Le message d’un homme de paix

Politique Société

Martti Ahtisaari, ancien président de la République finlandaise couronné en 2008 par le prix Nobel de la paix, a effectué un voyage au Japon en novembre 2011 pour y parler de médiation en faveur de la paix et visiter le département de Miyagi, ravagé par le séisme et le tsunami de mars 2011. Nous l’avons accompagné pendant son voyage dans le nord du pays et avons parlé avec lui de son travail de négociateur et du rôle que le peuple japonais peut jouer aujourd’hui sur la scène internationale.

Martti Ahtisaari Martti Ahtisaari

Médiateur international pour la paix. Né en 1937 à Viipuri (aujourd’hui Vyborg, Russie). Après avoir achevé ses études secondaires et effectué son service militaire, est parti au Pakistan en 1960, où il a trouvé son premier emploi dans le cadre de l’assistance, pour le YMCA. Est entré en 1965 au ministère finlandais des Affaires étrangères, où il est devenu chef adjoint du Bureau de l’aide internationale au développement puis représentant diplomatique de la Finlande à différents postes. En 1977, il est entré aux Nations Unies comme commissaire pour la Namibie et a contribué à ce titre à l’accession de ce pays à l’indépendance en 1990. Toujours à l’ONU, il a occupé les fonctions de sous-secrétaire général pour l’administration et la gestion et a participé aux activités d’un conseil consacré au conflit en Bosnie. De retour en Finlande, il est entré en politique et a accompli deux mandats de président entre 1994 et 2000. Après quoi, il a œuvré en faveur de la paix en Irlande du Nord, dans la province indonésienne d’Aceh et au Kosovo. Son œuvre de médiateur lui a valu le prix Nobel de la paix en 2008. En 2000, il a fondé l’Initiative pour la gestion des crises, une ONG dont il est depuis lors le président.

« En tant que médiateur pour la paix, je me vois comme un honnête courtier. Pour moi, il est important que les parties impliquées dans une négociation sachent qui je suis, ce que je représente et où je place les lignes rouges. Je peux alors travailler honnêtement et ouvertement avec les parties en présence à l’élaboration d’une solution. »

C’est en ces mots, le 24 novembre 2011, dans le hall bondé de l’hôtel Okura de Tokyo, que Martti Ahtisaari, ancien président de la République finlandaise couronné en 2008 par le prix Nobel de la paix, nous a exposé sa vision du rôle qui lui incombait. Invité par la Fondation Sasakawa pour la paix à prononcer une allocution sur la médiation en faveur de la paix et à donner, pour des spécialistes et des chercheurs japonais, un cours magistral sur la résolution des conflits et l’instauration de la paix, M. Ahtisaari a eu un programme très chargé tout au long de son court séjour au Japon, d’autant plus chargé qu’il a souhaité se rendre dans le Nord et observer de ses propres yeux les séquelles du tsunami qui a dévasté le littoral du Tôhoku en mars 2011. Nippon.com a accompagné le lauréat du prix Nobel lors de la visite qu’il a effectuée le samedi 26 à Sendai et Shichigahama, dans le département de Miyagi.

Le rôle du médiateur

Après l’allocution qu’il a prononcée le 24 novembre, les personnes présentes ont posé des questions à M. Ahtisaari. « La résolution [des conflits] est toujours possible », avait-il affirmé ; mais, demanda l’un des participants, que faites-vous quand l’une des parties prenantes met sur la table des exigences impossibles à satisfaire ?

« En tant qu’honnête courtier », répondit M. Ahtisaari, « le médiateur doit estimer ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas. Lorsque je travaillais à la résolution du conflit dans la province d’Aceh, par exemple, le gouvernement indonésien voulait que le GAM [Mouvement pour un Aceh libre] dépose les armes, et cela s’est avéré possible. De son côté, le GAM demandait que l’Armée s’en tienne à la défense et renonce à son rôle de maintien de l’ordre, et nous avons eu une discussion sur l’importance acceptable des effectifs à maintenir dans la province. Tout en soutenant ce point de vue, je fis valoir que, tant que l’armée s’en tenait à son rôle défensif, l’importance des effectifs relevait de sa décision. Changeant à nouveau de perspective, j’ajoutai qu’il fallait autoriser les formations politiques locales, et là encore le gouvernement a acquiescé. Il incombe au médiateur de formuler ce genre de propositions. »

Il appartient au médiateur de jouer un rôle actif dans les négociations, même s’il arrive, a tenu à souligner M. Ahtisaari, que ce rôle soit ingrat : « En certaines occasions, le médiateur peut avoir à assumer le rôle de “bouc émissaire” et la responsabilité de prendre des décisions impopulaires... Pour le bon déroulement des négociations, il est également souhaitable qu’il oublie son propre ego et abandonne aux parties prenantes le crédit de l’accord obtenu, même si elles ne l’ont pas vraiment mérité. »

Il a en outre tenu à préciser qu’il ne suffit pas qu’un accord de paix ait été négocié pour que la paix soit instaurée de façon durable : « Ce n’est qu’un pas sur le chemin... un petit début. » Ceci étant, a-t-il ajouté, « l’accord initial peut constituer pour les parties prenantes le matériau nécessaire pour commencer à mettre en place une société pacifique. »

Ce que peut faire le Japon

C’est en ce domaine — la mise en place d’un accord de paix initial et la pause des fondations en vue du rétablissement d’une société pacifique à long terme — que le Japon est à même, selon M. Ahtisaari, d’apporter une précieuse contribution. « Le médiateur pour la paix ne peut pas tout résoudre », a-t-il observé lors de l’échange de questions et de réponses consécutif à son allocution. « L’essentiel est de mettre en place un dispositif favorable à l’évolution de la situation. C’est cette position que soutient le Japon. » Il a cité comme particulièrement exemplaires et louables les initiatives actuellement en cours dans le Sud du Soudan. « Oeuvrer comme le fait le Japon dans le domaine des infrastructures et de la logistique, il n’y a rien de plus important lorsqu’il s’agit de mettre en place les dispositifs propices à l’évolution d’une société. »

En ce qui concerne les possibilités d’action individuelle, voici le conseil qu’il a prodigué aux jeunes du Japon et du monde entier : « Si vous avez les compétences requises, vous devriez envisager de trouver un emploi au sein des organisations présentes sur le terrain, là où leur intervention peut s’avérer utile. » Les technologies de l’information et les réseaux sociaux ont joué un rôle formidable dans le Printemps arabe et d’autres mouvements qu’on a vu apparaître récemment en divers endroits du monde et les compétences en ces domaines sont donc précieuses. Au cours de l’interview que nous avons eue avec lui dans le département de Miyagi, M. Ahtisaari a parlé de la valeur que le savoir-faire des experts peut avoir pour les organisations non gouvernementales qui les embauchent. « Un grand nombre de gens ont participé à des missions de maintien de la paix en tant que membres volontaires de forces armées. Ces groupes accueillent aussi beaucoup d’autres professions : ingénieurs, mécaniciens, médecins... Toutes ces personnes ont leur utilité dans le cadre de la gestion civile des crises. »

De façon plus générale, il a fait aux jeunes Japonais cette recommandation : « Mettez à profit les occasions de voyager qui s’offrent à vous. Le voyage est la meilleure façon de découvrir à quoi ressemble le monde et d’apprendre à utiliser les langages qui y ont cours. Lisez le plus possible, de manière à être en mesure de justifier vos opinions par des faits plutôt que par des croyances. » La dimension internationale revêt une importance particulière au sein de sa propre ONG, l’Initiative pour la gestion des crises, dont les membres proviennent de plus de vingt nations.

Quoi qu’on entende dire sur le recul de la présence internationale du Japon, « ce que fait ce pays est important », a souligné M. Ahtisaari. « S’impliquer et travailler avec de nombreux partenaires offre une bonne manière de mettre en chantier les activités nécessaires. Travaillez à construire des ponts. Mettez-vous en réseau dans toutes les régions avec les gens qui ont des compétences dans leurs domaines. » L’issue, a-t-il dit, est riche d’enseignements pour tout le monde : « Nous aussi, nous apprenons de ces partenariats que vous formez, et nous en tirons autant de profit que vous. »

Un voyage vers le Nord

Après son allocution du jeudi et son cours magistral du vendredi, M. Ahtisaari a pris le train à grande vitesse Shinkansen en direction du Nord pour se rendre à Sendai le samedi 26 novembre. La plus grande ville du Tôhoku a été durement frappée par le violent séisme du 11 mars 2011 et le tsunami qui l’a suivi, au même titre que la ville voisine de Sichigahama, où l’ancien président a rencontré Watanabe Yoshio, le maire, et d’autres représentants de la municipalité qui lui ont fait un exposé sur les dégâts provoqués par la catastrophe et le travail de reconstruction qui s’ensuit.

M. Ahtisaari a une certaine expérience de la gestion des séquelles des grands tsunami, dans la mesure où le séisme, dit « Jour de boxe », qui a frappé l’Indonésie en 2004 a eu un impact sur le travail de médiation auquel il se livrait en Aceh. « C’est arrivé une semaine après qu’on m’eut contacté et annoncé que je pouvais entamer les négociations entre le gouvernement indonésien et le Mouvement pour un Aceh libre, dont les dirigeants vivaient alors à Stockholm. Le tsunami a incité les participants à se dépêcher de trouver une solution. Ils ont compris qu’ils ne pourraient pas aider leurs parents et leurs amis si les pourparlers que nous avions en Finlande ne débouchaient pas sur la paix. C’est une grande tristesse qu’il y ait eu tant de victimes, mais je dois dire que la catastrophe a mis en lumière l’urgence du problème. Sans elle, nous n’aurions jamais pu rétablir la paix en moins de six mois. »

Après le tsunami de 2004, le gouvernement finlandais a demandé à M. Ahtisaari de prendre la direction d’une commission chargée d’évaluer la qualité du soutien qu’il avait apporté aux ressortissants finlandais pris dans le désastre de l’Océan Indien, notamment les vacanciers qui séjournaient dans la province de Phuket en Thaïlande, parmi lesquels on a enregistré une centaine de victimes. « Nous sommes arrivés à la conclusion que personne n’aurait pu faire quoi que ce soit pour ceux qui étaient morts sur le coup. Mais il importait de faire passer ce message à leurs parents. Nous nous sommes également demandé si nous aurions pu mieux faire en matière de services de santé offerts aux survivants en Thaïlande — qualité du rapatriement et de l’assistance à long terme fournie par les services de santé finlandais. »

Les vagues qui ont déferlé sur le Nord du Japon en 2011 rappelaient l’impact du tsunami de 2004 sur les populations. « C’est pourquoi », dit M. Ahtisaari, « j’étais impatient de venir aussi ici. Je voulais encourager tout le monde. J’étais content de voir les gens brandir des pancartes qui disaient “Ne renonce jamais” ! »

M. Ahtisaari ne doutait pas que le pays se remettrait du désastre. « Un pays comme le Japon, qui est confronté plus ou moins régulièrement à des tsunami, est bien mieux armé que d’autres nations lorsqu’il s’agit de fournir une assistance après une catastrophe naturelle. En Aceh aussi, les Japonais ont été parmi les premiers à venir en aide, et ils ont extrêmement bien fait leur travail. Ils se sont montrés rapides, professionnels. »

Le président a aussi félicité le Japon pour ces efforts plus récents en faveur de la paix. « Je viens d’apprendre de ce que les Japonais projettent de faire dans le Sud du Soudan, où les enjeux sont capitaux. À l’origine, je suis entré aux Affaires étrangères pour œuvrer dans le côté coopération pour le développement. Je sais que, faute de faire fonctionner les infrastructures, la vie ne peut pas revenir à la normale — et ça, c’est un désastre. Le Japon aspire de plus en plus à participer aux médiations pour la paix, et je suis venu cette fois-ci pour voir comment nous pouvons accroître notre coopération. Je pense que tout pays qui montre un tel empressement à assumer ce genre de responsabilité mérite d’être encouragé. »

Un homme chaleureux

À Shichigahama, M. Ahtisaari a posé des questions précises au maire, qui — de même que le président du conseil municipal, lui aussi présent — a perdu sa maison dans le tsunami. M. Watanabe a fait un exposé des dommages en s’appuyant sur des cartes des zones inondées et des données chiffrées sur les pertes en vies et en biens. Le tsunami a inondé environ 30 % de la surface de Shichigahama et détruit un millier de maisons. L’enlèvement des décombres était estimé à quelque 11 milliards de yens. Parmi les problèmes à plus long terme, M. Watanabe a mentionné la salinisation d’une bonne partie des terres agricoles — un problème d’autant plus sérieux que la ville manque de rivières susceptibles de rejeter le sel à la mer — et le déclin probable de la population.

Le groupe a ensuite quitté l’Hôtel de ville et le maire a servi de guide à M. Ahtisaari pour une visite de la ville, avec une promenade en voiture dans des quartiers où il ne restait que des fondations en béton pour témoigner que des gens y avaient vécu, suivie par la visite d’un site d’hébergement provisoire et d’un centre de volontaires.

C’est lors de ces deux dernières étapes que M. Ahtisaari a déployé toute sa vitalité. Il a discuté et échangé des sourires avec des enfants et des personnes âgées de Shichigahama qui avaient tout perdu dans la catastrophe. Il a félicité et remercié les volontaires venus de tout le Japon pour aider la population locale à mettre leur ville sur le chemin du rétablissement.

Là, le diplomate, président et lauréat du prix Nobel était véritablement dans son élément : chaleureux, expansif et authentique. L’honnête courtier montrait une fois de plus ses dons pour le contact humain.

(Partiellement basé sur une interview réalisée en anglais le 26 novembre 2011 par Peter Durfee, directeur de la Nippon Communications Foundation.)

Photos : Ôkubo Keizô

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