Du vrai saké à offrir aux Français

Vie quotidienne

Sugiyama Asuka n’est pas une sommelière comme les autres. Titulaire d’un doctorat en physique théorique, elle passe sa vie entre Paris et Tokyo. Amoureuse du vin et du saké japonais, elle se rend régulièrement dans la capitale française pour redorer l’image du saké.

Sugiyama Asuka SUGIYAMA Asuka

Titulaire d’un doctorat en physique théorique. Chercheuse en œnologie. Professeur de mathématiques dans un établissement réputé et directrice de Asuka L’école du vin, une école qui prépare à l'examen du brevet professionnel de sommelier. Elle possède également un bar à vin, GOBLIN, à Nishi-Azabu, à Tokyo, ainsi qu’un restaurant japonais à Paris, ENYAA, où le saké japonais et le champagne tiennent une place centrale. Elle est aussi l’auteur de nombreux ouvrages sur le vin.

Quand les mathématiques rencontrent l’œnologie

——Vous êtes à la fois professeure de mathématiques et d’œnologie.

SUGIYAMA ASUKA   Depuis toute petite, j’aime beaucoup faire apprendre des choses aux autres. Et j’aime aussi la physique, les mathématiques… et les alcools. Je ne voulais laisser tomber aucune de mes passions, et c’est ainsi que j’en suis arrivée à ce style de vie professionnel, pour ainsi dire.  J’ai ouvert un bar à vin à Nishi-Azabu en 2008, un restaurant de saké japonais et de champagne à Paris en 2016, et j’importe et exporte également du vin et du saké japonais. Tout cela fait que je passe mon temps entre Tokyo et Paris. Pour mon travail, je vais à Paris toutes les deux semaines.

——Vous débordez d’énergie ! Les mathématiques et le vin sont par ailleurs une combinaison pour le moins inhabituelle…

S.A.   Quand j’étais petite, tous les enfants autour de moi aimaient faire des coloriages ou jouer au papa et à la maman. Moi, ce qui me plaisait, c’était plutôt les jeux de construction, les Lego et les exercices de calcul. Le comptoir de mon bar à vin peut accueillir 17 personnes car pour tout vous dire, 17 est de mes nombres premiers préférés. Pour la répartition, j’ai gardé cette idée de nombres premiers : 11 sièges en face du barman et 3 sièges en angle droit à chaque côté.

——Quand cette passion pour les alcools vous est-elle venue ?

S.A.   Lorsque j’étais étudiante, j’ai goûté toutes sortes de boissons alcoolisées. Et comme la passionnée de science que je suis aimait approfondir ses connaissances, je m’imposais une thématique à chaque période… Par exemple, pour le vin, boire au moins une bouteille du même cépage par jour, ou pour le whisky, boire tous les produits de la même distillerie… Quand je déguste ces alcools en réfléchissant à différentes questions, tout naturellement, la consommation augmente elle aussi (rires).

Une sommelière infatigable aux multiples casquettes

——Qu’est-ce qui vous a décidée à ouvrir un bar à vin ?

S.A.   À l’époque, mes cours de l’école préparatoire terminaient vers 22 heures. À cette heure-là, vous n’avez pratiquement aucune chance de trouver des restaurants à Tokyo où déguster un bon repas avec une bonne bouteille… C’est à ce moment-là que je me suis que je n’avais qu’à le faire moi-même.

« On parvient à différencier les odeurs à force de pratique », explique Sugiyama Asuka.

——Vous avez ouvert une école d’œnologie en 2011, n’est-ce pas ?

S.A.   Après avoir obtenu mon diplôme de sommelière, j’ai demandé aux employés de mon bar à vin de prendre des cours d’œnologie. Malheureusement, aucun d’entre eux n’a réussi son examen. Alors je me suis dit que ça serait plus rapide si je leur donnais des cours moi-même. C’est ainsi que j’ai commencé à leur transmettre mes connaissances. Grâce à mes cours, 90% d’entre eux ont réussi leur examen ! L’année suivante, j’ai ouvert ma propre école d’œnologie.

——Et en 2016, vous voilà à Paris !

S.A.   J’importe également du vin depuis cinq ans et je rends visite aux producteurs français une fois tous les deux mois. Ce faisant, ils sont naturellement de plus en plus sollicités au Japon. Lors de leur visite, je fais goûter à nos invités des plats de la cuisine japonaise accompagnés de leur champagne et du saké japonais.

C’est peut-être surprenant mais le dashi, le bouillon utilisé dans la cuisine japonaise, se marie très bien avec un champagne vieux de quelques années. Et si vous buvez du saké japonais lors d’un repas, quelques gorgées de champagne dans l’intervalle seront idéales pour vous rafraîchir le palais. Le saké et le champagne se mariant parfaitement, vous pouvez passer de l’un à l’autre sans aucun problème ! Les Français appréciant beaucoup cette combinaison, je me suis dit que je pourrais ouvrir un restaurant japonais sur ce concept à Paris !

À Paris, le saké japonais a une image faussée

——Cela fait plus d’un an que vous avez ouvert votre restaurant à Paris. Quelles sont vos impressions ?

S.A.   On entend souvent au Japon dire qu’il y a un véritable boom du saké japonais dans le monde entier, mais dans les faits, je pense qu’on n’en est qu’au début. Pour les Français, le saké est un alcool fort et nombre d’entre eux se contentent, à tort, de le boire d’un trait à la fin d’un repas. Ils font l’amalgame avec le baijiu, un alcool servi dans les restaurants tenus pas des Chinois. Par ailleurs, bien souvent le saké n’est pas conservé dans un endroit thermorégulé, ce qui est très néfaste pour la fraîcheur de son arôme, et est malheureusement servi tel quel.

Je trouve qu’il est extrêmement dommage que le saké japonais se fasse connaître sous une mauvaise forme, alors que c’est un alcool qui se consomme pendant le repas, très fruité, facile à boire et qui se marie très bien avec la cuisine. C’est pourquoi, dans mon restaurant, je souhaite proposer le saké japonais tel qu’il est bu au Japon, et le faire connaître davantage.

Le restaurant de cuisine japonaise  ENYAA, avec au fond, une galerie de saké japonais.

Ce qui m’a vraiment frappée cette année, c’est que les Français sont vraiment doués pour apprécier la cuisine. Ils sont réellement passionnés et n’hésitent pas à poser des questions au personnel. « Pourquoi coupez-vous le poisson de cette façon ? », « Comment préparez-vous le bouillon dashi ? » ou encore « Combien d’ingrédients utilisez-vous pour ce plat ? » … les questions fusent de tous les côtés ! Tout en observant le chef au travail, ils veulent savoir tout sur tout. Leur passion pour la nourriture est profonde, et nombre d’entre eux n’hésitent pas à donner franchement et sans détour leurs impressions, ce qui pousse les chefs à se surpasser et les stimule davantage encore dans leur travail.

——Quelles sont les questions que l’on vous pose le plus souvent ?

S.A.   Des questions comme la différence entre le saké dai-ginjo et le junmaishu reviennent souvent. En parlant avec des Français à Paris, j’ai compris qu’un grand nombre d’entre eux considéraient les « junmai dai-ginjo » comme un Grand cru en Bourgogne. Bien sûr, les dai-ginjo sont ceux qui coûtent le plus cher mais cela ne veut pas dire pour autant que les autres sakés sont mauvais. Quand j’explique à ceux qui ne boivent que du dai-ginjo qu’il ne s’agit pas de la même classification, que les ingrédients, la proportion de riz décortiqué et le mode de production sont différents et pour ces raisons tous les sakés ne se rangent pas dans la même catégorie, alors ils se mettent aussi à goûter le junmai. Et au bout du compte, beaucoup préfèrent la fraîcheur de l’acidité d’un junmai très sec.

——Contrairement au vin, le saké japonais est encore peu répandu. Pourquoi selon vous ?

S.A.   Beaucoup de Japonais sont réservés et il leur est difficile de se mettre en avant. S’ils savent bien être réceptifs, il leur est moins aisé de s’exprimer par eux-mêmes. Par opposition, les Français ont plus tendance à dire clairement ce qu’ils pensent et sont doués pour se mettre en avant. C’est impressionnant de savoir que la classification des vins existait dès 1855, à l’époque de l’Exposition universelle de Paris. Bien sûr, il ne faut pas oublier que si le vin s’est fait connaître dans le monde entier, c’est grâce aux caractéristiques des raisins en eux-mêmes et à l’arrière-plan historique, notamment en raison de la religion chrétienne. La culture gastronomique de l’Europe toute entière a sans aucun doute joué un rôle important et permis au vin de se faire connaître plus facilement.

C’est justement pour cela qu’aujourd’hui, le saké japonais a besoin de professionnels pour se faire connaître, capable de transmettre ses multiples qualités telles que sa saveur, son arôme, les mariages possibles en cuisine etc. Il faut que ces professionnels expliquent tout cela avec le plus grand soin, sinon il sera difficile pour le saké de se faire une place sur le marché. « Goûtez et vous verrez» n’est pas suffisant…

Si le vin a pu se faire connaître dans le monde entier, c’est grâce aux personnes, fortes d’un maximum de connaissances en œnologie, qui étaient là pour fournir des explications détaillées sur la subtilité de son arôme, pouvant être comprises par tous. Des notions abstraites telles que la saveur ou encore l’arôme ne feront écho auprès de personnes de cultures différentes qu’au moyen d’explications verbales.

Rester confiant, même s’il n’y a pas de raison de l’être…

——Vous avez un nouveau projet pour 2018, n’est-ce pas ?

S.A.   En effet, près de mon restaurant à Paris, j’aimerais ouvrir un bar à saké de style dit kadouchi, où les clients pourraient acheter des bouteilles de saké et les déguster debout au comptoir. Je souhaite aussi ouvrir un bar à vin du même style à Nishi-Azabu. Enfin, j’aimerais enseigner l’œnologie à base de vidéos sur Internet et ouvrir une école d’œnologie pour le vin et le saké japonais à Paris.

Le restaurant japonais à Paris ENYAA, situé près du Palais-Royal. Molière lui-même est né dans ce bâtiment.

——Où trouvez-vous toute cette énergie ?

S.A.   Certainement parce que je bois tous les jours du bon vin et du bon saké ! Et je pense qu’il y a aussi comme je l’ai déjà dit, le fait que j’aime beaucoup faire apprendre des choses. Que ce soit enseigner les mathématiques, parler de la culture française et de la culture japonaise…, je pense que c’est là que je puise mon énergie.

Lorsque je fais le point sur tout ce que j’ai entrepris jusque-là, j’ai l’impression que c’est le mot « enseigner » qui revient sans cesse. Si au départ je suis une véritable férue de science, il faut ajouter à cela le fait que je suis extrêmement perfectionniste… Dès qu’un sujet m’intéresse, je m’immerge et j’enrichis mes connaissances, ce qui me donne envie de les partager autour de moi et d’enseigner.

Ses ouvrages d’œnologie. En haut à droite : le manuel pour l’examen de sommelier (publié chaque année au mois d’avril)

——Votre avidité de connaissance est réellement impressionnante ! Après, tout cela nécessite de la confiance en soi.

S.A.  Je sais que plus vous en apprenez sur un sujet, plus il devient passionnant. Dès que je m’intéresse à un domaine en particulier, cela pique ma curiosité au vif et me donne envie d’en savoir plus, toujours plus. Et le vin, le saké, la cuisine ne font pas exception… savoir quels ingrédients ont été utilisés permet de rendre le sujet plus passionnant encore et de se régaler encore plus !

Dès le collège, mes amis me disaient toujours que j’étais quelqu’un pleine de confiance. Un ami proche m’a dit un jour « Tu es toujours confiante, même s’il n’y a pas vraiment raison de l’être, et tu réussis tout ce que tu entreprends ! » Moi, j’ai confiance en cette « confiance aveugle » (rires) ! Je le dis souvent à mes élèves à l’école préparatoire : « Si vous ne croyez pas en vous-même, qui croira en vous ? » Votre meilleur supporter, c’est vous-même. Dans la vie, qu’il s’agisse d’examens, de travail, il faut toujours se dire « Je suis capable », et on finit réellement par le devenir. Ça, j’en suis sincèrement convaincue.

(Propos recueillis par Usami Rika. Photos de titre et d'interview : Ôkôchi Tadashi)

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