2015, dernière chance pour clore les questions mémorielles

Politique Société

2015 marque le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En cette année charnière, à quels thèmes le monde et le Japon seront-ils confrontés ? Kawashima Shin, rédacteur en chef de nippon.com, fait le point.

Kawashima Shin KAWASHIMA Shin

Président du comité consultatif de rédaction de Nippon.com. Né en 1968 à Tokyo, il obtient en 1992 un diplôme de chinois à l'Université des langues étrangères de Tokyo. Il étudie ensuite à l'Université de Tokyo où il passe son doctorat en histoire. D'abord maître de conférence à l'Université de Hokkaido, puis le même poste à l'Université de Tokyo, il devient professeur à la même université en avril 2015. Auteur notamment de Chūgoku kindai gaikō no keisei (La formation de la politique étrangère chinoise moderne), 2004, et de Kindai kokka e no mosaku 1894-1925 (Vers un état moderne, 1894-1925), 2010.

Limites américaines, changement chinois

HARANO JÔJI  Quels sont les thèmes importants pour le Japon en 2015 ?

KAWASHIMA SHIN  En 2015, le président américain Barack Obama va se trouver dans une position de plus en plus délicate. L’état des finances publiques et les relations avec le parlement, entre autres, brideront son action, l’empêchant d’adopter des stratégies fortes. Dans de nombreuses questions géopolitiques, les États-Unis peinent de plus en plus à affirmer leur leadership. Mais d’un point de vue global, ils doivent apporter des réponses aux remises en question de l’ordre établi et aux profonds changements qui se font jour, notamment en Ukraine et avec l’État islamique.

D’un point de vue économique, la mise en œuvre de cadres régionaux, comme le Partenariat trans-pacifique (TPP), qui préfigurent un nouvel ordre mondial avance dans le Pacifique comme dans l’Atlantique, il s’agira de l’un des points forts de l’année. Cependant, là encore, l’évolution aux États-Unis des relations entre les diverses industries, le parlement et le gouvernement pourrait poser problème.

Dans ce contexte de difficultés américaines, l’Asie-Pacifique se trouve dans une situation particulièrement problématique. Bien entendu, la Chine pose un gros problème.

La Chine joue sur divers tableaux pour assurer son intérêt national, en recourant par moments à une diplomatie de la canonnière digne du XIXe siècle, ou bien en insistant sur des revendications territoriales qui rappellent le début du XXe siècle ou encore en s’attachant à des questions plus récentes comme la gouvernance mondiale. Inutile de préciser que le principal problème de la région Asie-Pacifique est l’attitude à adopter face à Pékin.

Face aux revendications territoriales et sécuritaires de la Chine, en particulier envers ses voisins d’Asie de l’Est, les États-Unis, dont les finances sont précaires, réorganisent leur système sécuritaire dans le Pacifique oriental, y compris au Japon : ils s’appuient sur leurs alliés, maintiennent les liens entre eux et cherchent, semble-t-il, à mettre en place un réseau de sécurité qui continuera à garantir leur supériorité.

Les États-Unis vont-ils parvenir à ériger ce système ? Lorsque Washington parle de « rééquilibrage », ce terme ne désigne pas forcément la mise en place d’un réseau de protection face à la Chine. L’objectif est d’assurer la stabilité de la zone Asie-Pacifique, et de tirer parti des richesses de cette région qui continue à se développer. Or, la stabilité est souhaitable pour ce faire, c’est pourquoi les États-Unis et leurs alliés doivent renforcer leur puissance militaire : telle est la logique qui préside.

Cependant, les alliés des États-Unis ne peuvent se fier entièrement à ce raisonnement. Parce que tout en leur laissant espérer la plus grande fermeté envers la Chine, la réalité est différente. Bien entendu, la Chine, elle, se sent encerclée, et réagit vivement. En Asie-Pacifique et dans le monde, les États-Unis, lorsqu’ils exposent leur stratégie fondée sur une logique de protection de leurs propres intérêts, doivent se demander comment elle sera perçue dans chacune de ces régions, comment ils peuvent obtenir la confiance mondiale.

La Chine aussi possède ses propres problèmes. Xi Jinping, en fonctions depuis 2012, pourrait effectuer deux mandats et rester au pouvoir dix ans ; dans deux ans, il serait alors à la moitié de son mandat. Ce sera le moment de dresser le bilan de son action, et aussi de mettre en place un style nouveau pour la deuxième moitié de sa présidence. En économie, ce style appelé la « nouvelle normalité » consiste à tendre non pas vers un taux de croissance supérieur à 10% comme jusqu’à présent, mais vers une croissance à 6 ou 7% et à la faire considérer comme normale. Il s’agit d’un changement de paradigme. Par ailleurs, le gouvernement redistribue des fonds aux régions pour obtenir l’apaisement au niveau national. Enfin, il poursuit la rationalisation de l’armée populaire de libération, sur laquelle il affermit sa main-mise. Ces orientations sont profondément liées à l’assise du pouvoir de Xi Jinping, mais on peut douter de leur effet. L’année 2015 le dira.

De plus, les mouvements pro-démocratie à Hong Kong et Taïwan vont faire de 2015 une année de nombreux défis. Quelle direction vont prendre, en Chine, les valeurs fondamentales de notre monde que sont la démocratie, la libéralisation de l’économie, la prévalence du droit ? 2015 sera une année importante pour le long terme.

Les questions mémorielles, un thème central

HARANO  Pour le Japon, 2015 marque le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après les élections législatives de décembre dernier qui ont réaffirmé le gouvernement Abe au pouvoir, l’heure est venue de dresser un calendrier d’action dans de nombreux domaines. Quels sont les points importants ?

KAWASHIMA  Le gouvernement Abe est confronté à divers problèmes, en matière de finances publiques et d’économie notamment. Tout d’abord, du point de vue économique et monétaire, il doit prouver que les Abenomics fonctionnent. C’est indispensable. Mais en 2015, le thème le plus lourd est celui de l’histoire. Cette année ne marque pas seulement le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi le 120e anniversaire de la fin de la première guerre sino-japonaise, le 110e anniversaire de la fin de la guerre russo-japonaise et le centenaire des Vingt et une demandes. Concernant les questions historiques, la communauté internationale pose un regard sévère sur le Japon ; cette année représente pour le pays une opportunité, celle de régler ces questions mémorielles, ou, du moins, de montrer au monde qu’il entend les régler. C’est peut-être même sa dernière chance. Car dans dix ans la Chine sera trop puissante et le Japon peinera à faire entendre sa voix au niveau mondial. Aujourd’hui, il est encore temps d’exposer la logique japonaise. Le faire maintenant est une nécessité.

Cependant, avec la Chine et la Corée du Sud, les difficultés sont importantes. Maintenir le dialogue par le biais de recherches historiques conjointes, par exemple, semble réaliste. Mais l’important est de montrer, tant au Japon qu’à l’étranger, les réconciliations opérées durant ces 70 années sous des formes variées avec les États-Unis, l’Australie, l’Asie du Sud-Est. Ces réussites doivent être mises en avant de façon symbolique. Pendant la guerre, le Japon a envahi des pays et commis des crimes. Mais après-guerre, il n’est pas resté inactif. Dédommagements, actions pour la paix et l’amitié, création du Fonds pour les femmes asiatiques, les actions sont nombreuses. Le premier ministre Abe Shinzô doit agir sur ces bases, par exemple publier un communiqué avec les dirigeants des pays concernés ou diffuser une déclaration depuis un lieu chargé d’histoire.

HARANO  Pourquoi les États-Unis ont-ils peu d’estime pour Abe Shinzô ? Cela tient-il aux questions mémorielles, ou craignent-ils, suite à sa large victoire aux législatives, de le voir engager une politique plus conservatrice, par exemple sur la réforme de la Constitution ?

KAWASHIMA  Le point de vue des Américains évolue, me semble-t-il. La situation était tendue fin 2013, après la visite de M. Abe au sanctuaire Yasukuni, mais elle s’est ensuite améliorée. Il est néanmoins certain que les libéraux restent critiques. Au début de la campagne législative, M. Abe a fixé comme objectif l’obtention de la majorité. Certains l’ont jugé trop faible, mais il me semble que c’était un message, comme quoi l’objectif n’était pas la révision de la Constitution. Ce type de message, relativement compréhensible au niveau national, est difficilement perceptible à l’étranger. Il faut donc rectifier l’impression que le Japon entier a pris un virage à droite, et apaiser les craintes sur une éventuelle révision constitutionnelle conservatrice ou une militarisation du pays.

Dans le monde entier, les thèmes qui suscitent le plus d’intérêt sont la démocratie, la liberté, les droits de l’homme et l’histoire. En ce qui concerne les questions historiques, le problème des femmes de réconfort pèse lourd, bien entendu. Il est lié aux droits de l’homme, ce à quoi il faut répondre de manière appropriée. La question des visites au sanctuaire Yasukuni aussi est effectivement assez fortement critiquée aux États-Unis ; les questions mémorielles ne doivent donc pas être pensées uniquement en fonction de la Chine et de la Corée du Sud, mais aussi des États-Unis et de la communauté internationale dans son ensemble, il est nécessaire de réfléchir à l’image du Japon que nous voulons donner. Pour résumer, il faut s’atteler au problème de la perception historique de façon à montrer que le Japon participe à la protection des importantes valeurs universelles en place.

Quelle amélioration pour les relations nippo-sud-coréennes ?

HARANO  Le Japon et la Corée du Sud fêteront cette année le 50e anniversaire de la normalisation de leurs relations diplomatiques. Les relations avec la Chine commencent à s’améliorer, mais avec la Corée du Sud, les avancées sont moindres, notamment pour des raisons de politique intérieure sud-coréenne.

KAWASHIMA  Dans le cas de la Corée du Sud, la personnalité de la présidente Park Geun-hye et les particularités du gouvernement actuel constituent les plus importants obstacles. Malgré tout, on constate des progrès encourageants.

L’attachement de la Corée du Sud aux questions mémorielles est compréhensible, mais elle doit d’abord montrer sa volonté de dialoguer. Concernant ces questions, il est également important de parvenir à dissocier celle des femmes de réconfort des autres problèmes. Plutôt que d’aborder les questions historiques dans leur ensemble, il est nécessaire de résoudre chacune d’entre elles, sans quoi le dialogue ne progressera pas.

Dans le passé, le Japon a créé un Fonds pour les femmes asiatiques, par le biais duquel il a apporté son soutien aux anciennes femmes de réconfort. Cela ne satisfait peut-être pas la Corée du Sud, mais l’action du Japon doit être reconnue, afin de jeter les bases du dialogue. C’est sans doute délicat, mais la seule solution est de poursuivre le dialogue tout en amenant la Corée du Sud à reconnaître cette action.

Le Japon comme la Corée du Sud sont des pays, des sociétés, démocratiques. Même si la communication entre les dirigeants des deux nations est stoppée, les échanges entre les citoyens restent libres, à la différence des relations nippo-chinoises, où un coup d’arrêt aux liens au plus haut niveau bloque tout. En ce sens, les relations nippo-sud-coréennes doivent être considérées différemment des relations nippo-chinoises.

HARANO  Depuis trente ans, la Chine et la Corée du Sud ont fait une carte diplomatique de leurs critiques sur les questions mémorielles et le problème des femmes de réconfort. Pour y mettre un terme, le Japon ne doit-il pas envoyer un message fort ?

KAWASHIMA  Entre les années 1980 et 1990, lorsque l’économie japonaise était florissante, l’obtention de concessions du Japon dans le domaine économique et la critique des questions historiques allaient de pair. En d’autres termes, la puissance économique du Japon mettait un frein aux questions mémorielles. Mais en 2010, le PIB chinois a dépassé celui du Japon, et les Sud-Coréens ont pris confiance en eux-mêmes en estimant, à tort, que les entreprises sud-coréennes ont une envergure mondiale qui fait défaut aux entreprises japonaises. Ils ont moins à tirer de l’économie japonaise. Le Japon doit prendre conscience qu’il ne peut plus s’appuyer sur l’économie pour résoudre les questions mémorielles.

Par ailleurs, au Japon, en 2006 et 2007, la Cour suprême a renversé la jurisprudence prévalant jusqu’alors sur les réparations de guerre. Après la guerre, lors de la conclusion des divers traités de paix, l’État japonais a soit versé des indemnités soit obtenu le renoncement aux réparations, mais la situation était différente pour les réparations individuelles. Cependant, la Cour suprême a jugé qu’au niveau individuel aussi, ce droit avait été abandonné. Jusqu’alors, des demandes individuelles d’indemnisation avaient donné lieu à des procès devant les tribunaux japonais, ce qui n’est plus possible. Ni l’économie ni la justice ne peuvent résoudre les questions liées à la perception de l’histoire. Dans ce cas, il ne reste qu’à renforcer les échanges entre citoyens, ou à trouver une solution politique. Les moyens disponibles pour résoudre les questions mémorielles ont fortement évolué, il faut en avoir conscience.

La consolidation de la paix et le Japon

HARANO  Lorsqu’on parle de réconciliation historique, l’exemple qui revient le plus souvent est celui de la France et de l’Allemagne : la réconciliation est intervenue au terme de la signature du traité de l’Élysée et d’un approfondissement des échanges entre les deux peuples. Cette méthode n’est pas forcément adaptée au Japon, mais elle fait référence. De la même façon, Nelson Mandela, lors de l’abandon de l’apartheid et de la refonte démocratique de l’Afrique du Sud, a mis en place une Commission de vérité et de réconciliation, pour affronter frontalement les questions historiques. « Pardonner sans oublier », telle est la règle. Ces quinze dernières années, le Japon n’a pas toujours su adopter une telle logique ou dialectique.

KAWASHIMA  Effectivement, depuis la naissance du concept de consolidation de la paix, les réconciliations de ce type sont devenues possibles. Par exemple, en Afrique notamment, dans le processus de règlement des conflits, s’est posée la question de la façon d’éduquer les enfants après le conflit, pour l’avenir. Les questions mémorielles sont également concernées, sous diverses déclinaisons : « pardonner et oublier », « pardonner sans oublier » ou « ni pardon ni oubli ». Le Japon s’est beaucoup excusé, mais la Chine et la Corée du Sud s’en tiennent au « ni pardon ni oubli », ou, dans le meilleur des cas, à « pardonner sans oublier ».

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la réflexion a sans doute été insuffisante sur la consolidation de la paix, les moyens de réconciliation entre les peuples pour construire un environnement pacifique. Le traité de l’Élysée n’avait pas forcément pour objectif la réconciliation, mais il en a été l’outil.

Le Japon, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et avec la fin de la colonisation, faisait partie des vaincus, proposer la réconciliation n’était pas aisé. Mais on peut envisager de repartir de ce point et de faire aujourd’hui notre possible pour procéder de façon rétroactive à une consolidation de la paix.

L’exemple franco-allemand doit évidemment être une source d’inspiration, mais l’appliquer tel quel en Asie orientale paraît délicat. L’Europe de l’Ouest de l’après-guerre se trouvait en mesure de faire progresser parallèlement la coopération économique et la sécurité, avec la Communauté européenne et l’OTAN, ce qui a permis la réconciliation. Le Japon, en Asie orientale, rencontrait des difficultés sécuritaires avec la Chine et il n’existait pas non plus de système de sécurité régional comme l’OTAN qui l’aurait lié à la Corée du Sud et à Taïwan. Néanmoins, entre le Japon et la Corée du Sud, deux États démocratiques, la sécurité pourrait s’entendre à un niveau régional, à l’avenir.

La Déclaration Abe au centre de l’intérêt

HARANO  Le gouvernement japonais, sur les questions de perception de l’histoire, a jusqu’à présent publié des déclarations qui, bien que non adoptées en conseil des ministres, précisent sa position officielle. Il s’agit de la Déclaration Kôno émise en 1993 par le porte-parole du gouvernement Kôno Yôhei, sur le problème des femmes de réconfort, et de la Déclaration Murayama publiée en 1995 par le premier ministre Murayama Tomiichi à l’occasion du 50e anniversaire de la fin de la guerre. Cette année sera marquée par la Déclaration Abe ; comment y sera traitée la question des femmes de réconfort, un problème extrêmement délicat ?

KAWASHIMA  Le problème des femmes de réconfort, en particulier, n’est pas seulement historique, il relève aussi des droits de l’homme, et il est souvent considéré comme contradictoire avec certaines valeurs universelles. Bref, le risque existe de susciter l’opposition non seulement de la Corée du Sud, mais aussi de l’Occident dans son ensemble. En ayant conscience de la portée particulière de cette question, il faut rectifier les nombreux malentendus et erreurs qui l’entourent et faire entendre la voix du Japon.

Si une Déclaration Abe voit le jour, elle se situera sans doute dans le sillage des Déclarations Murayama et Kôno. Le gouvernement a déjà annoncé qu’il respecterait ces deux textes, c’est un point acquis. Simplement, on peut craindre qu’un ajout à ces déclarations ne donne une impression différente, contradictoire, au Japon comme à l’étranger. Cela ouvrirait la voie à des interprétations variées. Je le répète, il ne s’agit pas de s’opposer à la Chine et la Corée du Sud, et il faut éviter de s’opposer aux valeurs universelles sous peine de dresser Washington et les pays européens contre le Japon.

Bien entendu, il n’est nullement nécessaire de souscrire aux thèses ultralibérales occidentales fondées sur des malentendus. Il faut s’attacher à la vérité historique, tout en tenant compte des droits de l’homme contemporains, dans une double stratégie.

En ce qui concerne les valeurs universelles, la Déclaration devra montrer aux États-Unis et à l’Europe que le Japon cherche la réconciliation, qu’il s’est attelé à la résolution des problèmes. Cela doit également constituer une réponse aux allégations chinoises et sud-coréennes. Et puis, le Japon n’a pas toujours été opposé à la Chine et la Corée du Sud. Kim Dae-jung et Wen Jiabao jugeaient positivement l’action du Japon. Il est souhaitable que la déclaration signale que la Chine et la Corée du Sud ont soutenu l’action japonaise, qu’elle montre l’action menée par le Japon.

La stabilité gouvernementale pour faire table rase de l’après-guerre

HARANO  En Asie, 2015 verra l’émergence d’une vaste zone économique axée sur les pays de l’ASEAN. Le premier ministre multiplie d’ailleurs les tournées dans les pays asiatiques, avec quels résultats ?

KAWASHIMA  Cela dépend d’abord du regard que l’on porte sur l’Asie du Sud-Est, mais à la base de la diplomatie japonaise en Asie du Sud-Est, de la diplomatie ASEAN+3, se trouve l’idée que la fusion régionale en Asie est de nature fonctionnelle. Donc, l’engagement est différent de celui de l’Europe, qui cherche à construire des « Européens ». La fusion asiatique, c’est le renforcement des liens économiques et la mise en place des règles qui vont avec.

L’important est sans doute, plus que de façonner des Asiatiques de l’Est, d’établir avec l’Asie orientale et les régions environnantes des liens profonds, en quelque sorte émotionnels. Il est nécessaire de relancer les échanges étudiants et les échanges au niveau de la population. Des liens de coopération d’égal à égal, et non plus une relation de soutien du Japon à l’Asie du Sud-Est. Il est temps que ce changement de paradigme intervienne, de considérer l’Asie du Sud-Est comme un acteur, et d’y consacrer du temps et de l’argent. Ce sera le rôle du Centre Asie créé en avril dernier au sein de la Fondation du Japon.

HARANO  Le Japon est encore confronté à certains problèmes en Asie, comme la Corée du Nord ou les territoires du nord.

KAWASHIMA  Le Japon va être gouverné par le PLD durant les quatre années à venir, ce qui constitue une réelle opportunité. Les contentieux territoriaux sont un dossier qui demande du temps et des relations de confiance entre dirigeants, le gouvernement Abe va donc justement avoir la possibilité de s’y atteler. Quant à la Corée du Nord, c’est le dernier point noir de la diplomatie d’après-guerre du Japon, basée sur des relations pacifiques hors du cadre d’un conflit ou de la colonisation. C’est le seul pays avec lequel la question n’est pas réglée. En un sens, il s’agit de faire table rase de l’après-guerre. Le gouvernement Abe en a la possibilité.

Parler du Japon et parler au Japon

HARANO  Nippon.com entre dans sa quatrième année d’existence. Quels sont les enjeux à venir ?

KAWASHIMA  On souligne, à propos du Japon, l’aggravation des disparités sociales et la résurgence du nationalisme à divers niveaux. Dans de nombreuses nations, l’opinion publique examine son propre pays sous des angles variés, mais a tendance à simplifier lorsqu’il s’agit d’autres nations. Le Japon est encore mal compris à l’étranger. Qu’il s’agisse de l’Asie de l’Est ou de l’Occident, la diversité du Japon est difficilement perçue.

Les organes gouvernementaux de relations publiques s’attachent à montrer un beau visage du Japon, mais davantage que sa beauté, il est nécessaire de présenter la diversité d’opinions et de points de vue qui existe dans le pays. Sans tomber dans les opinions extrêmes, nous nous attachons à présenter au monde des points de vue équilibrés mais différents. Cette diversité permet de souligner l’ampleur des débats et la pluralité. Parler des questions intérieures fait sens. Il ne s’agit pas seulement de mieux faire comprendre le Japon, mais aussi de souligner qu’il est un pays pionnier dans de nombreux domaines, de montrer les problèmes auxquels il est confronté, les choix qui s’offrent, ceux qui sont faits et pourquoi, ainsi que les résultats qui en découlent ; toutes ces questions doivent également être archivées pour que les pays étrangers puissent s’y référer. Cela a une réelle portée.

Ensuite, il est également important de diffuser le point de vue du Japon sur les événements dans le monde, notamment sur ce qui se passe en Asie de l’Est. Par exemple, lorsqu’il y a des manifestations anti-japonaises en Chine, les gens pensent qu’au Japon, il y a sans doute des manifestations anti-chinoises ; ce n’est pas le cas, et il faut le faire savoir. Sans s’arrêter aux événements intérieurs, il est en même temps indispensable de faire connaître l’opinion des Japonais sur les événements mondiaux.

Enfin, en particulier en 2015, une réflexion doit être engagée sur la façon de répondre aux regards posés sur le Japon en ce qui concerne les questions mémorielles et les valeurs universelles. Et il faut également expliquer aux Japonais comment les gens du monde entier voient le Japon en relation avec ces questions. C’est crucial.

(Propos recueillis par Harano Jôji, directeur représentatif de la Nippon Communications Foundation, le 22 décembre 2014.)

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