est pareil, avant d’être Français ou Syrien, je suis dessinateur de bandes dessinées. C’est ma première identité. Je me sens beaucoup plus proche d’un mangaka japonais que de ma boulangère française. Cette fois, au Japon, j’ai parlé à de nombreuses personnes qui font le même métier que moi, j’ai eu la confirmation que nous avons presque tous la même façon de vivre, nous pensons aux mêmes choses. Même si nos pays sont différents, nous sommes comme une même famille. J’aime beaucoup rencontrer des gens comme cela, cela me rend heureux. »

(Interview et texte de Matsumoto Takuya, de Nippon.com. Photo : Hanai Tomoko)

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