Justin Potts et le développement des marques locales dans le Japon rural

Société Culture

À l’heure actuelle, les communautés rurales japonaises sont confrontées à une tâche ardue. Pour faire connaître leurs produits distinctifs, elles n’ont en effet pas d’autre choix que de créer des marques locales. Elles bénéficient heureusement du soutien de Justin Potts, directeur du développement du commerce international de l’entreprise japonaise Umari Inc. Ce jeune américain, qui croit beaucoup dans la mise en relation des personnes et des idées, s’efforce de promouvoir, à travers des projets et des manifestations innovants, les ressources extraordinaires dont regorgent les communautés rurales de l’Archipel.

Justin Potts Justin Potts

Né en 1981 à Seattle, aux États-Unis. Directeur du développement du commerce international de l’entreprise japonaise Umari Inc. Collaborateur de Roppongi Nôen (la ferme de Roppongi), de l’école International Terakoya et du centre Nippon Travel Restaurant, où il est impliqué dans divers programmes et manifestations dont l’objectif est de mettre la culture culinaire et les produits distinctifs des communautés rurales en contact avec les habitants de Tokyo. Justin Potts est par ailleurs l’un des intervenants du séminaire de la Morning University of Marunouchi (MUM) intitulé « Producing Japan ». Auteur de nombreux textes sur la culture culinaire japonaise pour des sites en ligne et réalisateur d’une série d’émissions sur le web intitulée Local Japan.

« Médiateur », c’est sans doute le terme le mieux approprié pour décrire Justin Potts, étant donné le rôle de directeur du développement du commerce international qu’il joue au sein de l’entreprise Umari Inc. Justin Potts s’est fixé pour objectif de mettre les ressources locales — agricoles, artisanales, historiques et culturelles — considérables du Japon en contact avec les consommateurs et les professionnels du pays et du reste du monde. Pour lui, les multiples richesses, entre autres la culture culinaire, les savoirs et les expériences formatrices, qui dorment dans les communautés locales de l’Archipel ne demandent qu’à se faire connaître au grand jour. Depuis quelques années, ce jeune homme discret originaire de Seattle, aux États-Unis, a pris en main un grand nombre de projets inventifs destinés à exploiter ces ressources régionales en tissant des liens entre des acteurs majeurs locaux et l’énorme potentiel humain de Tokyo.

Justin Potts s’est rendu pour la première fois au Japon dans le cadre d’un programme d’études à l’étranger. Il avoue volontiers qu’au début, il ne s’est pas véritablement impliqué dans une relation à long terme avec ce pays. Mais les liens qu’il a noués l’ont ramené vers l’Archipel à maintes reprises. « J’ai eu plusieurs fois l’occasion de revenir pour de courtes périodes de travail et j’ai fini par comprendre la différence entre une simple visite et vivre vraiment sur place », explique-t-il. En 2007, Justin Potts est retourné au Japon avec l’intention d’apprendre la langue de ce pays, de s’intéresser de plus près à sa culture et de « creuser » les choses, comme il le dit lui-même.

Une partie de ce travail « en profondeur » a porté sur la découverte d’une nourriture différente à travers de nouvelles expériences culinaires. Justin Potts explique qu’il est tombé amoureux des saveurs subtiles de la cuisine japonaise traditionnelle (washoku) en partie grâce aux repas préparés par son épouse et que l’un des premiers mets qui l’a séduit a été un simple bouillon dans lequel on fait cuire des boulettes de pâte de farine de blé (suiton). Ayant vécu à la fois dans l’est et l’ouest de l’Arcihpel, le jeune américain a pris rapidement conscience de l’existence de différences régionales. « Comme je m’intéressais depuis longtemps à l’alimentation et à la santé, je me suis aperçu très tôt qu’il y avait des distinctions flagrantes », raconte-t-il. « La cuisine japonaise prise dans son ensemble se compose d’un large éventail de mets mais elle comporte aussi quantité de spécialités que l’on trouve uniquement dans certaines zones, souvent plus restreintes que les départements.

Justin Potts est devenu un « maître en matière de dégustation de saké » (kikizakeshi), ce qui veut dire qu’il sait trouver le vin de riz le mieux approprié pour chaque plat. Il s’est aussi intéressé de très près aux techniques traditionnelles de fermentation qui jouent un très grand rôle dans la cuisine japonaise. Un de ses livres préférés n’est autre que « La Voie de la fermentation » (Hakkôdô) de Terada Keisuke directeur général jusqu’à sa mort, en 2012, de Terada Honke, une fabrique de saké fondée en 1643 et située à Kôzaki, dans la préfecture de Chiba. Et c’est en partie grâce à sa connaissance approfondie de la cuisine japonaise et à son goût pour le saké que Justin Potts s’est trouvé impliqué dans les projets d’Umari Inc., à commencer par Roppongi Nôen (la ferme de Roppongi).

Mettre directement en contact les fermiers et les consommateurs

Roppongi Nôen est un espace situé en plein cœur de Tokyo où des fermiers de tout le Japon viennent présenter leurs produits et sont directement en contact avec les consommateurs. Cet établissement organise régulièrement des dîners sur des thèmes régionaux et des présentations en direct de fermes (nôka) par leurs exploitants. « Notre objectif c’est de connecter les consommateurs et les fermiers d’une nouvelle façon. Nous considérons les agriculteurs comme des “rock stars”. Nous leur offrons un endroit où parler de leur parcours et de leurs cultures. C’est à travers leur histoire que les citadins entrent en contact avec eux et qu’ils apprécient à leur juste valeur les produits qu’ils vont déguster », précise Justin Potts. Pour les fermiers, avoir l’occasion d’établir des liens de personne à personne a une importance capitale. « Ceux qui consomment effectivement les produits des communautés locales vont jouer un rôle déterminant dans la solution de bien des problèmes auxquels celles-ci sont confrontées. »

À l’occasion d’une manifestation récente consacrée à la préfecture de Mie, Roppongi Nôen a présenté non seulement les produits alimentaires et l’artisanat de cette partie du Japon mais aussi les fameuses ama qui, depuis la nuit des temps, plongent en apnée et pêchent des coquillages et autres fruits de mer. Pour Justin Potts, offrir une plateforme favorisant les rencontres directes contribue à ajouter de la valeur aux produits. « Ceux qui ont participé à la manifestation sur la préfecture de Mie ont pu s’entretenir avec les femmes qui plongent dans la mer pour chercher de la nourriture. Ils ont ainsi compris le caractère unique de ces aliments et de la culture culinaire locale », ajoute-t-il.

Une des manifestations organisées par Roppongi Nôen pour mettre en contact des cultivateurs et des consommateurs d’une façon tout à fait originale et distrayante. L’atmosphère est visiblement détendue. (Avec l’aimable autorisation de Umari Inc.)

Le processus de création d’une marque locale

Dans un pays où il y a une aussi grande variété de produits régionaux, ceux-ci peuvent facilement passer inaperçus. « Au Japon, il y a des tas de choses intéressantes, partout où l’on va », affirme Justin Potts. « Certains endroits sont réputés pour leur eau pure, leurs montagnes, la mer ou l’océan, mais ils ne sont pas les seuls à disposer de ces merveilles naturelles. » Aujourd’hui, pour attirer l’attention, il ne suffit pas de fabriquer du bon saké ou d’avoir une histoire intéressante. Les habitants des communautés rurales qui veulent se faire connaître doivent unir leurs efforts pour présenter leurs produits sous des marques locales uniques.

Mettre en relation les fermiers et les consommateurs n’est qu’une des multiples tâches qui font partie du processus de création d’une marque locale. Les communautés rurales doivent commencer par faire l’effort de comprendre la valeur de leurs produits du point de vue tant agricole que culturel ou même historique et conditionner ceux-ci de façon à montrer ce qu’ils ont d’unique. Ce travail peut s’avérer particulièrement ardu pour des communautés locales qui n’ont qu’une expérience limitée en la matière. La MUM, un des projets dans lequel Justin Potts est impliqué, a été conçue pour faire face à ce problème.

Justin Potts en train de donner des explications au Kaiteki Café qui fait partie du campus de la « Morning University of Marunouchi » située, comme son nom l’indique, dans le quartier de Marunouchi, près de la gare de Tokyo.

La MUM a été fondée en 2009 pour tenter de constituer de nouvelles communautés. Elle propose un vaste éventail de cours donnés en début de matinée sur des thèmes qui vont de l’action sociale à la nourriture et au tourisme local en passant la santé physique et mentale. Beaucoup de ces conférences portent sur des sujets liés au milieu rural et elles constituent une piste de recherches pour les habitants de la région de Tokyo.

Justin Potts fait partie des intervenants d’un séminaire de la MUM intitulé « Producing Japan  » (Mettre le Japon en scène). Celui-ci passe en revue les problèmes de la production locale y compris par le biais de travaux pratiques sur le terrain et de déplacements dans des zones rurales. Un des aspects les plus importants de ce séminaire c’est qu’il met les élèves — souvent issus de milieux professionnels très divers — en relation avec des producteurs locaux. La plupart de ceux qui le suivent sont motivés par une volonté de s’engager. « Il y a là des gens qui ont une expérience globale et sont complètement passionnés par l’avenir social et économique du Japon. Ils sont à la recherche de pistes qui leur permettent de mettre leur expérience à contribution. C’est un énorme potentiel encore inexploité. »

Des élèves du séminaire « Producing Japan » de la MUM. Ils sont en train de visiter Brown’s Field, une ferme dans la préfecture de Chiba qui fait aussi office de café, boulangerie, chambres d’hôtes et spa.

Une collaboration au niveau local

Un assortiment de mets régionaux présentés dans leur cadre naturel à l’occasion d’une excursion dans la préfecture de Niigata. Un exemple des expériences uniques proposées aux citadins par le centre Nippon Travel Restaurant de Tokyo. (Avec l’aimable autorisation de Umari Inc.)

Justin Potts établit aussi des connections de base en mettant l’accent sur les traditions culinaires régionales. Un des lieux privilégiés où il effectue ce travail, c’est l’école « International Terakoya » située comme Roppongi Nôen dans le quartier de Roppongi, à Tokyo. Les cours les plus récents portaient, entre autres, sur le saké, le thé vert et le dashi (un bouillon à base d’algue konbu et/ou de lamelles de bonite) et ils ont présenté les produits alimentaires traditionnels japonais sous un nouveau jour. Le centre Nippon Travel Restaurant (NTR) propose quant à lui aux citadins des excursions de deux jours dans une communauté rurale où ils sont mis en contact direct avec la culture culinaire et l’histoire du lieu par l’intermédiaire d’agriculteurs et d’artisans. Les rencontres se font au cours de repas tout à fait originaux parce qu’ils sont conçus pour exprimer la quintessence de la culture culinaire et des ressources du lieu visité. Les participants à un récent voyage dans la préfecture de Niigata organisé par NTR ont pu ainsi apprécier le saké de la région et faire des promenades à pied à travers les montagnes enneigées avec des équipements fournis par un fabricant local de matériel de sport.

Ces événements permettent aux habitants de Tokyo de rencontrer des habitants de communautés rurales avec lesquels ils peuvent échanger des idées et, pourquoi pas, collaborer dans le cadre de relations à long terme. « Les gens peuvent être interpelés par beaucoup de choses », explique Justin Potts, « et quand il s’agit d’une chose qui les touche personnellement dans leur existence, ils ont tendance à en garder un souvenir durable. Ils risquent fort de revenir pour voir une personne avec qui ils ont tissé des liens d’amitié ou une communauté qu’ils ont créée. C’est ce genre de situation qui encourage les gens à s’engager durablement et à s’investir personnellement. »

La diversité du parcours de ceux qui participent à ces événements contribue grandement à créer de la valeur. « Nous essayons d’associer des acteurs majeurs locaux avec des professionnels du reste du Japon ou de l’étranger, c’est-à-dire des personnes qui viennent de secteurs différents comme l’informatique ou les médias et sont capables de partager des points de vue et des idées en toute objectivité. Réunir des individus ayant des expériences professionnelles très diverses et mettre en commun leurs capacités et leurs savoirs, c’est une façon nouvelle et unique de créer de la valeur. »

Créer un trait-d’union entre les hommes

Depuis 2013, Justin Potts participe aussi, dans le cadre de la MUM, à un programme en collaboration avec Kirin Holdings qui a pour objectif de contribuer à la réhabilitation des zones dévastées par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011. Ce programme intitulé « Projet de création d’un centre de formation agricole et de reconstruction du Tôhoku » regroupe des partenaires professionnels venus de divers horizons ainsi que des fermiers et des producteurs locaux affectés par la catastrophe qui ont joint leurs efforts pour tenter de développer une industrie agricole plus durable au cœur de la région sinistrée. « Il s’agit d’engager des agriculteurs, des hommes d’affaires et d’autres acteurs majeurs non seulement dans la reconstruction de la région mais aussi dans la création de quelque chose de nouveau », déclare Justin Potts. D’après lui, si le soutien financier de Kirin a une grande importance, c’est surtout le savoir-faire de cette entreprise japonaise et sa capacité à impliquer directement les gens qui ont un rôle essentiel à jouer dans la réussite du programme.

Justin Potts, qui s’intéresse aussi à ce qui se passe en dehors du Japon, s’est rendu aux Pays-Bas en 2013 avec des membres du Projet de reconstruction du Tôhoku pour observer de près la politique de maximisation de la production sous serres de ce pays ainsi que les stratégies et les entreprises qui font de cette région un modèle unique. Et en février 2014, il est allé en Nouvelle Zélande pour s’informer sur l’approche originale de cet État en matière de tourisme et d’agriculture.

Outre ses activités dans le cadre d’Umari Inc., Justin Potts fait également partie du Comité japonais des innovateurs locaux (JLIC), une organisation qui a pour objectif de mettre des professionnels non-Japonais issus de différents secteurs en contact avec les ressources culturelles uniques de l’Archipel. Il publie des informations sur la page Facebook, intitulée « Social excursions in Japan », et sur le site du JLIC. Justin Potts est aussi l’auteur pour le magazine en ligne Colocal d’une petite série de textes intitulée Hello Hakkô Life (Bonjour la vie : la fermentation) dans laquelle il présente des entreprises régionales japonaises qui fabriquent des produits fermentés traditionnels, en particulier de la sauce de soja et du saké.

Le projet le plus séduisant qui témoigne de la passion de Justin Potts pour promouvoir le Japon est peut-être l’émission sur le web « Local Japan » où il occupe les fonctions de directeur artistique et d’animateur. On le voit apparaître dans de superbes courts métrages qui présentent des communautés locales avec leurs coutumes, leurs traditions et leur culture culinaire. Les interviews d’habitants donnent au spectateur non seulement un aperçu de la culture rurale remarquable de l’Archipel mais aussi l’occasion d’entendre ceux qui s’efforcent de la préserver.

Justin Potts reconnaît volontiers lui même qu’il a une activité débordante mais les résultats qu’il obtient n’en semblent pas moins positifs. Le séminaire « Producing Japan » de la MUM attire beaucoup de monde et les événements organisés par Roppongi Nôen ont toujours un grand succès. La culture culinaire locale continue indéniablement à susciter un intérêt grandissant de la part du public. Justin Potts est résolu à continuer dans cette voie et à trouver de nouveaux moyens de faire connaître les produits locaux de l’Archipel. Ce qui pour lui revient à « créer un trait- d’union entre les hommes ».

En 2013, des membres du Projet de reconstruction de la région du Tôhoku, dévastée par le séisme et le tsunami de mars 2011, se sont rendus aux Pays-Bas pour s’informer sur la production agricole sous serres. (Avec l’aimable autorisation de Umari Inc.)

(Propos recueillis en anglais.)

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